J’ai perdu mon corps : Rencontre avec le réalisateur Jérémy Clapin

Avec J’ai perdu mon corps, Jérémy Clapin adapte librement un roman de Guillaume Laurant pour signer son premier long-métrage. Ce parcours d’une main coupée pour retrouver le corps à qui elle appartenait a bien mérité la belle réputation qu’il s’est taillé en festivals au fil de ses présentations. En effet, J’ai perdu mon corps est un petit bijou, ne ressemblant à rien d’autre qu’à lui-même. Une volonté affirmée par Jérémy Clapin dont la note d’intention du projet colle parfaitement au résultat final. Rencontre :

Contrairement à vos précédents films, J’ai perdu mon corps n’est pas un projet de votre initiative, comment en êtes-vous arrivé à travailler sur le film ?

En 2011, le producteur Marc du Pontavice m’a contacté par mail pour me dire qu’il avait aimé mes courts-métrages et qu’il voulait discuter. Je ne le connaissais pas personnellement mais je connaissais le travail de sa société Xilam (à l’origine de séries comme Oggy et les cafards, Les nouvelles aventures de Lucky Luke, Zig et Sharko) et j’étais curieux de la rencontre. Il venait de produire Gainsbourg, vie héroïque et je me suis dit qu’il cherchait peut-être à travailler sur des films plus adultes. Effectivement, il m’a proposé de travailler sur Happy Hand, roman écrit par Guillaume Laurant qui est le scénariste du Fabuleux destin d’Amélie Poulain. Marc trouvait des corrélations entre mon travail et le roman de Guillaume, j’ai donc lu le livre en une semaine et j’ai été totalement séduit par ce point de vue totalement nouveau, le vocabulaire de cette main, ses réflexions. J’en suis venu à m’interroger sur ma propre main ! J’étais conquis.

Ça c’était en 2011 et nous sommes désormais en 2019, que s’est-il passé entre temps ? Le film a été difficile à vendre ?

Oui le pitch était particulièrement difficile à vendre auprès des financiers. Et puis l’écriture du scénario a été assez compliquée. Dans le roman, on connaît les sentiments de la main donc logiquement les premières versions du script contenaient de la voix-off. Il a fallu la supprimer au bout d’un moment car ça ne marchait pas. C’est la première adaptation que j’écrivais donc ma connaissance de ce travail était totalement empirique, j’ai beaucoup travaillé avec Guillaume dessus mais ça bloquait. Et puis on m’a rapidement encouragé à travailler sur ma propre vision du livre, de le trahir carrément comme s’il n’existait pas ce qui m’a énormément débloqué. J’ai pu amener mon univers au sein du projet, je voulais vraiment qu’on le vive comme un voyage avec des codes différents, que ce soit sensoriel, poétique, je voulais apporter un point de vue nouveau sur le monde avec cette main. Le story-board a également pris du temps et puis oui, on a passé énormément de temps à attendre des subventions qui n’arrivaient pas !

Vous avez défini rapidement le style graphique du film ?

Non, j’ai eu beaucoup de temps pour travailler là-dessus et tâcher d’expérimenter et de voir le champ des possibles qui s’ouvraient à moi pour donner corps au film. Pendant longtemps, j’ai voulu faire de la stop-motion, ça me semblait en corrélation avec le thème du film, forcément très tactile. Mais la matière était difficile à travailler, ça apportait pas mal de contraintes au niveau des scènes à tourner et clairement ça aurait coûté trop cher ! Il a donc fallu trouver une écriture graphique pour filmer des choses de très près et jouer avec les échelles. Le dessin est parfait pour ça, il permet pas mal de libertés, on peut être plus ou moins précis. Et je voulais des personnages qui nous ressemblent, une spontanéité dans le trait, parfois même des imprécisions, pas cette aseptisation que l’on voit partout dans l’animation. Dans ce monde formaté, on a besoin de chaos et c’est désormais seulement en étant différent que l’on peut exister. C’est pour ça que j’ai fait le film.

Et le travail d’animation autour de la main, comment s’est-il effectué ? J’imagine que c’était délicat de ne pas la rendre terrifiante, de nous faire ressentir ses émotions…

C’est vraiment une question d’animation. Je savais ce que je ne voulais pas : il ne fallait pas qu’elle soit drôle ou flippante. Il fallait qu’elle soit naturelle. D’où la première scène avec elle où l’on assiste à sa naissance en quelque sorte, elle est encore titubante et fragile. C’est une façon de faire entrer le spectateur en empathie avec elle, comme avec la naissance de Bambi. Ça crée un lien émotionnel fort ce qui fait que certaines scènes n’en sont que plus touchantes, comme celle avec le bébé.

La musique du film composée par Dan Levy est particulièrement belle, elle crée de l’émotion sans jamais souligner l’action, comment avez-vous travaillé là-dessus avec lui ?

Je ne voulais surtout pas de musique illustrative, du mickey-mousing comme on appelle ça. C’était hors de question. C’est pour ça qu’il n’y a pas de musique quand la main est dans l’action. La musique vient seulement quand on prend du recul sur la quête de cette main, qu’il y a des moments de latence. Dans mes premiers briefs avec Dan, j’ai vraiment insisté sur le fait que je voulais faire de situations quotidiennes autre chose, que la musique nous emmène ailleurs. J’aime à dire que si le film était une petite planète, la musique de Dan serait son univers. C’est elle qui fait tourner ce petit monde.

Vous avez déjà des projets pour la suite ? Quelque chose de totalement personnel après cette commande ?

Après là c’est une commande à la base mais je l’ai vraiment transformé en film personnel. Beaucoup d’éléments du film comme la rencontre entre Naoufel et Gabrielle à l’interphone, la mouche, les enregistrements que fait Naoufel, l’igloo sont de moi. Le livre va d’ailleurs ressortir en librairie le 6 novembre en même temps que le film, ce sera intéressant de comparer les deux médiums. Pour revenir sur mes projets, j’en ai deux dans ma tête mais je leur laisse un peu de temps avant d’arriver, je vais déjà finir la promotion de J’ai perdu mon corps et voir les opportunités qui en débouchent.

Propos recueillis par téléphone le 22 octobre 2019. Un grand merci à Jessica Bergstein-Collay et Robert Schlockoff

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