Les filles du docteur March : Destins Frondeurs

Figure singulière du cinéma indépendant américain depuis quelques années, Greta Gerwig n’a pas joué dans un film depuis le Jackie de Pablo Larrain en 2016. Si elle a donné de la voix sur l’excellent L’île aux chiens de Wes Anderson, ces dernières années l’ont surtout vu s’épanouir en tant que réalisatrice. Après avoir co-réalisé Nights and Weekends en 2008, elle se révélait surtout excellente directrice d’acteurs avec Lady Bird en 2017, portrait à priori classique d’une adolescente en rébellion mais dont le ton savamment dosé entre humour et mélancolie faisait mouche. Dès lors, en dépit de la crainte que l’on avait de la voir s’attaquer à une énième adaptation des Quatre filles du docteur March, il n’est guère étonnant de la voir totalement à l’aise avec ce récit quasiment taillé pour elle, Gerwig s’emparant avec vigueur des grandes thématiques féministes du roman tout en distillant un peu d’elle dans chacun des personnages.

De fait, Les filles du docteur March est à l’image de Greta Gerwig et de ce qu’elle a déjà pu écrire : bouillonnant d’énergie, vivant, jamais posé et toujours bruyant. Pour décrire le quotidien de ces quatre sœurs et de leur destin pendant la Guerre de Sécession, Gerwig a sorti sa plus belle plume et a su affûter ses personnages. Aucune sœur de la fratrie n’est laissée de côté, de la téméraire Jo à l’impulsive Amy en passant par la romantique Meg et la délicate Beth. Si le récit est évidemment concentré sur Jo, moteur du film en qui Gerwig se reconnaît très certainement (elle donne d’ailleurs le rôle à l’excellente Saoirse Ronan, qui fut déjà sa Lady Bird), il se permet de délicieux écarts, croquant à pleines dents la vie de cette famille, faite de difficultés, de chagrin mais aussi de tendresse et d’humour.

Tout en maîtrisant parfaitement les délicates scènes romantiques du film (pas difficile quand Timothée Chalamet, présent lui aussi dans Lady Bird, s’y invite), Greta Gerwig surprend surtout par sa capacité à générer incessamment de la vie dans son cadre, laissant libre cours à ses actrices (et quel bonheur de voir enfin Laura Dern dans un second rôle conséquent et bien écrit !). Les scènes mettant en avant toutes les sœurs sont parmi les plus réussies du film tant elles sont vivantes et semblent réalistes, avec ce qu’il faut de boucan pour être totalement crédibles. On reconnaîtra là le sens de la direction d’acteurs de Gerwig qui fait des merveilles, parvenant à rendre juste Emma Watson tout en continuant d’affirmer que Saoirse Ronan et Florence Pugh sont décidément de formidables actrices. Bien que convenu pour quiconque connaît un peu le roman ou ses précédentes adaptations, le récit est merveilleusement articulé autour de deux temporalités, mises bout à bout par un montage électrisant, affirmant la modernité du film, évitant ainsi l’aspect poussiéreux du genre tout en conférant aux thématiques du film (chacune des sœurs suit son destin à sa façon) une résonance actuelle jamais trop appuyée.

On se délectera donc de cette nouvelle adaptation par la réalisatrice qui ne se fait pas du tout déborder par l’exercice et parvient au contraire, à livrer un film dans la droite lignée de Lady Bird avec un ton qui lui est propre sans pour autant trahir l’œuvre originale. Et si la frimousse de Greta Gerwig nous manque à l’écran, on reste très curieux de la suite de sa carrière de réalisatrice qui continue sous les meilleurs auspices possibles…

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