Les cinq secrets du désert : Un renard face à un autre

Pendant la seconde guerre mondiale, la plupart des réalisateurs hollywoodiens sont mis à contribution pour l’effort de guerre, avec un regard sur l’actualité souvent étonnant, le cinéma américain n’ayant jamais eu peur de se confronter directement à son Histoire récente. Ainsi, quand Billy Wilder réalise Les cinq secrets du désert (désormais disponible en Blu-ray et DVD chez Elephant Films depuis le 12 novembre dernier) en 1943, il situe l’action du film en 1942, juste avant la défaite d’Erwin Rommel face aux troupes anglaises.

De l’exercice classique du film de propagande, Wilder se sort à merveille, avec son intelligence habituelle. Aidé de son fidèle complice Charles Brackett, il détourne et s’approprie une pièce de Lajos Biro et situe donc l’action du film dans un hôtel isolé dans un coin de l’Egypte. C’est dans cet endroit que le caporal anglais John J. Bramble trouve refuge, épuisé, après avoir vu son bataillon se faire décimer (étonnante scène de début où des cadavres jonchent un tank avançant seul parmi les dunes). Mais Bramble n’a guère le temps de se reposer car c’est précisément dans cet hôtel que s’installe un régiment allemand. Parmi eux, le maréchal Rommel en personne ! Bramble, aidé par le patron des lieux et par son employée, décide alors de se faire passer pour Davos, un autre employé de l’hôtel mort sous des décombres à la suite d’un bombardement. Il ignore que Davos était un espion à la solde des allemands et via ce quiproquo, il réalise que la clé de la victoire de Rommel, repose sur cinq cachettes dans le désert, où bien avant la guerre, les allemands avaient déjà tout prévu et entreposé des vivres, des munitions et de l’essence. Ne reste plus qu’à Bramble de découvrir l’emplacement de ces cachettes sans se faire démasquer…

On devine aisément combien ce jeu de dupes et cet affrontement consistant à savoir lequel de Bramble ou de Rommel sera le plus rusé est un fabuleux terrain de jeu pour Wilder. Jeune cinéaste (il s’agit là de son deuxième film américain mais il tire déjà le meilleur parti possible de ses décors) mais scénariste aguerri, il a la qualité de savoir présenter ses personnages à merveille et de les définir en l’espace d’une séquence. On se régalera ainsi de la scène introduisant un Rommel vaniteux et sûr de lui (le choix d’Erich von Stroheim pour l’incarner est formidable) ou encore de celle du général italien accompagnant les allemands, caricature savoureuse à qui tout échappe en permanence.

Avec Brackett, Wilder, non content de réussir ses personnages sait également les inscrire au sein d’un récit trépidant. L’exercice du huis-clos ne lui fait pas peur, on connaît moins ses talents formalistes que ceux de réalisateur mais sa mise en scène s’inscrit toujours au sein d’un dispositif logique, découlant soit du récit, soit du tempo de ses comédiens. De fait, le cinéaste ménage là un joli suspense, faisant de son film un habile jeu de dupes à mi-chemin entre le film de guerre et le film d’espionnage. Les cinq secrets du désert n’en ménage pas moins une trajectoire plus tragique, celle du personnage de Mouche incarné par Anne Baxter (encore à ses débuts mais déjà merveilleuse) dont les objectifs diffèrent de ceux de Bramble pour une destinée pour le moins inattendue.

Tout le cinéma de Wilder est donc déjà réuni dans ce film, dont on regrettera seulement la prestation un peu fade de Franchot Tone dans un rôle que Wilder souhaitait pour Cary Grant (le grand rendez-vous manqué de sa carrière, les deux hommes n’ayant jamais travaillé ensemble). Pas de quoi gâcher le plaisir cependant, Les cinq secrets du désert étant déjà d’une belle maîtrise. Le film suivant de Wilder, Assurance sur la mort montrera le cinéaste en pleine possession de ses moyens mais c’est une autre histoire…

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*