L’Etrange Festival : Jours 6 et 7

Nous le répétons chaque jour, cette édition de l’Etrange Festival est pour le moins soutenue dans son rythme nous concernant, et il était temps que nous ralentissions un peu la cadence, ce qui est chose faite depuis hier, avec seulement 4 films vus en 2 jours, ce qui nous permet de faire un condensé de ces deux dernières journées avec une capacité de concentration supérieure aux jours précédents. Ce mardi, nous avions donc commencé notre journée en soirée, à 19h pétantes, pour Knives and skin, déjà évoqué dans un compte rendu de Deauville, et qui sera distribué dans les salles françaises le 20 novembre, par UFO distribution, décidément de tous les bons coups cette année, puisque ce sont également eux qui se chargeront de la sortie du très réussi Swallow.

Knives and skin de Jennifer Reeder

Concernant le film qui nous intéresse aujourd’hui, on ne fera pas preuve d’une grande audace en affirmant qu’il s’agit d’un mix des univers de David Lynch, particulièrement Twin Peaks, de Richard Kelly ou encore Gregg Araki. La réalisatrice du film le revendique elle-même, du moins concernant l’auteur de Mulholland Drive, donc elle ne nous en voudra pas d’en rajouter une couche. Dès le point de départ, la disparition d’une adolescente dans une petite ville des États-Unis, en Illinois plus exactement, suite à un rendez-vous amoureux s’étant fini de manière frustrante côté masculin, agissant comme révélateur de toutes les frustrations d’une galerie de personnages tous névrosés à divers degrés, on est en terrain connu, avec cette atmosphère planante, irréelle, nimbée de couleurs très oniriques et sublimée par une musique elle aussi très ambiante, à base de synthétiseurs. On ne le niera pas, ces références peuvent parfois agir contre le film, car passé le plaisir immédiat de se retrouver dans une ambiance certes identifiée, mais assez irrésistible pour peu que l’on y goûte un minimum, il faut reconnaître que le fait qu’il s’agisse d’un premier long métrage saute aux yeux, dans cette difficulté de la cinéaste à digérer ses influences, et à en faire quelque chose de réellement personnel. On a une nette impression de personnages manquant un peu d’épaisseur, de personnalités individuelles manquant de force. Le tout manque d’unité, et paraît quelque peu étiré, même si ce rythme languissant participe forcément au charme général. Cependant, on ne pourra enlever à la jeune réalisatrice son désir de vrai cinéma, et sa capacité à capter de petits moments de grâce, on pense notamment à ces moments chantés, sortes de parenthèses enchantées allégoriques, durant lesquelles les personnages peuvent exprimer ce qu’ils ne parviennent pas à extérioriser. Le film parle clairement de cette génération, dans une petite ville des États-Unis aujourd’hui, ayant du mal à construire des relations saines, notamment entres filles et garçons, de par cette éducation culpabilisatrice concernant le sexe. Ces jeunes sont paumés, et ils ont de qui tenir, les personnages adultes n’étant pas mieux lotis. Bref, rien de très original, mais on a bon espoir concernant l’avenir de Jennifer Reeder, montrant suffisamment de dispositions pour la mise en scène, bien qu’encore trop dépendante de ses maîtres spirituels. A suivre, donc !

Ni dieux ni maîtres de Eric Cherrière

Le dernier film de la soirée était français, et constituait une proposition pour le moins audacieuse dans le contexte de production actuel, à savoir un film moyenâgeux, fait avec un budget que l’on devine très serré, et voulant, de l’aveu même du réalisateur, ressusciter ce cinéma de quartier disparu depuis longtemps, qui a fait les plus belles heures d’une célèbre émission de Canal +, dont on parle forcément beaucoup cette année, du fait de la présence de son maître d’œuvre en tant qu’invité prestigieux pour une carte blanche. Le film s’appelle Ni Dieux ni maîtres, est réalisé par un certain Eric Cherrière, auteur du réussi Cruel, et autant le dire tout de suite, en dépit de ses faiblesses indissociables de son budget, c’est une réussite, mineure mais réelle, et la preuve que l’on peut, avec de la motivation et un minimum de talent, confectionner un film qui ait de la gueule avec rien. Situé en 1215, dans un petit village de France, le scénario très simple met en scène un mystérieux étranger arrivant dans ce village où règnent la lèpre et la famine, et où règne un Seigneur ancien héros des Croisades, enlevant avec sa horde de chevaliers une jeune femme, se basant sur son soi disant droit de cuissage envers elle. Aidé par une poignée de villageois, l’Etranger va partir à sa recherche … Un pitch minimaliste, voulant clairement filer droit, ce que sa durée miniature (moins d’1h20) semble accréditer dans un premier temps. Bien entendu, comme on pouvait s’y attendre pour un film tourné en seulement 25 jours, on n’aura pas de grandes scènes de batailles, l’essentiel de l’action étant situé dans un château, éclairé à la bougie. Et ça fonctionne, car malgré le côté un peu verbeux, pas aidé par des dialogues pas forcément audibles, le soin apporté à la photo, avec des plans vraiment jolis, et la démarche même qui nous a été expliquée clairement par le réalisateur avant la séance, nous ramènent à une tradition disparue de films populaires, et le charme, même limité, est réel. On a envie de défendre ce type de projet, qui même sans le budget d’un film comme Le pacte des loups, auquel on peut penser dans l’idée, avec ce mélange audacieux de film historique et de chorégraphies de combats, pas loin du Wu Xia Pian, parvient à se montrer propre et carré, justement parce qu’il a conscience de ses limites et ne cherche pas à nous en mettre plein la vue là où il n’en a pas les possibilités. Même fragile, le film reste attachant dans ses intentions et inspiré dans l’exécution, même si l’on ne sautera bien évidemment pas au plafond. La société The Jokers a produit le film, et devrait le distribuer, mais on se doute bien qu’ils auront malheureusement du mal à le distribuer sur beaucoup de copies.

