Coffret Roman Porno : Une histoire érotique du Japon

C’était la belle surprise de la fin d’année 2019 : Elephant Films sortait le 17 décembre dernier dans un superbe coffret dix films japonais issus de la tradition du Roman Porno. Un cadeau idéal pour mettre nos sens en éveil et surtout l’ocassion de (re)découvrir ce genre cinématographique propre au Japon par le biais d’un prisme nouveau, loin de coller à l’étiquette sulfureuse qu’on a bien voulu lui prêter à l’époque de par ses scènes de nudité.

Mais d’où vient le Roman Porno (Romanesque Pornographique) ? D’une initiative de la Nikkatsu, grand studio de cinéma japonais qui, pour faire face aux aléas d’une industrie en danger à cause de la télévision, décida de produire des films de ce registre pour assurer sa survie économique. Tournages rapides, obligation de caler de la nudité et du sexe à peu près toutes les dix minutes et rentabilité maximale. Pendant 17 ans, la Nikkatsu fit prospérer le genre avec un rythme de production ahurissant (deux Roman Porno sortaient chaque semaine !) avant qu’il ne prenne fin à l’arrivée de la vidéo, désormais médium privilégié des productions érotiques avec l’avénement d’une nouvelle forme de consommation du porno. En 2016, la Nikkatsu entreprit de redonner un second souffle au genre en proposant à cinq cinéastes de réaliser leur Roman Porno. Ce coffret réunit ces cinq hommages au genre mais aussi cinq grands classiques du Roman Porno, chaque film d’époque pouvant être mis en parallèle avec un film réalisé en 2016, souvent faits en hommage à un cinéaste ou un film bien précis.

Les amants mouillés, un des films les plus emblématiques du genre

Passée la découverte affriolante et les émois érotiques, force est de constater que ces films ont non seulement perdu de leur aspect sulfureux mais qu’ils se regardent également à travers bien d’autres prismes. Des cinq films ‘’classiques’’ du coffret, tous proposent un regard fort sur la sexualité japonaise mais lèvent aussi le voile sur les différences notables entre les classes sociales. Ainsi rapports de domination et violence de classe sont au cœur de plusieurs films, auscultant avec justesse le malaise de la société japonaise avec d’un côté la classe riche de plus en plus consumée par le capitalisme (poussant au vice et à la possession) et de l’autre la classe plus pauvre, aux désirs violents. Des thèmes qu’on retrouve déjà à l’époque, notamment de façon très forte chez Shohei Imamura, grand cinéaste du désir.

Ces rapports conflictuels, passant donc par le sexe (parfois brutal, comme le font les personnages des Amants mouillés et de L’extase de la rose noire, capables de forcer une femme à leur faire l’amour) s’expriment à travers les cinq films proposés. Tatsumi Kumashiro, l’un des chefs de file du Roman Porno est peut-être celui qui exprime cela avec le plus de virulence. N’hésitant pas à jouer sur les codes cinématographiques à la façon de la Nouvelle Vague, Kumashiro réalise avec Les amants mouillés et L’extase de la rose noire deux films phares du genre, définissant avec force ce qui fait le sel du Roman Porno. Les deux héros de ces films, l’un jeune homme en quête d’un chez-soi, l’autre pornographe en quête d’une nouvelle actrice pour ses films, sont tous deux des marginaux, attirés par des femmes qui ne sont pas de leur classe sociale. Dans L’extase de la rose noire, pour pousser la bourgeoise à coucher avec lui, le personnage devra mentir et se montrer retors. D’un côté, il y a la perversité assumée des marginaux, de l’autre l’hypocrisie ingénue des femmes bourgeoises, qui finissent par prendre énormément de plaisir dans l’acte sexuel.

Lady Karuizawa

Les femmes, comme le dit le cinéaste Masaru Konoma sont à l’origine du Roman Porno. Elles sont celles qui stimulent l’imagination des cinéastes, celles qui se dévoilent le plus et qui se montrent les plus intéressantes. Konoma peut en témoigner, lui qui a réalisé avec Lady Karuizawa le meilleur film du coffret, qui, s’il ne contenait pas son lot inévitable de scènes de sexe serait le plus susceptible d’exister pour lui-même avec une subtilité infinie. Soit l’histoire de Junichi, un jeune homme tombant sous le charme de Keiko, une femme de la bourgeoisie régulièrement abandonnée par son mari dans sa maison de campagne. Issu de la classe ouvrière, ayant dû vivre de petits boulots médiocres et subir une humiliation lors d’une réception où il travaillait en tant que serveur, Junichi finit par gagner les faveurs de Keiko. Mais leurs séances de sexe font oublier à la femme son enfant qui tombe dans une mare alors que sa mère est au lit. S’il n’a rien, l’incident pousse Keiko à rompre avec Junichi, celui-ci finissant par tomber dans les bras de sa nièce, une jeune femme vicieuse qui permet cependant à Junichi d’accéder à la réussite sociale… Réalisé avec une véritable tendresse et une infinie subtilité, analysant la complexité des rapports de classe aussi bien que celle des sentiments amoureux, Lady Karuizawa est un film à découvrir absolument, aussi bien pour la beauté de l’actrice Miwa Takada (nue à l’écran pour la première fois de sa carrière) que pour ce qu’il raconte de l’évolution sociale du Japon du début des années 80.

