Une vie cachée : La foi contre les armes

Après plusieurs films à pousser de plus en plus loin son dispositif de mise en scène jusqu’à frôler l’expérimentation (Knight of Cups, Song to Song), Terrence Malick revient cette année avec un film beaucoup plus narratif où le cinéaste se penche sur une histoire vraie, celle de l’autrichien Franz Jägerstätter qui, pendant la seconde guerre mondiale, refusa de prendre les armes pour le compte des nazis. Objecteur de conscience qui n’eut pas peur d’affirmer très tôt son opposition face au régime nazi, Jägerstätter fut enfermé en prison, loin de sa femme et ses filles, puis finalement exécuté en 1943 après avoir refusé tout compromis sur sa situation, refusant de prêter le moindre serment à Hitler.

S’étant toujours intéressé aux questions de foi, il n’est pas étonnant de voir Terrence Malick s’emparer de la figure de Jägerstätter, qui s’accroche jusqu’au bout à sa conviction, sans jamais céder devant la moindre institution lui intimant de se plier à la volonté générale. La foi animant le personnage s’apparente à celle parcourant tout le cinéma de Malick, immuable, transcendante et si forte que rien ne peut s’y opposer, ni la politique, ni la religion, ni l’armée, ni la logique, ni la raison. La seule chose plus forte que cette foi, c’est l’amour reliant Franz à sa femme Franziska. Tandis que lui vit un véritable calvaire en prison, elle est restée dans son petit village de montagne à travailler la terre, rejetée par tous à cause de la conviction de son mari, avançant malgré tout, bien forcée de suivre le rythme de la nature et de vivre. Âmes reliées, Franz et Franziska font partie de ces gens dont l’histoire ne parle guère (on ne cesse de répéter à Franz que personne ne se souviendra de lui – à tort – puisqu’il est vénéré comme bienheureux et martyr par l’Église catholique) mais dont la vie cachée (magnifique titre tiré d’une citation de George Eliot) vient offrir de l’équilibre dans ce monde.

Pour conter cette formidable histoire de croyance, Terrence Malick n’a rien renoncé à tout ce qui fait son cinéma : voix-off omniprésente, peu de place accordée aux dialogues, caméra flottante, importance accordée à la nature, contre-plongées régulières vers le ciel, grand angle, acteurs de choix apparaissant moins de cinq minutes à l’écran… Le cinéaste a depuis longtemps développé un système de mise en scène tout autant agaçant que fascinant. Agaçant quand il vient trouver ses limites, faisant parfois durer ses séquences pour pas grand-chose mais véritablement fascinant car créant d’emblée une atmosphère où le moindre geste quotidien peut toucher au divin. C’est chose faite ici avec Une vie cachée qui, en dépit de sa durée un peu rebutante de 2h53, parvient néanmoins à capter toute la foi et l’amour de ses personnages (formidables August Diehl et Valerie Pachner) en ne cessant les allers et retours entre le calvaire de Franz, enfermé dans des endroits de plus en plus étroits, et celle de Franziska dont la vie à ciel ouvert n’est pas sans difficulté mais non dénuée de beauté.

Liant sans cesse la nature aux sentiments de ses personnages, Malick parvient ainsi à rendre compte de toute la force de conviction de Franz sans jamais tomber dans l’emphase et la lourdeur, chemin pourtant facile avec un tel personnage. Au contraire, tout en affirmant la pleine assurance de son style (et bien aidé par la très belle musique de James Newton Howard), le cinéaste ne cherche jamais à en faire trop, laissant ses superbes images parler d’elles-mêmes, délivrant leur force dans la durée au fil des courtes séquences se jouant sous nos yeux et dans lesquelles le quotidien devient une incroyable force de résilience. On appréciera alors de voir Terrence Malick accorder son propos et sa mise en scène d’une façon terriblement juste, loin de ses dernières errances un peu douteuses, permettant de capter la force de son héros sans trop en dire, simplement en filmant le ciel ou des herbes bercées par le vent. Et il n’y a décidément que lui pour faire ça…

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