Le Déserteur : Rencontre avec le réalisateur Maxime Giroux

On avait laissé Maxime Giroux en 2015 sur une belle proposition, celle de Félix et Meira, relatant subtilement et avec beaucoup d’humanité une histoire d’amour entre un homme seul et une femme mariée issue d’une communauté juive hassidique. Quatre ans plus tard, voilà que le cinéaste québécois livre Le Déserteur, un film d’une sacrée noirceur (son titre original est d’ailleurs La Grande Noirceur) dans lequel Philippe, un homme fuyant la guerre s’est réfugié dans l’Ouest Américain, vivant de concours de sosies de Charlie Chaplin et se retrouvant confronté sur place à une violence implacable. En ce qu’il raconte de notre monde, Le Déserteur fascine et il nous fallait bien une petite conversation téléphonique avec Maxime Giroux pour en savoir plus sur le film :

Vous avez participé à l’écriture du film mais ce n’est pas une idée de vous à la base, pouvez-vous nous en dire plus ?

À la base c’est Simon Beaulieu, un ami documentariste qui m’a proposé un synopsis de trois pages. C’était un vrai film d’époque, avec beaucoup de moyens, des figurants, des usines, des trains… Je lui ai dit que ça allait coûter beaucoup trop cher et qu’il fallait oublier ça. Et puis du temps a passé, j’ai essayé de monter des projets qui ne se sont pas faits. À l’occasion d’une soirée, j’ai revu Simon, ça m’a rappelé le synopsis et je lui ai proposé de transformer l’idée, de partir sur quelque chose de simple : un personnage, une caméra, le désert américain et c’est tout. Il fallait faire en sorte que le film ne coûte pas cher. Simon, Alexandre Laferrière et moi avons écrit le scénario en quelques mois et pendant ce temps, j’ai visité pas mal d’états américains pour trouver les décors. Tous les lieux qu’on voit dans le film existaient déjà, au Nevada et en Californie, on trouve plusieurs villes fantômes, vestiges du passé abandonnés, c’est fascinant. Les scènes en intérieur, on les a tournées à Montréal sous un cinéma. Tout ce qu’on voit a l’air caricatural mais c’est réaliste, on n’a rien touché aux décors !

Le film s’ouvre sur une citation très humaniste de Charlie Chaplin entendue dans Le Dictateur et met ensuite un point d’honneur à détruire tout l’espoir que pouvait contenir cette citation, c’était votre volonté dès le début de montrer la violence à laquelle se confronte Philippe ?

C’est une citation qui appelle effectivement à la positivité mais ça relate tout de même quelque chose de négatif, c’est un appel à la tolérance, à l’ouverture aux autres et à la justice. Or, si ces choses-là existaient, Chaplin ne ferait pas cet appel. Chaplin a écrit ça il y a 80 ans en espérant que le drame de la guerre n’arrive pas mais c’est arrivé. Et si ce n’est plus la guerre actuellement, on en est au même point, le capitalisme sauvage a pris le dessus, l’intolérance a l’air partout… Cette noirceur, c’est une vision des trois scénaristes réunis sur le projet, après c’est vrai que je suis quelqu’un de fataliste, je m’estime lucide sur le monde et je me pose la question de savoir si au fond l’être humain n’a pas besoin de violence. Le pouvoir, dès qu’il y en a, s’exerce toujours avec violence, consciemment ou non, c’est le système qui fait ça. D’ailleurs Philippe qui commence le film en étant naïf et bon comme Chaplin est contraint de devenir violent pour survivre.

Pour exprimer cette violence, l’Amérique était le seul lieu possible ?

Oui complètement, c’est le seul pays où filmer cette histoire. C’était pratique car Philippe est québécois donc le fait qu’il parte en Amérique est crédible mais c’était surtout pour illustrer notre propos. L’Amérique est partout aujourd’hui, elle a même imposé son système capitaliste aux chinois, le film ne pouvait que s’y dérouler. Et puis au moment où a commencé l’écriture, Trump est arrivé au pouvoir. J’ai voulu faire un film un peu grossier, à l’image du système dans lequel on vit et il faut bien l’avouer, on ne fait pas plus grossier, indécent et caricatural que Trump !

