Tout peut changer, et Si les Femmes comptaient à Hollywood ? : Un constat alarmant bien qu’incomplet.

À l’heure où les langues se délient, les paroles se libèrent et les mentalités s’ouvrent, de nouvelles tendances commencent à émerger. Suite à l’affaire Weinstein, c’est essentiellement la place des femmes, leur image et la liberté de celle-ci qui impacte Hollywood. Après un documentaire traitant de l’affaire susnommée, c’est la question de la place de la femme qui se pose ici. Tout peut changer (This changes everything), documentaire réalisé par Tom Donahue interroge sur cette question et remet en perspective l’évolution de la place de la femme au cinéma durant le dernier siècle. Contrairement au documentaire réalisé par Ursula Macfarlane, qui se contentait quasi exclusivement de ressasser les faits déjà connus sur Twitter, ainsi que d’interviewer seulement quelques personnes ayant manifesté leurs harcèlements sur les réseaux, ce documentaire s’attelle à un travail de recherche beaucoup plus conséquent et propose un panel d’interviews complet d’une très grande partie des actrices, réalisatrices et productrices américaines. On peut donc y voir l’intervention de diverses personnalités allant de Chloë Grace-Moretz à Meryl Streep en passant par Kathryn Bigelow. Pratiquement toutes proposent un témoignage face caméra de leur impact à Hollywood et de la manière dont elles l’ont vécu. On y apprendra donc dans ce documentaire en quoi la femme a une place moins importante que celle de l’homme et si le cinéma, hollywoodien dans le cas présent, est sexiste ou simplement très maladroit.

Beaucoup d’éléments ressortent de ce documentaire et il est important de parvenir à trier les informations selon leur crédibilité et leur exhaustivité. La première chose à noter est l’utilisation de données. Des chiffres, des dates, encore des chiffres et encore des dates. Malheureusement, et c’est bien connu, les chiffres et les dates on peut leur faire dire à peu près tout et n’importe quoi. On apprend dans le documentaire que l’une des protagonistes a entrepris un travail de recherche assez conséquent sur l’égalité des chances entre les femmes et les hommes à Hollywood. Bien que son travail force le respect, il est loin d’être exhaustif. Le véritable problème avec les chiffres, c’est qu’on ne peut que très rarement conclure quelque chose de tangible autre que l’information pure et dure que lesdits chiffres démontrent. Dans tous les cas, si l’on veut avoir une donnée complète, il faut des statistiques extrêmement précises dans tous les domaines et à propos de toutes les informations ayant un lien avec ce que l’on souhaite démontrer. Or, c’est souvent quelque chose d’impossible, car trop long et difficile à réaliser. Pour preuve, prenons l’exemple de l’événement récent des femmes payées X% moins que les hommes. Selon ce que l’on prend comme statistique de référence, on n’obtient pas le même chiffre (les femmes étant payées 18,5% de moins que les hommes, tandis que les hommes sont payés 22,8% de plus que les femmes). Premier élément démontrant à quel point l’information d’un chiffre est dépendant du sens dans lequel on l’utilise. Mais en plus de cela, sans rentrer dans le détail, de nombreux organismes ont proposé des études beaucoup plus complètes et détaillées en prenant une multitude de cas en compte pour arriver à des résultats plus justes et les pourcentages diminuaient d’environ 10% et jusqu’à 3% seulement de différence. Ici, il est clair et sans conteste que ce que mettent en exergue les intervenants du film est assez alarmant. La femme, au moins à Hollywood, est clairement mise sur la touche et ne s’attire pas vraiment les faveurs des boîtes de production et autres ayants droits. Cela ne change donc pas le discours de fond et la nécessité de communiquer l’information. Seulement il est bon de remettre en cause la seule base des chiffres qui est irrémédiablement un facteur fallacieux dans l’élaboration de statistiques.

