L’Etrange Festival : Journées 4 et 5

Pour des raisons évidentes, nous n’avons pu vous offrir un compte rendu comme prévu hier matin, car au bout d’un certain moment, l’accumulation de films, le rythme imposé par le festival nous empêchant de manger à des heures décentes et la fatigue commençant à apparaître sérieusement, l’idée de dormir un peu au lieu d’écrire ce compte rendu a été plus forte que tout, surtout que nous devons toujours partir tôt pour notre nouvelle journée. Quoi qu’il en soit, profitons de cette journée de pause (seulement 2 films prévus en soirée) pour nous requinquer et synthétiser ces deux dernières journées toujours aussi blindées. Pensez, cela fait depuis jeudi que nous en sommes à quatre films par jour, ce qui fait beaucoup, c’est indéniable.

Paradie Hills de Alice Waddington

Nous avions débuté la journée de dimanche avec un petit bonbon acidulé, idéal pour recharger les batteries dans une sélection forcément de majorité violente, Paradise Hills. Il faut dire que nous étions acquis à la cause du film dès la présentation vidéo de sa jeune réalisatrice, d’une sincérité désarmante. Dans un français certes fragile, elle nous y expliquait ses intentions avant de finir en beauté avec plein de bisous adressés à la salle, et notre petit cœur a fondu devant tant de gentillesse. Le film quant à lui est une sorte de dystopie située sur une île où des jeunes filles sont conditionnées pour cause de rébellion envers leur famille, et préparées en vue de leur futur mariage décidé pour elles … Dans ses rites et son décorum, il est permis de penser à l’immense Innocence de Lucile Hadzihalilovic, même si ce dernier était évidemment bien plus déroutant et « auteur ». Ici, le discours est toujours audible, et le tout semble s’adresser au plus grand nombre, mais les décors, malgré cet aspect pub pour parfum un peu aseptisé, qui peut gêner au début, le charme général et la croyance de sa réalisatrice en ce qu’elle raconte ont eu raison de nos réticences et nous ont embarqué dans son univers, certes nourri de références, mais indéniablement charmant et ayant réveillé notre âme de midinette. Frédéric Temps nous avait prévenus, nous allions avoir droit à un bon gâteau à la guimauve, idéal en ce début de journée un dimanche, et nous n’avons donc pas été déçus, bien au contraire.

Shadow de Zhang Yimou

Les choses vraiment sérieuses commençaient juste après avec Shadow, le tant attendu nouveau film de Zhang Yimou, ayant eu du mal à se frayer un chemin hors de ses frontières depuis sa sortie en Chine en 2018. Ce qui est bien entendu incompréhensible au vu du résultat final à peu près extraordinaire sur tous les points. Certes, le contexte, une fois de plus basé sur l’histoire des trois royaumes, peut sembler déjà vu un million de fois, et les intrigues de cour pourront éventuellement lasser les plus impatients par leur aspect bavard dans sa première partie. Mais l’atout de choc, sur lequel tout le film est basé, est évidemment son esthétique, et là, le ravissement des pupilles est tel qu’il n’y a qu’à baisser les armes et se laisser éblouir par la photographie concoctée par le cinéaste et son chef opérateur. Dans un monochrome traversé de giclées de sang sur la dernière partie, le film évoque clairement l’art de la calligraphie chinoise, et son image semble avoir été peinte directement à l’encre de chine, pour un résultat subjuguant de la première à la dernière image. Si l’on ajoute à ça des scènes de combats hallucinantes, dont certaines jamais vues, et vous comprendrez qu’il serait tragique que le film n’ait pas droit à une sortie salles. Metropolitan en a acquis les droits, mais nous ne pouvons dire si c’est pour une sortie cinéma ou vidéo.

The mute de Bartosz Konopka

Nous passerons rapidement sur The mute, errance hermétique et aux choix douteux de mise en scène (contre plongées incessantes, caméra à l’épaule flottante très mal maîtrisée), que l’on cherchait à nous vendre comme une sorte de Valhalla Rising polonais, mais loin, très loin de la merveille de Nicolas Winding Refn. Certes, le propos, bien que déjà entendu, reste fort et laisse matière à réflexion, voir même trop sur sa conclusion, mais c’est bien peu pour nous passionner tout du long de ce film, il faut le dire, assez chiant. Pour finir sur le contexte, tout de même, en une ère médiévale, un prêtre tente de répandre la bonne parole sur une île dont la tribu aux rites païens refuse de se laisser endoctriner, ce qui aura des conséquences humainement intolérables. Intéressant donc, mais il est difficile de se laisser emporter devant ce qu’en a fait le cinéaste, malgré ses tentatives de cinéma sensoriel, jouant notamment sur le son, avec une grosse importance pour le vent.

Diner de Mika Ninagawa

La journée s’est finie sur Diner, délire japonais très pop, situé dans un restaurant n’accueillant que des tueurs professionnels. Sa jeune et jolie héroïne, pour se payer un voyage au Mexique, seul espoir dans sa triste vie solitaire, va se retrouver à y travailler et être entraînée dans un univers totalement barré obéissant à ses propres règles. Tout d’abord, l’auteur de ces lignes doit confesser n’être pas suffisamment bon en anglais pour avoir compris tous les dialogues du film, diffusé uniquement avec sous titres anglais. Ce qui n’a nullement empêché de rentrer dans cet univers très codé, hérité du manga, et dont l’esthétisme baroque, associé à des idées purement graphiques (les noms de chaque personnage s’inscrivant en gros à l’écran) parvient à ne jamais ennuyer, en dépit de ses deux heures passant finalement plutôt bien. Malgré des scènes d’action non dénuées d’idées mais mal exécutées, et un délire général n’étant pas spécialement notre came de base, reconnaissons que le film est finalement assez réussi dans son genre.

