L’étrange festival : Soirée d’ouverture

L’aspect le plus réjouissant du festivalier dans une manifestation telle que L’étrange festival, c’est tout d’abord ce plaisir de retrouver les lieux, dans cette atmosphère si caractéristique dont on ne se lasse pas. On n’avait bien sûr jamais quitté l’enceinte du « Forum des Images » le reste du temps, mais c’est bel et bien ce festival en particulier qui constitue l’évènement majeur de l’année dans son enceinte. Le temps de récupérer notre précieuse accréditation, et l’on voit arriver petit à petit tous les habitués, ces « amis de festival » avec qui l’on discute comme si l’on s’était quittés la veille. Cette ambiance si chaleureuse est pour beaucoup dans le fait de continuer, chaque année, à fréquenter avec autant d’assiduité cette manifestation parfois inégale, mais où l’on espère toujours découvrir de belles pépites. Et pour cette 25ème édition, on peut dire que le festin qui nous a été concocté paraît, au moins sur le papier, particulièrement gouleyant.

Passée l’attente toujours interminable avant le début de la cérémonie d’ouverture, et c’est donc parti pour les discours usuels, entre l’humour un brin narcissique du nouveau directeur du Forum, le discours toujours passionné du boss du festival, Frédéric Temps, un hommage émouvant à l’artiste Rosto, auteur du court d’animation sublime présenté avant le premier film, et tragiquement décédé des suites d’une maladie en début d’année, laissant une foule de projets alléchants qui feront partie de la légende des œuvres potentiellement passionnantes qui n’auront pas eu le temps d’être tournées ; et bien sûr, clou du spectacle, la standing ovation passionnée réservée au grand, que dis-je, à l’immense Jean-Pierre Dionnet, vieilli mais visiblement très heureux d’être là, et qui nous aura régalé d’un discours dont il a le secret, avec cette diction si particulière qui aura fait le bonheur de toute une génération de cinéphiles biberonnée à son fameux et mythique « Cinéma de Quartier » ! Voir ce grand monsieur, devant nous, parler avec cette expressivité qu’est la sienne, a quelque chose de réellement savoureux qui nous met en joie dès ce début de festival. Enfin, avant de lancer définitivement les hostilités, nous avons eu droit également à la courte présentation, classe et professionnelle, de Madame Monica Bellucci, là pour présenter le film d’ouverture, Nekrotronic, mais qui sera également présente plus tard dans cette édition, pour parler de la nouvelle version de Irréversible, aux côtés de Gaspar Noé, ce qui promet d’ores et déjà un grand moment.

Reruns de Rosto

Mais maintenant, place aux films, et après le court Reruns , déjà présenté ici-même l’année dernière, montrée une nouvelle fois en guise d’ultime hommage à cet artiste brillant trop tôt disparu (évocation onirique d’un cauchemar aquatique, à base de collages et de techniques d’animation brillantes, entre passé et futur morbide), et nous avons donc vu Nekrotronic, typique film d’ouverture de la manifestation, à savoir décontracté mais légèrement inconséquent, pour rester poli.

Nektrotronic de Kiah Roach-Turner

Débutant sur un prologue animé amusant, évoquant les origines préhistoriques d’une guerre entre des démons et les Nékromancers, qui les chassent, le film bascule ensuite très rapidement à notre époque, et nous fait faire la connaissance de deux glandus, dont l’un particulièrement crétin, s’amusant sur une appli pour portables type Pokémon Go, consistant à trouver des démons dans la ville. Problème, les fameux démons du prologue ont choisi cette appli pour envahir le monde, et aspirer les âmes des humains ayant eu le malheur de cliquer sur l’application. Un pitch rigolo mongol, qui peut au moins laisser espérer un déluge de crétineries décomplexées idéales pour détendre avant de passer aux choses sérieuses. Seulement, les auteurs, déjà derrière le sympa « Wyrmwood », n’ont pas les épaules pour un projet ayant comme ambition d’en mettre plein les yeux, avec peu de budget. Là où, récemment, un film comme The Unthinkable parvenait avec un budget riquiqui à rivaliser sans peine avec les blockbusters ricains, grâce à des compétences techniques au-dessus de la moyenne, en gros un système D utilisé à bon escient, ici, on se coltine une majorité de gros plans ainsi qu’un découpage pour le moins hasardeux sur les scènes d’action. Malgré quelques idées rigolotes et un ton général assez inoffensif, donc pas antipathique (on pense au pote du héros, devenu spectre envahissant), on finit par regarder le film dans un ennui poli, en dépit d’effets spéciaux pas honteux. Bref, c’est pas la fête, mais ça passe le temps avant de passer au gros morceau de la soirée, dans cette case dévolue aux propositions extrêmes.

Bliss de Joe Begos

Présenté par Philippe Lux, qui aime rappeler que cette case est dévolue aux œuvres radicales, on part, après un petit retard dû à un problème de projecteur, pour Bliss, et autant le dire tout de suite, on ne sera pas là pour rigoler. Dans un style cradoc évoquant les bandes underground New Yorkaises du début des 80’s réalisées par Abel Ferrara, shooté dans un 16 mm scope de très grande classe, le film nous embarque aux côtés d’une jeune artiste en pleines affres créatrices, devant terminer dans les temps une peinture, qui va déambuler dans les rues de L.A., et suite à l’ingestion d’une drogue particulièrement dure, perdre progressivement pied, sur fond de vampirisme, sur un pitch rappelant la vision urbaine donnée par George A. Romero au mythe, dans son méconnu Martin. A vrai dire, nous avons vu le film dans des conditions particulièrement extrêmes, à la hauteur finalement du projet de base du cinéaste (auteur précédemment d’un Almost Human apparemment gore mais que nous n’avons pas vu), qui est de nous en foutre plein la tronche non stop pendant 1h20. Le sound design ultra agressif aura été particulièrement bien rendu par le son excessivement fort de la salle 500 du Forum, et comme le film ne lève jamais le pied, on avait l’impression à la fin de sortir d’un concert métal assourdissant. Entre ça et la mise en scène très immersive, rappelant fortement Gaspar Noé pour les expérimentations formelles et les éclairages, tout autant que les ambiances hystériques de Aronofsky ou Zulawski, tout en développant des thématiques certainement personnelles, le film est une expérience contre laquelle on est tenté de lutter, avant de s’y abandonner corps et âme, dans une sorte de fusion organique avec l’écran, entre explosions gores très salissantes et flashs stroboscopiques aveuglants (le film avait prévenu dès le début sur cet aspect avec un texte à l’attention des personnes atteintes d’épilepsie), donnant l’impression au bout d’un certain temps d’avoir été filmé directement des enfers.

Un sacré trip dont on aura eu du mal à redescendre, et qui nous aura rendus sourds, mais dont il est déjà permis, à ce stade précoce du festival, d’affirmer qu’il sera difficile de trouver plus extrême cette année (la séance était déconseillée aux moins de 16 ans) ! C’est pour ce genre de film que l’on va à l’étrange festival, car soyons clairs, le film n’a à peu près aucune chance de débarquer dans nos salles, ni même en vidéo ou sur Netflix. C’est le cas typique de l’œuvre de festival, tournant dans toutes les manifestations spécialisées, avant de disparaître dans les limbes de la distribution. Nous ferons donc partie de ces rares chanceux à a voir pu en profiter dans des conditions optimales. Sur ce, nous vous disons à demain, avec la première vraie journée, avec pas moins de 4 films à notre programme, du genre alléchants. On en salive déjà …

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