Her Smell : Rock star attitude

Cinéaste farouchement indépendant, Alex Ross Perry s’est fait sa petite réputation, en une poignée de films, auprès de la frange la plus exigeante de la cinéphilie. Ses films n’appartiennent donc pas à la face « indé » de gros studios, et ses sujets sont pour la plupart du temps éloignés de toute banalité, osant souvent placer le spectateur dans l’inconfort, de par les virages osés qu’ils se permettent. Découvert en France avec son deuxième long métrage, « The color wheel », sorti dans nos salles un bel été 2012, on y décelait immédiatement, derrière son aspect de road movie noir et blanc arty à priori déjà vu, un potentiel de poil à gratter, avançant à son rythme nonchalant, à coup de dialogues acérés, et ce jusqu’à un final pour le moins déconcertant, mais d’une audace éloignée de toute gratuité. Après ce petit coup d’éclat, on allait donc voir chaque nouvelle livraison avec une forte curiosité, et après un « Golden exits », présenté à la Berlinale en 2017, mais toujours inédit en France, on était donc ravis de partir à la rencontre de ce « Her smell », grande promesse d’œuvre radicale et borderline, avec personnage féminin fort, interprété par Elisabeth Moss, déjà vue chez le metteur en scène dans l’excellent « Queen of earth », où elle avait déjà à passer par mal de nuances plus (plutôt plus) ou moins extrêmes. Ici, elle est Becky Something, leadeuse d’un groupe de rock des années 90, qui avec son girls band « Something She », a rempli les stades. Mais comme toute superstar du rock, cette dernière s’enferme très rapidement dans divers excès l’abîmant et mettant à mal la stabilité du groupe…

En s’attachant à un personnage fictif, mais symbole de tant de groupes similaires, Alex Ross Perry y gagne une liberté totale dans la conduite de son récit, à savoir que loin de tout biopic policé pour plaire au plus grand nombre, et surtout pour ne pas froisser quelque membre survivant du groupe en question, il peut ici faire preuve d’une radicalité peu commune dans la structure même de son film, construit en une petite poignée de séquences très longues, mettant à chaque fois en place une situation particulièrement explosive, qu’il pousse dans ses retranchements, à coup de dialogues intenses. Les personnages sont quasiment toujours en crise, et chaque échange verbal est donc porteur d’une grande tension, alimentant une atmosphère globale plutôt oppressante, voir anxiogène, se situant toujours en intérieurs (salle de concert, couloirs, studio d’enregistrement, ou la maison de l’héroïne), créant un sentiment de claustrophobie accentué par le sound design agressif, nous plaçant dans une sorte d’étau donc on ne peut quasiment jamais se détacher. La mise en scène très précise rend le tout particulièrement immersif, avec ses plans longs, et sa caméra mobile la plupart du temps.

Comme expliqué plus haut, le scénario se découpe à peu près en 5 séquences, toutes très longues (le film dure 2h15), mais néanmoins découpées (pas de longs plans séquences ici), exposant des situations étirées, et dont la tension fait office de cocotte minute que l’on pressent susceptible d’exploser à tout moment. Et à ce titre, il est bien évidemment impossible de ne pas s’attarder sur la prestation tout bonnement démente de Elisabeth Moss, grande actrice dont on connaissait déjà les capacités à se lâcher totalement, sans la moindre inhibition, donnant tout à ses rôles. Elle passe ici un cap supplémentaire, apparaissant déchaînée dès la première scène lorsqu’elle est sur scène. Toujours fébrile, mais dans le ton juste, on croît à chaque instant à cette rock star faisant forcément penser à Courtney Love, leadeuse du groupe Hole et veuve de Kurt Cobain (ne serait-ce que dans la façon de chanter), et dont le mode de vie demande une implication physique et psychologique telle qu’elle semble ne pouvoir aller de pair qu’avec les excès que l’on imagine, créant une dépendance et une dépression mettant à mal autant sa vie familiale que le groupe. Mais loin de tout cliché, le cinéaste joue sur la durée des scènes pour créer un malaise grandissant, et atteignant une sorte d’apogée en son milieu, créant une sorte de fissure dans le climat jusque là particulièrement agressif du film.

Se posant à ce moment précis, pour nous présenter le personnage chez elle, après une ellipse (tout le film est construit ainsi, chaque bloc de séquence étant lié par de petites scènes filmées à la façon de « home movies »), cela nous permet de nous reposer quelque peu l’esprit, et c’est l’occasion de scènes très touchantes, dont la plus marquante est cette pause musicale, où Elisabeth Moss, seule au piano, chante avec une voix fragile mais juste, la balade « Heaven » de Bryan Adams, pour sa petite fille qui lui a demandé de lui chanter quelque chose. Un instant assez miraculeux, en plan fixe et en temps réel, où sont réunis dans le même cadre la mère dans une situation de fragilité extrême, et la petite fille innocente, et inconsciente des excès de sa mère. A ce moment précis, ne reste que la tendresse, suspendue, qui touche droit au cœur.

Des moments forts, le film en compte un certain nombre, pas loin à certains instants du cinéma sensoriel de Gaspar Noé, dans les choix d’éclairages, et la frénésie régnant de partout sur l’écran. On regrette d’ailleurs que le cinéaste n’ose aller encore plus loin dans l’extrême, ayant créé une ambiance propice à tous les débordements, mais semblant tout de même se contenir. On regrette également qu’il n’ait pas plus utilisé le plan séquence, qui nous aurait semblé idéal pour accentuer le sentiment de temps réel et de claustrophobie. On est donc pas au niveau de « Climax », mais l’expérience mérite tout de même d’être vécue dans une salle de cinéma, tant sa maîtrise filmique et rythmique en fait un morceau de cinéma tout sauf négligeable, rompant avec le tout venant.

Porté de bout en bout par son actrice phénoménale, et doté d’une écriture bétonnée, en termes de dialogues, le résultat estomaque régulièrement, et fascine toujours. Réservé à un public averti, donc, ayant soif d’expériences radicales (peut-être pas assez à notre goût) et libres.

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