Deadwood : The Tale of a Fucking Town

Deadwood… Voilà un nom qui sent bon le Far West, le sang, la sueur et la crasse et qui ramène forcément vers un langage fleuri (jamais série n’aura compté autant de dérivations du mot « fuck’ » – près de 2980 fois ! – et ne parlons pas de l’inénarrable « cocksuckers » !) et toute une époque, révolue depuis un bon moment déjà. Arrêtée en 2006 au bout de trois saisons à cause d’un budget trop élevé (4,5 millions de dollars par épisode environ), la série culte de David Milch se voit de nouveau propulsée sur le devant de la scène avec son téléfilm final produit par HBO, 13 ans après la fin de la série et visible chez nous sur OCS.

L’occasion de se pencher à nouveau sur cette série dont on commençait à désespérer de voir un jour la fin et qui nous avait profondément marqué de par sa volonté de réalisme, sa galerie de personnages hauts en couleur et son casting fabuleux. Créée en 2004 en pleine période créative chez HBO (qui diffuse alors Les Soprano, The Wire et Six Feet Under), Deadwood fait preuve d’une ambition monstre. Déjà scénariste chevronné à l’époque (il avait œuvré sur de nombreux scénarios de Capitaine Furillo et de New York Police Blues), David Milch livre ici son œuvre la plus fouillée, décidé à ne pas faire comme tout le monde, à conter son histoire comme il l’entend sans passer par des conventions narratives classiques, préférant les longs dialogues littéraires et intelligents, évitant d’expliciter tous ses enjeux (ce qui fait que l’on redécouvre totalement la série en la revoyant adulte quand on l’avait d’abord vue adolescent), préférant l’intimiste et le réalisme, évitant ainsi les clichés du western (pas de charge de cavalerie, peu de duels au revolver) tout en donnant aux personnages féminins une importance comme on en a rarement vue dans le genre (l’occasion pour Molly Parker, Paula Malcolmson, Robin Weigert et Kim Dickens de briller comme jamais).

Dans Deadwood, l’intérêt réside ailleurs. Si David Milch brosse une galerie de personnages assez incroyable, où les hommes les plus fourbes côtoient les plus intègres et où les femmes savent s’imposer en dépit des menaces, c’est bien la ville de Deadwood la star de la série. En 1876, quand l’intrigue commence, Deadwood est une ville à part. Indépendante, elle n’est rattachée à aucun état et n’a donc aucune forme de loi. C’est Al Swearengen, patron d’un bar et d’un bordel, crapule notoire, coupeur de gorges malin et charismatique qui dirige plus ou moins les choses. Mais à mesure que la politique du pays avance, les habitants de Deadwood réalisent qu’ils vont devoir rattacher la ville à un état et que cela ne se fera pas sans heurts. C’est ainsi que pour le bien commun, l’intègre (mais au tempérament violent) Seth Bullock, ancien marshal du Montana venu à Deadwood monter une quincaillerie acceptera de porter l’étoile à nouveau, s’alliant de façon impromptue avec Al pour sauver la ville des mains avides de George Hearst, entrepreneur sans vergogne capable de faire tuer quelqu’un d’un simple claquement de doigts…

C’est donc bien l’avancée de Deadwood qui intéresse David Milch et la façon dont la ville et dont chacun de ses progrès s’est opéré dans la violence et la douleur, une violence inhérente, semble-t-il aux États-Unis où la terre réclame un prix dès qu’on y touche. A travers Deadwood, exemple singulier dans l’histoire du pays, c’est tous les États-Unis dont David Milch entend parler, montrant peu à peu la fièvre de l’or et du capitalisme gangréner les rapports et justifier la violence, celle-ci n’étant plus utilisée pour survivre mais pour manipuler et s’enrichir.

A travers les changements complexes et politiques autour de la ville, la série met en place de nombreux personnages, jouant avec ceux qui ont réellement existé, les plus célèbres (Wild Bill Hickock, Calamity Jane, Wyatt Eearp, George Hearst) comme les moins connus (Seth Bullock, Al Swearengen, Charlie Utter, Sol Star, E.B. Farnum) tout en s’autorisant d’aller dans la fiction dès que ça l’arrange. Cela n’enlève en rien l’authenticité de la série dans sa reconstitution, toute l’équipe, des costumiers aux décorateurs, ayant œuvré pour que l’on ait l’impression de sentir la crasse dès qu’on regarde un épisode de Deadwood.

