Les chemins de la haute ville : Il faut se méfier de ses rêves

Distributeur discret mais pointilleux et désireux de nous faire découvrir quelques petites pépites sur grand écran, Les Films du Camélia font fort en ressortant le 16 octobre et dans une version restaurée Les chemins de la haute ville, l’un des chefs-d’œuvre du Free Cinema, ce courant cinématographique anglais né à la fin des années 50 et populaire au début des années 60 qui mettait en scène des personnages issus de la classe ouvrière et pointait du doigt avec férocité les différences entre les classes sociales avec une approche parfois stylisée de la mise en scène certes mais toujours avec un sens du réalisme pertinent.

Les chemins de la haute ville, on le connaît surtout maintenant pour l’Oscar qu’il a valu à Simone Signoret en 1960, juste après son Prix d’Interprétation à Cannes. On le connaît aussi car il marque les débuts de la carrière de Jack Clayton, à qui l’on doit le fabuleux Les Innocents et qui signe là son premier long-métrage. Si l’interprétation de Simone Signoret est bouleversante et que Jack Clayton fait preuve d’un sens de la mise en scène très vif, le film mérite d’être découvert sous bien d’autres aspects.

Adapté d’un roman de John Braine (qui écrira une suite également adaptée au cinéma par Ted Kotcheff avec toujours Laurence Harvey en 1965 et qui participera à l’écriture d’un téléfilm mettant en scène le même personnage), Les chemins de la haute ville est un drame social cruel et amer, où le rêve d’ascension sociale se fait au détriment du bonheur. Le film nous raconte l’histoire de Joe Lampton, un orphelin se trouvant un emploi de fonctionnaire dans une petite ville du Yorkshire. Rêvant de s’élever dans la société, confondant bonheur et confort matériel, il a vite fait de jeter son dévolu sur la jeune Susan Brown, fille d’un riche industriel afin de lui faire la cour. Si Susan ne semble pas insensible à ses charmes, il vit cependant très mal le fait que son entourage ne cesse de le rabaisser en raison de ses origines sociales. Chez les gens de la haute, on ne fraye pas avec le bas peuple, on ne lui parle que pour l’exploiter ou pour s’en moquer. Joe trouve alors refuge dans les bras d’Alice, une femme plus âgée que lui et mal mariée. Au contact d’Alice, il apprend alors ce qu’est le bonheur et délaisse sa rage au profit de quelque chose de plus doux. Il ignore cependant que le peu de contacts qu’il a eu avec Susan vont lui permettre d’accéder à ce qu’il désirait, risquant de compromettre le bonheur qu’il vit avec Alice…

Véritable tragédie, Les chemins de la haute ville pose un regard sans concession sur la bourgeoisie anglaise et ses préjugés tout en épinglant également les rêves d’ascension de Joe, lui qui ne voit qu’en Susan un moyen de connaître la richesse. Quand sa tante lui demande qui est cette fameuse Susan, il ne parvient qu’à lui parler d’elle à travers sa richesse et sa situation. Contenant trop de rage en lui, aveuglé par l’envie de s’élever, Joe se retrouve bien embêté quand il découvre que Susan ne lui plaît guère. Dévoré d’amour pour Alice, il ne comprendra que trop tard son erreur de vouloir frayer avec les gens de la haute… Interprété avec fièvre par Laurence Harvey, Joe Lampton est un personnage inoubliable dont Jack Clayton sublime les tourments en usant d’un noir et blanc travaillé et d’un montage dynamique, mettant souvent en exergue les pensées de Joe via les décors de la ville, rappelant sans cesse à celui-ci d’où il vient, lui faisant miroiter l’inaccessible. C’est cependant quand il s’autorise une sortie champêtre loin de tout que le film touche au sublime et la détresse de Simone Signoret quand elle pressent la fin de sa liaison y est parfaitement bouleversante.

En peu de choses, Jack Clayton transcende le roman de John Braine et à mesure que le film avance et que le visage plein de rage de Laurence Harvey s’effrite, c’est toute la désillusion de la classe ouvrière qui s’exprime, consciente que les riches ne valent pas mieux qu’eux, comprenant trop tard que l’argent n’a jamais acheté le bonheur et que le prix à payer pour réaliser son rêve était bien trop cher pour valoir le coup…

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