La force du film est qu’il est atemporel, il est impossible de le situer chronologiquement. On pense au western, il y a des références aux deux guerres mondiales, on entend une chanson de R.E.M, comment avez-vous travaillé sur cette notion ?

Ça s’est vite imposé. Quand j’ai dit à Simon que je refusais le film d’époque car c’était trop cher, on est vite partis sur l’idée d’un film sans époque, une métaphore de l’oppression permanente, passée, présente et même future. C’était l’occasion de faire un parallèle avec plusieurs époques car c’est une violence qui appartient à toutes les époques, elle a toujours existé. Il y avait aussi la volonté de déstabiliser le spectateur, qu’il soit perdu comme Philippe. J’avais envie de jouer sur les genres, que le public ne sache pas où il est. On a vraiment construit le film comme une métaphore, une allégorie de l’être humain qui nourrit le système, qui est victime du système, qui est perdu dedans, on ne comprend pas qui décide des règles. Le film est comme nous, soumis au leurre du marketing, on ne sait pas comment changer les choses et c’est ce que dit le personnage de Romain Duris dans le film : ‘’On te prend tout et on t’abandonne’’. Le système est comme ça et il finira par s’effondrer, malheureusement au point où on en est, quand il s’effondrera, la planète en fera autant, la machine est vouée à se détruire de toute façon. Prenez l’une des villes fantômes où l’on a tourné, c’était une des villes les plus riches du pays en 1895 et puis une fois que tout l’or a été trouvé, il ne restait plus rien…

On pense au western mais on perçoit aussi des références bibliques dans le film comme cette scène avec le vendeur de cigarettes dans le désert, je suppose que c’était voulu ?

Oui bien sûr. C’était une grosse référence. Pour moi, le capitalisme et la religion sont les mêmes choses, c’est du marketing, du contrôle de pensée !

Vous retrouvez Martin Dubreuil dans le rôle principal après Félix et Meira mais vous réunissez également pas mal de beaux seconds rôles, comment s’est passé le casting ?

Martin, c’était lui ou personne d’autre pour le rôle de Philippe, c’était clair depuis le début. C’est un acteur très physique avec une belle humanité. Le reste du casting s’est fait assez rapidement via nos amis ou nos amis d’amis. Sarah Gadon voulait tourner avec moi donc ça s’est fait comme ça. Reda Kateb est ami avec les producteurs et quand Reda Kateb a rejoint le film, ça a servi comme une sorte de caution pour avoir Romain Duris. Ça l’intéressait beaucoup de jouer ce rôle très sombre, j’ai l’impression que ça le changeait. Ils ont vraiment fait ce film par amour du cinéma et pas pour leurs carrières.

Combien de temps a duré le tournage ?

18 jours. On a passé 12 jours dans le désert et 6 à Montréal, on faisait des pauses parfois car on attendait un acteur, Romain Duris est venu 3 jours par exemple. C’est un tournage très court.

Le film se situe dans l’Ouest américain, celui des déserts invitant aux plans larges et pourtant votre mise en scène colle de très près le personnage, c’en est presque étouffant. C’était votre intention dès le début ?

Oui, étouffant c’est le mot juste et c’est cette sensation que je cherchais. Le format 1:37 fait ça aussi parce qu’il est carré, ça permet d’enfermer le personnage dans le cadre. Ça casse les codes du western et c’est un format qui a longtemps été utilisé à Hollywood, notamment par Chaplin, c’était une forme d’hommage également. Mais c’est vraiment le sentiment d’oppression que je cherchais qui a motivé ce choix. Je voulais vraiment que l’humain se sente comme une merde après avoir vu le film, je le revendique clairement surtout après Félix et Meira où c’était une facette différente du cinéma.

Vous avez des projets pour la suite ?

Oui un thriller financier basé sur une histoire vraie arrivée en 2005 au Québec où un type a volé 130 millions. C’est plus classique. Mais je bosse aussi sur une histoire émotive où les personnages sont foncièrement bons, ça va me changer du Déserteur ! (rires) J’aime varier les genres et m’intéresser à ce qu’il se passe à l’extérieur de moi pour faire mes films, je ne suis pas Xavier Dolan ! (rires)

Propos recueillis par téléphone le 4 juillet 2019. Un grand merci à Mathilde Cellier et Maxime Giroux.

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