L’Etrange Festival : Jour 1

En ce jeudi 5 septembre, nous avons bel et bien entamé concrètement le festival, avec une journée, comme dit dans l’article consacré à la soirée d’ouverture, remplie avec pas moins de 4 films. Journée type pour un festivalier assidu, pouvant parfois s’avérer rude selon la qualité des films. En ce premier jour rempli, qui sera suivi de plein d’autres aussi riches, avouons ne pas avoir eu trop à nous plaindre globalement, malgré des films manquant pour la plupart d’une densité qui les ferait aller au-delà du simple exercice de style. Mais des exercices de style réussis, c’est bien le principal.

Dreamland de Bruce McDonald

Nous avons donc commencé dès 14h30 en salle 300 avec le bien nommé Dreamland, fable entre le polar, la comédie neurasthénique et le conte de fées pour adultes. Dans cette co-production entre la Belgique, le Luxembourg et le Canada, nous suivons un tueur à gages engagé par Hercules, patron d’un cabaret au doux nom d’Al Qaida, pour couper le doigt d’un trompettiste de jazz, pour la simple raison que ce dernier aurait feint d’ignorer le prénom et la réputation du mafieux. Une raison comme une autre pour ce type de personne, après tout, mais qui donne quand même le ton de ce qui s’apparentera à une balade languissante à l’esprit free jazz, dérivant parmi une foultitude de genres, pouvant parfois évoquer l’esprit d’un Jim Jarmusch, mais un Jarmusch qui aurait décidé de hausser le ton et de tremper son univers dans un bain croupi, et où l’on pourrait trouver les personnages les plus dingues, comme ce « vampire » interprété par Tomas Lemarquis, cet acteur Islandais au physique si particulier et donc abonné aux rôles dérangés (on l’a découvert pour notre part dans le très malsain Insensibles, où il jouait le rôle d’un homme ne ressentant par la douleur physique, transformé en bourreau pendant la guerre civile Espagnole), semblant ici s’amuser comme un fou dans son rôle de freak voulant à tout prix se marier avec une très jeune fille.

Et c’est sur cet aspect là que le film gagne des points, dans ces idées déviantes faisant penser, comme dit plus haut, à un conte de fées pervers, avec tout un monde interlope agissant en dehors des lois, où la raison et la logique n’ont plus lieu d’être. D’ailleurs une partie du film baigne dans une lumière irréelle accentuant cette impression d’absurde. Pour finir sur ce film inégal dans son rythme mais assez étonnant (la fonction de l’étrange, c’est parfait), il est assez amusant de le comparer à un autre film, assez méconnu et pourtant excellent, qui sera également diffusé plus tard cette édition, à savoir La peur au ventre, avec Paul Walker, choisi par Jean-Pierre Dionnet dans sa carte blanche, et qui sur un ton plus hargneux, mélangeait également le thriller violent à des éléments surréalistes du même acabit.

The Boat de Winston Azzopardi

Après ce film surprenant, nous avons continué dans la même salle avec The Boat, high concept comme on peut en découvrir pléthore dans les festivals spécialisés, pas toujours pour le meilleur (on se souvient d’ailleurs avec douleur du nanardesque au possible The dark below, à l’étrange en 2015), mais qui, lorsqu’ils sont maniés par de solides metteurs en scène sachant ce qu’ils font, peuvent s’avérer de petites bombes d’efficacité. Si l’on n’ira pas jusqu’à crier au chef d’œuvre cette fois-ci, reconnaissons au moins à Winston Azzopardi, d’avoir eu le courage de s’en tenir strictement à son unité de lieu, sans se sentir obligé de s’éparpiller, par exemple dans des flash backs, la pire chose à faire dans ce type de film. Ici, nous sommes d’emblée plongés dans l’ambiance, à suivre cet homme partant en mer pour ce qui s’annonce comme une petite balade apaisante, mais qui va rapidement tomber sur un voilier abandonné, qui a tout du bateau fantôme, et qui va lui en faire voir des vertes et des pas mûres. Sur un concept aussi minimaliste, situé dans un lieu aussi exigu, le plus difficile consiste à tenir captivé le spectateur en relançant la machine régulièrement, sans pour autant tomber dans les rebondissements totalement absurdes. Et sur ça, on peut dire que le metteur en scène gagne des points, en s’en tenant donc à son concept, sans chercher à jouer au plus malin, tout simplement en maîtrisant parfaitement sa mise en scène, les angles de prise de vue étant variés et inventifs sans tomber dans l’esbroufe, et le tout mâtiné de suffisamment d’évènements anxiogènes pour mettre la pression ce qu’il faut. Pendant une bonne moitié de film, on pense tenir la série B de grande qualité du festival, jusqu’à ce que le cinéaste, sûrement par envie de rester sobre, ne s’enferme dans une narration un peu redondante, manquant d’évènements nouveaux, et s’achevant sur une non chute ne manquant pas de laisser perplexe. Quelque part, on pourra lui reconnaître une recherche de crédibilité qui est tout à son honneur, et la simplicité du tout renvoie à toute une tradition de films comme on en fait plus, où le récit et l’Homme primeraient sur le reste. Surtout que sur ce dernier point, l’acteur principal, Joe Azzopardi (frère du réalisateur), s’en sort avec les honneurs, parvenant à faire passer toutes les nuances requises par ce rôle compliqué, étant donné qu’il est seul à l’écran pendant 1h40. Au final, un bon petit film, un peu limité par instants, mais faisant le job avec de véritables compétences.

