Invisible Man : Le mythe dépoussiéré

Ancien comparse de James Wan, Leigh Whannell a su, au fil des années, susciter les attentes chez les spectateurs amoureux de films fantastiques. Scénariste chevronné à qui l’on doit les scripts de film comme Saw, Dead Silence ou Insidious, il s’était essayé pour la première fois à la réalisation en mettant en scène le troisième chapitre de la franchise Insidious. Opus étonnant qui arrivait à se substituer de la réalisation très marquée de James Wan pour nous offrir un film d’horreur à la tension nerveuse et éreintante. Une vraie bonne surprise et une expérience de réalisateur qu’il continuera à faire grandir en 2018 pour son second film, Upgrade. Film d’anticipation perfectible, mais empli de bonnes et généreuses intentions. Voilà pourquoi nous étions impatient de voir s’il confirmerait l’essai pour son troisième long-métrage, Invisible Man. Nouvelle adaptation du roman de H.G. Wells, l’Homme Invisible, Leigh Whannell n’en garde que le principe d’invisibilité (et un poil du caractère misanthrope de son sujet, même s’il est plutôt misogyne ici) pour nous livrer un thriller psychologique intense qui doit beaucoup à son héroïne.

Adrian Griffin est un riche scientifique tyrannique et violent, doublé d’un sociopathe. Malmenée et désabusée, sa petite-amie, Cecilia, décide de le quitter et part se réfugier chez son ami James. Quelques jours après sa fuite, Cecilia apprend qu’Adrian s’est suicidé et lui a légué une immense fortune. Cecilia s’interroge sur son suicide et pense qu’il l’a mis en scène dans le but de la terroriser. C’est alors que des événements étranges surviennent tout autour d’elle. Cecilia va vivre un enfer, au point d’être considérée comme paranoïaque par son entourage. Elle va tout faire pour prouver qu’Adrian est encore vivant et qu’il a trouvé le moyen de se rendre invisible dans le but de se venger d’elle.

Oubliez toutes les adaptations que vous avez pu connaître de l’Homme Invisible au cinéma. Que ce soit l’inoubliable film de James Whale en 1933, la vision intéressante de John Carpenter en 1992 ou le survitaminé (et nanardesque) Hollow Man de Paul Verhoeven en 2000, aucun de ces films ne partagent grand chose avec Invisible Man, si ce n’est son protagoniste invisible. Le film de Leigh Whannell s’inscrit dans l’air du temps et joue énormément sur le côté pervers narcissique de son personnage masculin. Chose étonnante d’ailleurs que de traiter de cette maladie au cinéma. Maladie très courante, malheureusement, que beaucoup d’hommes et femmes subissent chaque jour. Cecilia est une femme brisée, hantée par la peur du spectre de son détracteur. Elle admet le comportement de son ex-compagnon, mais n’arrive absolument pas à s’en défaire. Leigh Whannell va longtemps jouer avec nos nerfs (beaucoup moins abusivement que pour Insidious 3) et semer le doute dans nos têtes. Cecilia est-elle bien hantée par son ex qui a trouvé le moyen de devenir invisible ? Ou est-elle devenu totalement schizophrène ? Le doute subsistera jusqu’au dernier acte du film, de quoi tenir suffisamment en haleine le spectateur. De ce fait, il faut souligner l’incroyable performance d’Elisabeth Moss. Actrice qui voit sa carrière exploser depuis 2017 et son ahurissante interprétation de June dans la série The Handmaid’s Tale. La jeune actrice de 37 ans tient tout le projet sur ses épaules. Les séquences d’attaque à ses côtés démontrent l’étendu de son talent. On frissonne à ses côtés, ne sachant jamais comment les scènes vont se terminer. Elle a la faculté de savoir jouer, véhiculer et transmettre la terreur comme nous ne l’avions pas vu depuis longtemps sur un écran de cinéma. Elle génère une empathie certaine chez le spectateur qui ne peut s’empêcher d’avoir des craintes pour sa survie. Elisabeth Moss confirme tout le talent que nous avions perçu chez elle et ça fait du bien de la voir tenir la baraque avec autant d’aplomb. Elle possède l’étoffe des grandes stars, elle est impressionnante de justesse.

D’un point de vue technique, Leigh Whannell continue de parfaire ses armes tranquillement. Il impose une réalisation minimaliste, avec des idées de mise en scène classiques et efficaces. On le sent amoureux du cinéma fantastique (ses scénarios précédents nous l’avaient déjà prouvé) et on s’amusera comme des enfants à surprendre moult références disséminées ci et là au sein de son film. Que ce soit le petit clin d’œil à Saw en début de métrage; une attaque dans la cuisine qui rappellera Halloween de Big John; le petit détour chez Wes Craven lorsqu’il paraphrase presque Scream dans son schéma narratif (se payant même un personnage qui s’appelle Sidney); le contexte très Paranormal Activity lorsque les premiers méfaits de l’homme invisible apparaissent (coucou Jason Blum !) ou encore la bande-sonore lors de l’attaque dans la maison d’Adrian qui fera grincer des cordes de violons ne manquant de marcher généreusement sur les plates-bandes de Psychose et de Vendredi 13… Leigh Whannell est un passionné, à n’en point douter. Sa force réside dans l’écriture de son scénario. S’il n’a pas la verve de mise en scène de son ami James Wan (tous les deux faisaient vraiment un duo d’enfer), il sait écrire et maîtriser un suspense. Invisible Man met en lumière toutes les femmes victimes de harcèlement moral et physique. Il offre une justice à toutes ces femmes qui n’ont d’autre solutions que de se terrer dans un mutisme permanent, au risque de subir les foudres de leur compagnon de vie. Dans une époque enclavée par l’émergence du mouvement #MeToo, Invisible Man prend une figure populaire de la mythologie fantastique pour aller bien au-delà des propos qu’il défend. C’est un film féministe, certes, mais qui aborde surtout le mal-être dans lequel (sur)vivent ces femmes. Un mal réel, mais invisible aux yeux de tous. Assume-t-il le tout jusqu’au bout ou n’est-il qu’un résultat de délire paranoïaque ? Il faudra vous jeter sur le film pour le savoir. Et même si la fin semble plus punitive qu’expiatrice, ça fait du bien d’avoir un sujet aussi fort et actuel que celui dont traite Invisible Man.

Leigh Whannell va chercher la folie de l’homme moderne en dépoussiérant un classique de la littérature. Donnant la part belle à son héroïne domptée avec grandiloquence par une formidable Elisabeth Moss, Invisible Man convainc par un rythme de croisière aux allures peinardes, mais à l’urgence permanente. Une vraie bonne surprise qui confirme tout le bien que l’on pensait déjà de son réalisateur.

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  1. Édito – Semaine 10 -

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