Elmer Gantry, le charlatan : J’aurais beau être prophète, s’il me manque l’amour, je ne suis rien.

Scénariste et réalisateur de talent, Richard Brooks a une filmographie à redécouvrir, faite de films aux genres variés, allant de l’adaptation littéraire de qualité (Lord Jim d’après Joseph Conrad, La chatte sur un toit brûlant d’après Tennessee Williams, De Sang-froid d’après Truman Capote) au scénario original (Bas les masques, l’un des meilleurs films américains sur le journalisme) capable de vous frapper en plein cœur. Difficile dès lors de comprendre pourquoi Brooks n’est pas plus souvent cité parmi les cinéphiles, lui dont une bonne partie de la carrière est véritablement passionnante.

En sortant Elmer Gantry, le charlatan dans une très belle édition incluant Blu-ray, DVD et livret de 80 pages le 4 décembre prochain, Wild Side (qui avait déjà édité Lord Jim) entend réparer cette erreur et refaire parler de Brooks avec l’un de ses films les plus célèbres, qui vaudra à Burt Lancaster le seul Oscar de sa carrière. Fasciné par l’évangélisme, mouvement religieux très en vogue durant la Prohibition où un prêcheur charismatique pouvait avoir plus de poids sur les foules que les policiers ou les politiques, Brooks avait déjà repéré dès le début de sa carrière le roman de Sinclair Lewis sur lequel le film est basé. Lewis, conscient des défauts de son roman qu’il jugeait peu réussi, donna ainsi libre cours à Richard Brooks pour le travail d’adaptation. Celui-ci se fit en étroite collaboration avec Burt Lancaster, acteur réputé pour être difficile et exigeant avec les réalisateurs, capable de les user avec son caractère bien trempé. Brooks, dont la réputation était également difficile (il n’était pas rare qu’il malmène ses acteurs) ne pouvait que tirer le meilleur d’une telle collaboration, Lancaster adorant tellement le rôle qu’il alla jusqu’à dire  »Je n’étais pas fait pour être Elmer Gantry, je suis Elmer Gantry. »

Difficile de lui donner tort tant le personnage correspond à la personnalité de Lancaster. Elmer Gantry est un représentant de commerce fort en gueule, charmeur, capable de vendre n’importe quoi grâce à un bagout irrésistible et un sourire Colgate impressionnant. Errant de ville en ville pour gagner sa vie, il croise un jour le chemin de Sœur Sharon Falconer, prêcheuse au visage angélique. Fasciné par ce joli bout de femme capable de tenir une foule dans sa main, il sent également la bonne affaire et lui propose de s’associer avec elle, s’inventant un passé et, avec son aisance naturelle, il s’impose très vite comme un prêcheur charismatique. Alors qu’il tombe sous le charme de Sharon et qu’il se prend de plus en plus au jeu de sa nouvelle profession, lancé dans une guerre contre les bars clandestins et les bordels qu’il fréquentait, sa route va de nouveau croiser celle d’une prostituée qui pourrait bien le bouleverser…

Avec Elmer Gantry, Richard Brooks surprend par sa méticulosité, retranscrivant à merveille l’époque bouillonnante des années 20 et de son besoin absolu des gens de croire en quelque chose dans ce monde hypocrite où les bars clandestins existent et que tout le monde le sait. S’identifiant clairement au personnage de journaliste joué par Arthur Kennedy, Brooks (qui a lui-même été journaliste) pose un regard cynique sur les mouvements évangélistes, vite capables de se détourner de leur mission initiale pour devenir de florissantes entreprises. Une scène en particulier, montrant plusieurs dirigeants évangélistes se réunir montre bien que ce mouvement a une pensée capitaliste bien loin de ce qu’ils prêchent. Brooks se moque également de la crédulité des gens, capables de suivre le premier venu qui parle bien dans un espoir de salut bien hypocrite, ces gens-là étant les premiers à devenir bêtes et méchants quand ils réalisent que ceux qu’ils écoutent avec ferveur ne sont finalement que des êtres humains. Même la pauvre Sœur Sharon (Jean Simmons, formidable dans un rôle difficile) n’échappe pas au regard impitoyable du cinéaste qui la condamne dès l’instant où elle se prend trop au jeu de son propre numéro de fervente croyante.

Finalement la tendresse de Richard Brooks (qui ne recule devant rien dans le film, se permettant des allusions sexuelles audacieuses durant tout le film) se porte sur Elmer Gantry. Manipulateur flamboyant, avide de succès, Elmer n’en est pas moins touchant car sincère dans sa bonne volonté et dans son amour pour Sœur Sharon, tout en étant lucide sur la nature de son entreprise. On ne pourra pas donner tort à Burt Lancaster dont c’est l’un des rôles préférés tant l’acteur y est au sommet, ultra-charismatique, charmeur, capable de vous transporter les foules en un rien de temps. Sa prestation haute en couleurs est formidable, donnant du cœur à un film auquel on pourra reprocher un léger manque de souffle dans la mise en scène, dont l’énergie ne parvient pas forcément à transcender l’écran lors de certaines séquences clés. Reste cependant la puissance du scénario, s’en prenant à la naïveté des gens, posant un regard lucide sur une époque riche et violente des États-Unis et dont la pertinence se fait encore écho aujourd’hui.

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