Geena Davis

En dehors des chiffres, et on se rapproche de l’information sociologique qui nous intéresse, on comprend dans Tout peut changer que plusieurs périodes charnières ont eu un impact non négligeable sur la portée féminine au cinéma. Dans un premier temps, le passage au parlant fut un frein à l’essor de la femme devant et derrière la caméra. Il est dit que lors du passage au cinéma parlant, les banques prenaient le pouvoir pour financer le rééquipement des salles et des studios. On le sait maintenant depuis des lustres que se sont les banques qui ont le pouvoir et qui font tourner les lois de ce monde. Sont-ils sexistes ? Ont-ils sciemment projeté le sabotage de l’avènement de la femme ? En vérité, le documentaire ne fait que peu de recherches historiques à ce sujet, les banques n’interviennent jamais dans l’histoire, on sait simplement qu’elles ont freiné l’avènement de la femme au cinéma. À ce titre, il est tout à fait raisonnable de se dire que les banques ont simplement émis la volonté de ne rien changer, ou le moins possible, à une formule qui fonctionnait déjà très bien. Et si cette formule n’avait que très peu de femmes, alors tant pis. On y apprend également que les périodes Nixon et Trump ont été des périodes où une recrudescence des emplois des femmes aux Etats-Unis était notable. Deux présidents qui ne sont pas vraiment réputés pour accorder une très belle image à la femme, peu étonnant alors que le sexe féminin ne soit pas d’avantage mis en valeur. Tout cela nous amène à un énorme point faible concernant cette étude : où est la recherche sociologique dans tout cela ? Dès le début du film, il est mentionné que l’image des hommes dans le cinéma est celle du cow-boy, du mâle alpha. Étrange alors que le documentaire ne cherche pas plus loin dans cette piste, bien que le sujet soit l’image de la femme, celle-ci est indissociable de l’image de l’homme si l’on souhaite en connaître l’origine et les évolutions. La fin de l’ère des cow-boys correspond également à l’arrivée du cinéma. Le cinéma arrive également à la fin d’une succession de guerres se déroulant sur le sol américain et ayant profondément changé le continent et ses mentalités. Il marque également la fin d’une ère complète et l’avènement de l’Amérique vers une ère d’industrialisation majeure. En somme, l’Amérique est née de cette image du cow-boy, c’est peut-être là qu’il aurait fallu se pencher pour comprendre les différences sociales entre les hommes et les femmes aujourd’hui dans le cinéma américain. C’est là le principal problème de cette production, on ne se penche définitivement pas assez sur les origines du « comment » et du « pourquoi » nous en sommes arrivés à cette situation. C’est inutile de vouloir changer une habitude et une mentalité, même si elles ne sont pas correctes, si on n’essaie pas d’en comprendre le sens et l’origine.

En ce sens, l’imposante présence de personnalités du cinéma venues témoigner de leur place dans ce paysage, manque au final d’impact. Même si la sagesse de Meryl Streep, l’innocence de Chloë Grace-Moretz ou la force de caractère de Natalie Portman forcent le respect et imposent la justesse de leurs propos, il subsiste toujours et encore une inconnue à l’équation. C’est très positif de voir toutes ces personnes se rendre compte de la situation et s’unir pour tirer la sonnette d’alarme. Comme il est mentionné dans le film, et c’est une vérité incontestable, la diversité est toujours meilleure. Cela offre plus d’histoires, plus de rebondissements, plus de nouveautés. Le travail artistique d’une femme sera toujours différent de celui d’un homme parce que c’est une femme. Ni nécessairement meilleur ni moins bon, mais différent et le cinéma a clairement besoin de cette différence, de cette diversité, de cette nouveauté et de cette fraîcheur. Là où l’information est absolument surprenante cependant réside dans le fait que les travaux artistiques de femmes sont souvent extrêmement populaires, des réussites professionnellement et publiquement saluées, mais que cela ne change pas. Kathryn Bigelow, Sofia Coppola, Greta Gerwig, Jodie Foster, si leurs filmographies ne sont pas exemptes de défauts ou d’échecs, elles forcent le respect nettement plus que de nombreux réalisateurs. Que faut-il de plus alors pour faire d’avantage confiance aux femmes et leur offrir une place nettement plus présente ? Ce simple fait d’arme devrait anéantir la nécessité de faire toutes ces recherches et de produire ce documentaire.

