Watchmen : Everydoby should watch the watchmen

Alors que les super-héros se déversent de toutes parts sur les écrans et qu’on n’a pas vu de proposition ambitieuse et audacieuse dans le genre depuis Logan, voilà que Watchmen, roman graphique d’Alan Moore et Dave Gibbons, pièce maîtresse absolue et inégalée du genre, est adaptée en série. Quelle curieuse idée que voilà mais ô combien excitante en sachant que c’est à Damon Lindelof, brillant showrunner (Lost, The Leftovers) qu’a été confié le projet et que c’est avec la ferme volonté de respecter l’esprit de l’œuvre originale que le scénariste s’est attelé à cette mini-série (c’est en tout cas ainsi qu’il l’a conçu, la suite nous dira si une saison 2 est commandée) de neuf épisodes, pensée comme une suite au comics, se déroulant à notre époque.

L’idée même de s’approprier Watchmen était foncièrement casse-gueule (pour preuve, les comics Before Watchmen sont assez inégaux) mais Lindelof a su dès le début créer une attente autour de la série avec une belle intelligence, marchant dans les pas d’Alan Moore sans pour autant s’y caler, le respectant avec une belle déférence (qui ne sera jamais assez suffisante pour certains gardiens du temple) tout en osant y caler ses propres idées et réflexions. Attention cependant, il faudra avoir lu le comics pour pouvoir se plonger dans la série, celle-ci ne prenant aucun gant avec les néophytes, construisant son univers en se moquant bien éperdument de ceux qui seraient perdus en cours de route. Un sacré pari, s’avérant gagnant car permettant de gagner du temps et de jouer avec le spectateur qui s’amusera dès le premier épisode à retrouver les références à l’œuvre originale.

Il n’est cependant pas question pour Damon Lindelof de faire du fan-service mais, à travers cette suite, prolonger la mythologie créée par Alan Moore et Dave Gibbons sans avoir peur de se l’approprier. Il en résulte, n’osons pas peur de le dire, un véritable miracle puisque la magie opère sans jamais nous forcer la main et si le début de la série est un peu laborieux, à partir de l’épisode 5, elle n’aura de cesse d’aller de coup de génie narratif en coup de génie narratif via des procédés guère étonnants pour qui aura vu les précédentes séries sur lesquelles Lindelof a travaillé, le formidable et touchant épisode 5 travaillant la même veine que The Leftovers quand l’épisode 6 et 8 vont chercher du côté de la richesse du récit de Lost, le huitième rappelant l’épisode The Constant de la saison 4 de Lost centré sur le personnage de Desmond avec la même portée émotionnelle (les vrais sauront).

Mais que raconte donc Watchmen ? En filigrane, comme Moore l’avait fait en 1986, il raconte une époque. Nous sommes en 2019 : alors que le Docteur Manhattan s’est exilé sur Mars, qu’Ozymandias se fait passer pour mort, que Laurie est devenue agent du FBI et que de fréquentes pluies de calamars continuent de s’abattre sur un monde où Robert Redford est président des États-Unis, un groupe de suprémacistes blancs portant des masques de Rorschach œuvre en Oklahoma sur un mystérieux plan qui leur permettrait de gouverner le monde. Angela Abar, policière contrainte de porter un masque comme tous ses autres collègues suite à une sanglante nuit d’assassinats sur des policiers, va devoir faire face à un assassinat et à son passé pour résoudre cette affaire. Parallèlement, une scientifique brillante semble elle aussi travailler à un plan bien ambitieux et Ozymandias, toujours vivant, est en exil dans un étrange manoir… Nous n’irons pas plus loin sous peine de déflorer l’intrigue, évidemment riche et pleine de surprises, constituant une véritable prouesse narrative de la part d’un scénariste intelligent qui n’oublie jamais l’essence de son récit, ne se contentant pas d’être brillant juste pour le plaisir.

En effet, en nous montrant une réalité alternative proche de nous avec ses suprématistes blancs, Damon Lindelof nous parle de blessures toujours ouvertes et ce n’est pas pour rien si l’héroïne de la série est afro-américaine. C’est bien de l’Amérique actuelle dont il s’agit, quand bien même elle n’est pas peuplée de super-héros. Non content de rattacher sa série à un discours politique fort, Lindelof maîtrise surtout parfaitement bien le pont entre passé et présent, montrant au cours d’un épisode 6 brillant, combien les blessures du passé restent ouvertes pendant longtemps. Ce contexte, venant articuler l’arc majeur de la série (qui s’ouvre par un massacre d’afro-américains et se conclut quasiment sur une magnifique phrase de conclusion prononcée par Louis Gossett Jr.) n’est cependant pas le seul à faire le sel de la série qui s’autorise des envolées émotionnelles à la portée incroyable quand elle ne nous touche pas en resserrant son récit sur un personnage encore traumatisé par le calamar géant tombé sur New York. Interrogeant notre capacité à aimer, à vivre avec le passé et prolongeant la vertigineuse réflexion sur la perception du temps et sur le pouvoir qui irriguait déjà une partie de l’œuvre originale, Watchmen est bien plus que l’œuvre attendue, elle dépasse toutes nos attentes et chacun de ses épisodes vient remettre en question nos convictions acquises lors du visionnage précédent.

Riche de détails, dotée d’un casting fabuleux (Regina King est décidément formidable, Jeremy Irons – et cela faisait longtemps – étincelle complètement, Tim Blake Nelson et Jean Smart sont impeccables), bardée de morceaux de bravoure (rien que la fusillade dans un pré avec des vaches est inoubliable) et constamment exigeante, Watchmen se pose alors comme la meilleure série de l’année et fascine par sa capacité à prolonger avec une aisance déconcertante le comics originel sans aucune rupture de ton, enrichissant sa lecture de nouvelles thématiques dont Moore, ne lui en déplaise, lui qui ne veut plus rien avoir à faire avec les adaptations de ses travaux, pourrait être fier. A défaut que Moore apprécie ce petit bijou, rien ne nous empêche de le faire et plutôt deux fois qu’une pour réaliser combien les ramifications complexes de la série s’alignent parfaitement d’un bout à l’autre. A ce niveau-là, c’est presque du génie !

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