Au fil de ses trois saisons, la série finit inévitablement par créer un véritable lien émotionnel avec ses personnages. Ils apparaissent tous avec leurs défauts, leurs envies, leurs faiblesses mais aussi leurs forces, composant une galerie hétéroclite mais vivante de cette ville en pleine mue. Même les personnages les plus détestables à l’instar de Cy Tolliver (campé par le regretté Powers Boothe) ou de George Hearst nous sont montrés sous un jour peu reluisant certes, mais profondément humain avec toutes leurs contradictions. On ne prendra pas la peine ici de citer tous les talents réunis par la série, qu’ils soient principaux ou secondaires (Keith Carradine imprimant son charisme le temps de quatre épisodes en Wild Bill Hickock, Garrett Dillahunt dans un double rôle mais aussi l’irrésistible Brian Cox en directeur d’une troupe de comédiens) mais on ne pourra s’empêcher de souligner la truculence avec laquelle Ian McShane s’empare du rôle d’Al Swearengen, volant la vedette à Timothy Olyphant, devenant le personnage pivot de la série. McShane, dont c’est clairement ici le rôle de sa vie, vitupère, insulte et se montre aussi joyeusement vulgaire que terriblement attachant, faisant son show sans jamais tirer la couverture à lui, faisant déplorer que sa carrière ne soit pas plus foisonnante.

On remarquera d’ailleurs que d’autres séries piocheront allégrement dans le casting de Deadwood pour y trouver des acteurs. Ce sera flagrant pour Justified (dans laquelle on retrouve Timothy Olyphant, Jim Beaver, W. Earl Brown, Garrett Dillahunt, Sean Bridgers, Stephen Tobolowsky, Gerald McRaney) et Sons of Anarchy (où Dayton Callie, Paula Malcolmson, Titus Welliver, Robin Weigert, Kim Dickens, Ray McKinnon, Keone Young ont des rôles plus ou moins conséquents) mais il est dommage que chacun de ces acteurs géniaux n’aient pas trouvé plus conséquents à se mettre sous la dent tant ils transpirent le talent. On ne saura cependant que trop vous conseiller de vous jeter sur Justified, une série formidable dont on ne parle pas assez parce qu’elle ne paie pas de mine mais qui s’avère être une véritable pépite.

A mesure que Deadwood avance, dévoilant sa complexité (pourtant beaucoup improvisée sur le tournage, Milch s’inspirant énormément des acteurs pour alimenter leurs personnages), elle devient de plus en plus prenante, s’étoffant régulièrement de nouveaux personnages sans jamais sacrifier les anciens, achevant de capter la vie qui coule dans les veines de la ville, élaborant un microcosme nous semblant terriblement familier.

D’où la merveilleuse nouvelle de ce téléfilm final, longtemps annoncé dès l’arrêt de la série en 2006, devenu une arlésienne pendant longtemps et finalement concrétisé pour notre plus grand bonheur, faisant revenir tout le casting original (sauf ceux décédés entre temps) pour un dernier tour de piste.

Ce téléfilm d’1h50, se déroulant dix ans après la fin de la série, voit George Hearst revenir en ville pour y installer le téléphone. L’homme d’affaires, devenu sénateur, va rouvrir de vieilles blessures et raviver le conflit grondant dans la ville. Mais cet élément narratif, bien qu’exploité de façon pertinente, n’est finalement qu’un prétexte pour retrouver Deadwood et ses personnages. Ce final semble alors moins là pour conclure des arcs narratifs (il se termine alors que le conflit avec Hearst est loin d’être résolu) que pour simplement faire nos adieux à ces personnages tant aimés. C’est un film réalisé pour nous permettre de faire le deuil, accepter de laisser partir les personnages pour ne plus jamais les revoir. Élégiaque, émouvant (voir les acteurs reprendre leurs rôles avec 13 ans de plus a quelque chose de terriblement touchant), le final est une belle réussite, ne cédant jamais aux sirènes du fan-service, ambitionnant de raconter une nouvelle fois la même chose certes (la violence avec laquelle le progrès s’est fait dans l’Ouest) mais dans un ton différent, conscient que cette fois-ci, la fin est bel et bien arrivée (et c’est d’autant plus tragique que David Milch en personne est atteint de la maladie d’Alzheimer).

Bullock et Swearengen dix ans après, des retrouvailles attendues

Le téléfilm vient alors réparer la frustration et le doute laissés par le vide à la fin de la saison 3, alors que la série avait été brusquement annulée (une partie du casting ayant déjà renégocié leurs salaires en vue de la saison 4) pour nous donner un point final un poil déchirant mais qui fait néanmoins chaud au cœur tant on se replonge avec un délice sans égal (comme les acteurs, visiblement heureux de retrouver leurs rôles) dans cet univers, savourant une dernière fois l’odeur de la boue, la sonorité joyeuse du mot « cocksucker », saluant une série audacieuse et dense vers laquelle on reviendra forcément un jour ou l’autre, ne serait-ce qu’en souvenir du bon vieux temps…

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