Pique-Nique à Hanging Rock de Peter Weir

En ce Mercredi, nous nous sommes focalisés sur 2 films issus de la section 25 ans, 25 films, consistant en des cartes blanches à 25 personnalités issues de milieux artistiques variés. L’occasion pour l’auteur de ces lignes de découvrir enfin le culte Pique-Nique à Hanging Rock, réalisé par Peter Weir en 1975, et présenté par Mati Diop, réalisatrice de Atlantique, Grand Prix Cannois cette année, qui sortira dans les salles le 2 octobre prochain. Nous ne nous attarderons pas sur ce film bien connu, si ce n’est pour rappeler qu’il se situe au début du 20ème siècle, en Australie, dans une pension pour jeunes filles. Lors d’un pique nique dans le lieu du titre, montagne sacrée, trois des élèves et leur professeur vont disparaître mystérieusement après s’être engouffrées dans les passages dessinés par les Monolithes. Le début d’une intrigue au rythme languissant, et disons-le clairement, ayant provoqué une véritable déception, ce qui n’engage que nous bien entendu. Malgré les indéniables qualités cinématographiques (lumière vaporeuse, ambiance envoûtante et mystérieuse), nous serons restés à la porte de l’œuvre, et la seconde moitié se sera avérée assez compliquée à suivre attentivement. Un beau film objectivement, mais un peu hermétique. Mais au moins, la lacune est réparée, et c’est une bonne chose de pouvoir dire que l’on a enfin vu ce film.

La marque du tueur de Seijun Suzuki

C’était ensuite au tour de La marque du tueur, choisi et présenté par Romain Slocombe (écrivain, réalisateur, illustrateur, auteur de bandes dessinées et photographe français), qui nous aura immédiatement mis en condition en nous disant clairement qu’il nous mettait au défi de comprendre quoi que ce soit à l’intrigue pour le moins … étonnante concoctée par Seijun Suzuki, cinéaste phare de la Nouvelle vague Japonaise des 60’s ! Réalisé en 1967, pour la Nikkatsu, le résultat se sera avéré si éloigné de toute convention narrative que le célèbre studio aura totalement désavoué le film et son réalisateur, qui se sera retrouvé blacklisté pendant plus de 10 ans, avant de pouvoir retourner pour la Shochiku. Ce véritable film culte, frappadingue et psychotronique, aura influencé pas mal de cinéastes, notamment Jim Jarmusch pour son génial Ghost Dog, qui lui aura piqué une séquence de meurtre pas piquée des hannetons. Concernant le scénario, nous serons bien en mal d’écrire quelque chose de constructif, tant au-delà de son synopsis assez clair, à base de guerre entre yakuzas, le reste n’est qu’un enchaînement ininterrompu de situations non sensiques, qui pour peu que l’on soit adepte d’une certaine folie japonaise, saura nous dérider par son jusqu’au boutisme insensé, qui aura réussi à faire fuir plusieurs spectateurs tout au long de la séance. Pourtant, on ne peut pas dire que le film soit incompréhensible, l’histoire étant facile à suivre en soi. C’est plus si l’on est adepte de logique scénaristique que l’on risque d’avoir un problème devant des personnages semblant agir en dépit de tout bon sens, embarqués dans des situations surréalistes et souvent hilarantes. Un cinéma comme on en voit que trop peu, pour lequel il faut savoir lâcher prise afin d’en apprécier les « saveurs » toutes particulières. Étrange, ce qui est plutôt logique finalement dans ce festival.

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