Nuits félines à Shinjuku

Précieux aussi, Nuits félines à Shinjuku l’est pour le regard naturaliste que pose Noboru Tanaka sur la vie nocturne du quartier de Shinjuku et de ce qu’il se passe dans les salons de massage. S’il n’oublie pas d’injecter de la poésie dans le portrait qu’il fait de ses héroïnes (dont la joie de vivre est communicative), sa description réaliste du milieu et l’attachement immédiat qu’il crée envers ses personnages en un peu plus d’une heure de film viennent rappeler une série comme The Deuce. Ainsi, Nuits félines à Shinjuku demeure un film important, aussi bien pour sa valeur historique que cinématographique.

Antiporno

Dommage que ces films ‘’classiques’’ soient finalement complétés par des hommages alors que le coffret aurait pu exploiter encore plus de films emblématiques du Roman Porno. Les hommages réalisés en 2016 sont loin d’être désagréables mais ont un peu tendance à tourner à l’exercice formel un peu vain, sans proposer vraiment un regard nouveau sur le genre. On saluera certainement l’entreprise d’auto-sabotage de Sono Sion qui, avec Antiporno, affirme qu’il n’en a rien à faire du genre et n’en fait qu’à sa tête avec un film aussi pop que coloré et bruyant. L’exercice de style tourne malheureusement à vide, Sion ayant du mal à canaliser la colère qu’il souhaite exprimer à travers son sujet en dépit de plusieurs idées absolument fascinantes. En cela, le film se rapproche d’Angel Guts : Red Porno, cinquième film du coffret de la période ‘’classique’’, volet de la saga Angel Guts qui déconstruit à sa façon l’imagerie du Roman Porno en poussant les curseurs du genre à fond. Il faut dire qu’en 1981, la vidéo a déjà fait son apparition et la Nikkatsu doit faire preuve d’une inventivité renouvelée pour attirer du public dans les salles. C’est chose faite avec cet étonnant film à mi-chemin entre le thriller et l’étude psychologique, se concentrant sur une jeune femme qui voit sa vie basculer le jour où elle remplace une amie pour une session de photos très érotiques, attirant alors vers elle des regards qu’elle ne désirait pas forcément… Pour mieux plonger dans la psyché de ses personnages, le réalisateur Toshiharu Ikeda multiplie les idées, allant de scènes de fantasmes humides jusqu’à deux scènes de masturbation féminines complètement folles, l’une avec un œuf, l’autre avec un pied de table… Autant dire que Red Porno laisse songeur de par son approche frontale du sexe, avec un sens de la mise en scène toujours aussi travaillé mais beaucoup plus cru tout en s’inscrivant dans la même démarche de donner au corps de la femme toute sa dimension charnelle, permettant de mieux exprimer sa psyché.

Les autres films hommage sont plus sages et l’on regrettera même qu’en 2016, la Nikkatsu n’ai fait appel à aucune femme pour aborder le genre avec son point de vue. Entre l’hommage un peu trop déférent de Nakata à son mentor Masaru Konoma avec White Lily (avec toujours du sexe au cœur de la lutte des classes), au versant moderne de Nuits félines à Shinjuku avec L’aube des félines, seuls A l’ombre des jeunes filles humides et Chaudes Gymnopédies sortent un peu du lot – pas étonnant vu ses titres laissant songeurs…

A l’ombre des jeunes filles humides

A l’ombre des jeunes filles humides reprend la figure du metteur en scène qui part à la campagne s’éloigner des tourments de la ville pour mieux tomber sur une jeune femme qui, ni une ni deux, se jette à la mer, ressort de l’eau en enlevant son t-shirt mouillé et entreprend de coucher avec le personnage, le pourchassant jusqu’à ce qu’il cède. Un jeu qui prendra bien évidemment des tournures étonnantes et révélera chacun des personnages, tentant de sonder les enjeux d’un Japon moderne aux nouvelles frontières bien floues. Chaudes Gymnopédies en fait autant, convoquant à nouveau la figure du metteur en scène dans ce qui paraît comme le versant moderne de L’extase de la rose noire où un réalisateur égocentrique et incorrigible séducteur doit faire face au départ de l’actrice principale de son film et ainsi affronter les affres de la production… et du chaos de sa vie moderne.

Là où les personnages du Roman Porno des années 70 et 80 pouvaient être en quête d’ascension sociale, ceux des années 2016 sont surtout en quête de sens, de but dans leur existence, il s’agit pour eux de faire reconnaître aux autres leurs désirs afin de pouvoir exister. Une constatation qui en dit long sur l’Histoire du Japon, le pays étant désormais bloqué à courir après le travail sans prendre le temps de vivre. Finalement, derrière la nudité et la facilité d’appâter le spectateur, le Roman Porno n’est que le miroir de la société qu’il dépeint, ayant parfois plus de sens que nombre films déjà vus sur le même thème. N’est-ce pas le désir et le sexe qui font tourner ce monde après tout ?

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