Family Romance LLC de Werner Herzog

Concernant lundi, le début de journée s’est fait en compagnie du plus grand acteur du monde, dixit Julien Sévéon, nous ayant présenté la séance. Pensez donc, Yuichi Ishii, rejouant ici sa propre vie, est un acteur ayant créé sa société Family Romance, dont la fonction est de se faire passer pour diverses personnes, par exemple un père pour une fille ne connaissant pas son véritable père. Faisant son travail de manière désintéressée, il aurait eu une crise de conscience, justement par rapport à une histoire en particulier, d’une enfant s’étant attachée à ce faux père, ne sachant rien de la supercherie, et choisie ici comme liant principal dans cette reconstitution fictive, néanmoins très imprégnée d’un style documentaire.  Réalisé par Werner Herzog et présenté en séance spéciale à Cannes cette année, le film, du nom de la société, a un peu de mal à convaincre dès le départ, la faute à un rendu d’image très vidéo, qui pique un peu les yeux, et à une réalisation disons-le assez soporifique. Pourtant, difficile de nier le pouvoir de fascination, dû au sujet même, totalement improbable pour toute personne étrangère à cette culture. Il n’y a pas à dire, les japonais sont uniques dans leur rapport au monde et aux gens, et dans une société où les relations humaines sont de plus en plus compliqués, une société au concept assez curieux semble y avoir toute sa place, et les gens faisant appel à leurs services y trouvent visiblement leur compte. Certaines situations incongrues retiennent véritablement l’attention, notamment un test de cercueil pour le moins hilarant. Au final, une curiosité, assez faible formellement, et au rythme défaillant, mais qui aura réussi à nous intéresser.

A winter’s tale de Jan Bonny

Nous ne nous attarderons pas sur ce qui constitue selon nous la purge du festival, il en fallait bien une, à savoir A winter’s tale (Wintermärchen), sordide histoire, de trois jeunes gens ayant créé une cellule extrémiste visant les immigrés vivant en Allemagne, et se lançant dans une série d’assassinats semblant trouver leur source dans une résurgence des idées les plus nauséabondes. Si la finalité consistait à nous dire que l’Allemagne a du mal à solder ses comptes avec son passé, il aurait peut-être fallu avoir un point de vue réel sur ce que le cinéaste nous montre à l’écran, au lieu d’accumuler les provocations petit bourgeois, bien dans l’esprit de ces films au radical chic envahissant les festivals chaque année, avant de disparaître dans les limbes de la distribution. On se demande bien qui, dans le comité de sélection du festival, peut bien nous infliger ce type de punitions chaque année, mais dans le cas présent, on a presque l’impression d’assister à une parodie de ce type de cinéma par les Inconnus. Scènes de cul explicites à répétition, violence nauséabonde (et quelques coups d’extincteur dans la tronche pour nous montrer qu’on connaît ses classiques), hystérie générale épuisante, et pour des personnages à la caractérisation pour le moins hasardeuse, dont on se contrefout jusqu’au bout. On subit les 2 heures comme un chemin de croix. Allez hop, poubelle !

Adoration de Fabrice du Welz

Heureusement, Fabrice du Welz était là pour nous apaiser avec son film tant attendu, Adoration, qui clôt sa trilogie des Ardennes, entamée par Calvaire et poursuivie avec Alléluia, et pour les connaisseurs, il est clair que l’on pourrait regarder les films dans l’ordre qui suit, à savoir le film présent, ensuite Alléluia et pour finir, Calvaire, et l’on pourrait avoir une seule et même histoire étendue sur plusieurs années. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que ce film, prenant comme protagonistes principaux deux jeunes adolescents, Paul et Gloria (vous suivez ?), s’enfuyant dans la nature, seuls face au monde et à la maladie de la jeune fille, schizophrène dont les crises incontrôlables peuvent s’avérer dangereuses pour elle et son entourage, soit au final le film le plus doux et apaisé du cinéaste. Certes, il n’a rien oublié de son sens du cinéma, avec cette mise en scène organique, dans un super 16mm scope à l’image sublime, et les crises de folie de la jeune fille ne sont pas du genre aseptisées, mais il a semble-t-il mis tout son cœur dans ce projet ultra personnel, histoire d’amour absolu entre deux jeunes gens, qui ne sont sans doute pas prêts à affronter le monde, mais partent malgré tout, car leur innocence leur fait croire que tout ceci est possible, envers et contre tous. Dans une nature fantasmagorique magnifiée par la lumière du grand directeur de la photo Manu Dacosse, on assiste à un récit initiatique délicat et touchant, porté haut par les interprétations saisissantes des deux comédiens principaux, qui étaient là pour présenter le film accompagnés du cinéaste, à savoir Fantine Harduin (révélée dans le Happy End de Haneke) et Thomas Gioria (Jusqu’à la garde). Nous vous en reparlerons sans faute pour sa future sortie dans les salles, prévue pour le 22 janvier 2020, par les bons gars de The Jokers.

Swallow de Carlo Mirabella-Davis

Enfin, pour finir la journée, nous avons vu à notre tour le Swallow déjà évoqué par un certain Mathieu Le Berre dans son compte rendu de Deauville, donc nous n’en dirons pas beaucoup plus, si ce n’est que d’un sujet délicat pouvant entraîner toutes les provocations, le cinéaste dont c’est le premier long, se tire comme un grand, avec une sensibilité parfois fort poignante. Et soulignons la prestation de Haley Bennett, qui trouve ici le rôle de sa vie. Le film sera distribué par la société UFO distribution en début d’année prochaine, ce qui sera l’occasion pour nous de vous en reparler plus en détails.

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