Uncut Gems : La Brutalité des Joyaux

S’il y a bien un film qui revient sur toutes les lèvres depuis quelques jours, c’est Uncut Gems. Nouveau long métrage réalisé par les frères Safdie, à qui l’on devait le stupéfiant Good Time il y a trois ans, Uncut Gems semble faire l’unanimité auprès de ceux qui ont posé les yeux dessus. Tout le monde s’accorde à dire qu’Adam Sandler livre une des prestations les plus mémorables de sa carrière. Adam Sandler dans un rôle à contre-emploi, fait rare, mais pas si étonnant que cela quand on prend le temps d’analyser la filmographie du joyeux trublion qui nous avait déjà épaté dans Punch-Drunk Love, Spanglish, Funny People ou encore, plus récemment, The Meyerowitz Stories. Et malgré notre amour immodéré pour le bonhomme (oui, nous faisons parti de ceux qui s’offrent de francs et massifs fous rires devant presque chacune de ses comédies), Uncut Gems était-il louable uniquement pour la performance de Sandler ? Acteur que nous savions tout à fait apte à réussir à planter un personnage complexe. Si le film nous a totalement envoûté, ce n’est pas uniquement grâce à Adam Sandler qui est, en toute objectivité, époustouflant.

Howard Ratner est le propriétaire d’une bijouterie au sein du quartier Diamond District à New-York, et revendeur à ses heures perdues. Joueur et endetté jusqu’au cou, il voit sa vie chamboulée lorsqu’on tente de lui extorquer une opale d’une très grande valeur. Menacé par ses créanciers, il va tout faire pour récupérer son bien et payer ses dettes en temps et en heure.

Éreintant ! S’il y a bien un mot qui colle à Uncut Gems, c’est celui-ci. Le film attrape le spectateur à la gorge dès ses premières minutes et ne le laissera jamais respirer jusqu’à son générique de fin. Nous sommes immédiatement projetés au sein d’un univers où tout est en permanence bruyant, les gens parlent très forts et en même temps, personne ne s’écoute. Bienvenue dans un univers où l’usure aura raison de votre porte-feuille. Howard navigue sur un océan de prêteurs sur gage, bookmakers et autres gangsters où chacun veut sa part du gâteau au moment où il le réclame. Nous rentrons dans l’histoire sans être prévenu. Tout ira vite, tout sera anxiogène et il faudra s’accrocher sévèrement pour réussir à apprécier l’expérience proposée par Uncut Gems. C’est un film qui se mérite, un uppercut sévère qui laisse complètement K-O en fin de visionnage. Il y a bien longtemps qu’un film ne nous avait pas mis par terre dès son ouverture en nous empêchant coûte que coûte de nous relever jusqu’à son dénouement. Il y avait déjà cette idée d’urgence dans Good Time qui étendait son récit sur une seule soirée. Ici, les frères Safdie poussent le concept sur plusieurs jours et transcendent ces sentiments oppressants et pressants grâce à un mixage sonore perpétuellement nerveux qui vient épouser une mise en scène élégante, sobre et délibérément sombre en dépit de l’univers bling-bling dans lequel nous nous trouvons. Avec un choix de cadres très souvent serrés, nous avons affaire à un polar âpre qui nous ramène vers le cinéma urbain des années 70 ainsi qu’un héritage direct des meilleurs thriller de Tony Scott. En effet, les deux frangins mettent en scène des séquences à la tension si forte rien qu’avec de simples champ / contre-champ comme savaient les maîtriser Scott, que le parallèle était plus qu’évident.

Si techniquement, Uncut Gems a de très beaux atouts, il ne faut surtout pas oublier de mentionner son casting hors-norme, Adam Sandler en tête. Il cabotine comme jamais, est dans l’exagération en permanence et dépeint un personnage très contrasté. Si nous avons du mal à avoir de l’empathie pour Howard en début de film, ce n’est que pour mieux nous envoyer un climax redouté, certes, mais terriblement puissant. On ne peut s’empêcher de penser à James Caan dans Le Flambeur tant Howard enchaîne tous les pires choix possibles pour arriver à ses fins et nourrir son addiction au jeu. Et dans ce rôle, Adam Sandler excelle avec un charisme rare. Sa gouaille naturelle dessert un personnage à la fois torturé et tortueux pour lequel nous n’arrivons pas pleinement à cautionner les actes, mais qui finit par nous prendre en pitié tant ses choix incongrus révèlent sa véritable nature. Howard n’est qu’un pauvre type qui rêve de gloire. Il ne constate pas le mal qu’il provoque. Il ne se laisse pousser que par la satisfaction de son ego…et tant pis si sa famille ou ses amis doivent en souffrir. Oui, Adam Sandler est véritablement incroyable dans l’exercice, mais il n’est pas le seul à habiter le film. En réalité, la totalité du casting est épatant. Uncut Gems est un film nerveux, il fallait donc que les personnages que l’on y croise le soient également et soient portés par des acteurs à l’aura aussi puissante. Que ce soit Eric Bogosian qui fait froid dans le dos à chacune de ses apparitions, la succulente Julia Fox qui volerait presque la vedette à Adam Sandler tant elle lui tient tête avec une aisance décomplexée ou encore Idina Menzel troublante en ex-épouse, Uncut Gems peut se targuer de nourrir son scénario avec des personnages iconiques et forts. De plus, les actions se déroulent dans un flux tendu en permanence qu’on en vient à redouter les quelques rares moments d’accalmie qui ponctuent l’œuvre. Toute la force du film des frères Safdie réside là-dedans. Nous savons que toutes les situations peuvent virer à l’horreur la plus infâme à chaque seconde, nous ne savons juste pas quand ça arrivera (si ça doit arriver). Voilà pourquoi nous parlions de film éreintant, nous sommes aux aguets en permanence.

Uncut Gems est une vraie bonne surprise et une claque incommensurable. Le film ne ménage jamais son spectateur et l’enferme dans l’agression physique et psychologique constante pour mieux l’inviter à se confronter à son climax d’une intensité folle. Un film hautement recommandable à regarder dans le plus grand des silences tant la décharge d’informations qui en découle vous demandera un dévouement total.

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