Tommaso : Portrait de l’artiste à Rome

Depuis le temps qu’ils collaborent ensemble (5 films depuis 1998), Abel Ferrara et Willem Dafoe sont arrivés à un tel niveau d’osmose et d’entente artistique qu’il n’est pas surprenant de voir Tommaso, nouveau film du cinéaste, brouiller un peu plus les pistes entre Ferrara et son alter-ego de fiction incarné par Dafoe. Ici, plus de doute possible, Tommaso, le personnage de cinéaste interprété par l’acteur est bel et bien l’alter-ego direct de Ferrara, qui va pousser la mise en abyme jusqu’à faire tourner dans le film sa propre femme dans le rôle de la femme de Tommaso et sa propre fille (dont Willem Dafoe est le parrain) dans le rôle de la fille de Tommaso, le tout tourné dans le propre appartement de Ferrara à Rome !

L’exercice quasi-autobiographique apparaît alors comme la matrice principale du film même s’il brouille volontairement la frontière entre réalité et fiction (et même entre  »réalité et performance » de l’aveu même de Ferrara). Nul doute sur le fait que la jalousie tiraillant le personnage de Tommaso et son passé de junkie et alcoolique vient du cinéaste mais Willem Dafoe apporte également sa propre sensibilité au personnage, une certaine douceur et tendresse que Ferrara n’a pas forcément. Vertigineux dans son dispositif, le film, majoritairement tourné avec des acteurs non-professionnels dans des situations données mais laissant place à l’improvisation, permet de donner une belle impression de vie au cœur de son récit.

Dès le début, par l’aisance de jeu naturelle de Willem Dafoe (qui pourrait même jouer un tabouret de bar avec un charisme incroyable), Tommaso dégage une belle énergie. On se laisse très vite porter par ce personnage dont on partage les moments d’émotions comme les doutes concernant son couple. Peu à peu consumé par la jalousie et la colère (alors même qu’on ne cesse de lui conseiller d’être plus empathique), Tommaso va se perdre dans ses émotions et être assailli par des visions qui le terrifient. Un personnage dans la lignée directe de tous ceux que Ferrara met en scène, consumé par sa part d’ombre en dépit de ses bonnes intentions. Si l’exercice est intéressant et que Dafoe donne corps au personnage avec aisance, on regrettera néanmoins que le récit trouve quelques limites dans ses longueurs, donnant l’impression de tourner un peu en rond, peinant à raconter autre chose que ce qu’il a déjà exprimé dans sa première partie.

Tommaso arrive cependant à éviter l’impression de tourner à vide tant on sent Abel Ferrara impliqué derrière avec une sincérité et une lucidité tout simplement désarmantes. Bien que moins impactants que ses débuts, ses films continuent à fasciner par une approche plus libre, plus expérimentale mais toujours réalisés avec les tripes, en flirtant au bord du gouffre. Le film, bien que limité dans son exercice, n’en demeure alors pas moins crucial pour comprendre ce cinéaste qui n’a jamais fait de concessions et qui demeure fidèle à lui-même à travers son art.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*