Monos de Alejandro Landes

Sans pouvoir reprendre notre souffle, nous passons à la salle 500, pour découvrir Monos, évènement, attendu depuis quelque temps par les scrutateurs de nouveaux talents, qui sera distribué par la société Le Pacte en 2020. Multi production entre la Colombie, l’Uruguay, l’Allemagne, l’Argentine, le Danemark, les Etats-Unis, les Pays-Bas, la Suisse et la Suède (à vos souhaits), le film nous entraîne dans une montagne perdue en Amérique Latine (le lieu n’est pas clairement situé), où un groupe d’adolescents s’entraînent pour le compte de L’organisation, devant garder en vie et surveiller une otage Américaine, la Doctora, ainsi qu’une vache laitière. Dans ce monde refermé sur lui-même, les tensions inhérentes à ce type de situation ne tarderont pas à faire surface, entraînant le film dans plusieurs directions nous ramenant à pas mal de grandes œuvres du cinéma ou de la littérature. Avec son groupe de jeunes adolescents livrés à  eux-mêmes dans une situation par nature hostile, la violence ne tardera pas à faire surface, rappelant tout autant Sa majesté des mouches, que le Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad (et par conséquent le Apocalypse Now de Coppola). De glorieuses références plutôt bien digérées, dans ce qui s’apparente avant tout à une expérience de cinéma voulue la plus immersive possible, et où le contexte importe finalement moins que la mise en scène sensitive, bien servie par une photographie proprement hallucinante de pureté. Avec ses mouvements de caméra gracieux restituant parfaitement les tensions grandissantes ainsi que la sensualité des corps, pouvant même rappeler le travail de Claire Denis, par exemple sur Beau travail. Mais ces références auxquelles on pense ne se révèlent jamais écrasantes, cohérentes par rapport au récit assez abstrait, dans un conflit assez opaque. Si pour certains, le rythme un peu lent du début et ce manque de repères ont pu s’avérer quelque peu rédhibitoires, pour les autres, le résultat s’est apparenté à du cinéma pur, où les visions mystiques de la seconde partie, et les quelques scènes violentes, ont réussi à nous donner notre dose d’images fortes pour la journée. Pour l’auteur de ces lignes, le meilleur film vu pour le moment pour cette édition (on espère évidemment qu’il y en aura d’autres encore supérieurs).

Vivarium de Lorcan Finnegan

Enfin, pour finir cette journée qui aurait pu s’avérer fatigante, mais où le rythme implacable des séances nous aura finalement maintenus bien éveillés, on se dirige dans la même salle, vers Vivarium, faisant saliver depuis sa présentation à la dernière édition de la Semaine de la Critique Cannoise. Là encore un high concept, hérité de la Quatrième dimension (comme, à sa manière, The Boat), où un jeune couple, interprété par les toujours bons Jesse Eisenberg et Imogen Poots (aussi à l’affiche tous deux de The art of self defense, plus tard dans le festival, cela cacherait-il une histoire de cœur, nos experts people sont sur le coup), à la recherche du logement idéal, se retrouve sous la coupe d’un agent immobilier plutôt inquiétant, au sourire figé (pour ceux qui se rappellent du clip sous acides de Soundgarden, « Black hole sun », avec sa banlieue aseptisée aux personnages dont les sourires figés se transforment rapidement en grimaces terrifiantes, on est dans le même trip), qui va les mener dans un nouveau quartier aux maisons toutes identiques, étrangement désert, dans la mystérieuse maison numéro 9. Tandis qu’ils visitent les lieux et que l’agent tient des discours de plus en plus bizarres, ils se retrouvent soudainement seuls, et vont se rendre compte alors qu’ils veulent s’enfuir du quartier, qu’ils se retrouvent toujours au même point, dans l’impossibilité de s’enfuir. Un postulat génial, mais risqué, car le plus compliqué dans ce genre de concept, est de ne pas réussir à aller au-delà du pitch de court métrage étiré sur un film de 1h30. Si dans une première moitié, l’exercice de style s’avère parfaitement maîtrisé, entre ses dialogues aux petits oignons parfaitement utilisés par les deux comédiens, à l’alchimie évidente, les décors parfaits, et les idées de cinéma et de montage laissant apercevoir une personnalité forte chez son jeune cinéaste (dont c’est le deuxième long), visiblement formaliste accompli, on se croit parti pour un grand moment.

Malheureusement, comme souvent dans ce type de cas, on en voit très rapidement les coutures, et l’on a la triste impression qu’il était juste impossible dès le départ de pousser beaucoup plus loin la situation de départ. On a donc un film certes maîtrisé formellement, riche de moments inquiétants et savoureux, ne manquant pas non plus de quelques fulgurances baroques sur la fin, mais ne parvenant malheureusement pas à donner un véritable sens à l’ensemble. A la fin, difficile de ne pas se poser de questions sur les motivations derrière tout ça, et la densité générale plus que relative. Dommage, mais le talent est là, et le film pas foncièrement désagréable. A voir comment le cinéaste va être capable ou non de faire évoluer son cinéma au-delà des simples concepts de petit malin. Voilà, c’est fini pour aujourd’hui, mais nul doute que le festival n’a pas encore dit son dernier mot. A bientôt pour de nouvelles aventures cinéphagiques qui vous seront relatées avec le professionnalisme qui est le nôtre …

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