Meryl Streep

En contrepartie le film évoque quelques petites informations très discutables. L’une des raisons des studios de ne pas laisser les femmes s’occuper de films à gros budgets est qu’elles ne l’ont pour beaucoup encore jamais fait. S’occuper d’un petit film d’horreur ou d’un slasher est une chose, réaliser le prochain Avengers en est une autre. En réalité, savoir que les hommes à ce moment précis n’ont pas plus d’expérience que les femmes nous intéresse finalement assez peu, quand on voit le résultat sur grand écran, c’est une raison suffisante à faire fuir n’importe qui se chargerait d’un tel projet. Evidemment c’est toujours agréable de récupérer un gros cachet pour un gros projet. Cependant, sans Suicide Squad, Ant-Man et la guèpe, Avengers l’ère d’Ultron, Le Hobbit, Terminator Genesis, Prometheus et une pléthore d’autres productions, le cinéma international se porterait certainement bien mieux. Et la place de la femme n’y changerait probablement pas grand-chose. Pour preuve, le monde se serait également mieux porté sans Wonder Woman que Patty Jenkins n’est pas peu fière d’avoir réalisé. Un énorme gâchis qui aura pour bonne action d’offrir une super-héroïne à laquelle de nombreuses petites filles pourront se rattacher et s’identifier. Surprenant d’ailleurs de voir également l’importance accordée au test de Bechdel. S’il avait sa raison d’être dans la bande dessinée comme ressort comique, c’est une incroyable connerie d’en faire un critère de sélection quelconque (bonjour la Suède). Ce test est d’une pauvreté sans fond qu’il est incroyable que des professionnels du cinéma osent le citer encore aujourd’hui. Plusieurs variantes à ce test proposent des critères déjà plus sélectifs auxquels on peut tirer des conclusions plus intéressantes, comme le test « Mako Mori ». Encore que là aussi, ce principe de test a dérivé sur des infamies qui ne font que régresser l’image du cinéma. A-t-on vraiment besoin d’un test pour déterminer quelle image un film offre à la femme ? Est-on devenu à ce point assisté et incapable de réfléchir par nous-même pour en arriver là ? Faites-vous votre propre avis, débattez, discutez, proposez et faites évoluer les choses sans avoir recours à des concepts préfabriqués qui ne vous aideront jamais à y voir plus clair.

Pour terminer il faut mentionner cette histoire de sous-titres car c’est du grand art. Jamais un film n’a proposé des sous-titres d’une aussi piètre qualité. Une faute à peu près toutes les trois phrases, le film parfait pour tuer un grammar nazi sur place. Si encore les sous-titres étaient fait dans la précipitation en attente de temps pour changement, sauf que le film présenté à Deauville comportait déjà ces fautes de frappes et de conjugaison. Espérons qu’ils soient corrigés lors de la sortie en salles. Toujours est-il que la création de ce documentaire démontre l’urgence de la situation, plusieurs lois défendaient même la place de la femme dans certaines professions, des lois qui n’ont jamais été respectées. Ce que Tout peut changer tente de nous dire parfois maladroitement est réel. Les femmes n’ont pas la place qu’elles méritent et continuent d’être sujettes à discriminations sexuelles, parfois sans même que cela soit volontaire ou conscient, mais c’est le cas. Ce qu’il faut en tirer c’est de ne jamais se laisser faire en cas de discrimination envers son sexe. Le sexe d’une personne ne détermine certainement pas sa capacité à réaliser un projet ni ses éventuels talents dans ce dernier. Lorsque l’on a un souhait, une envie, un besoin, il ne faut pas se refréner par un soi-disant manque de légitimité. Attardez-vous sur le travail audiovisuel des femmes et vous vous rendrez compte qu’il a bien plus à offrir que l’on ne pense.

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