The Mountain – Une odyssée américaine, ou presque.

Cinquième film du réalisateur américain Rick Alverson, The Mountain réunis les acteurs Tye Sheridan (Andy) et Jeff Goldblum (Dr Wallace Fiennes) dans un duo pour le moins surprenant et inattendu. Leur aventure les amènera à la rencontre de personnages joués par Udo Kier (Frederick et père de Andy) dont le nom ne vous dit probablement rien contrairement à son visage qui vous sera certainement familier ; ainsi que l’acteur charismatique français Denis Lavant et enfin la magnifique Hannah Gross, l’une des nouvelles égéries du cinéma. Un casting pour le moins aguicheur et particulièrement efficace. Sur le papier en tout cas. Présenté au festival Sundance 2019 ainsi qu’à la 75è édition de la Mostra de Venise, le film s’inspire assez librement de la vie d’un personnage, à savoir le neurologue américain Walter Freeman.

Dans les années 50, le Dr Wallace Fiennes parcourt l’Amérique, pratiquant des séances de lobotomisation sur des patients d’hôpitaux psychiatriques. Andy, déjà en peine de ne quasiment pas connaître sa mère, perd également son père avec qui il avait des relations très distantes. C’est lors d’un vide grenier des affaires de son défunt père qu’il fait la connaissance du Dr Wallace, ce dernier lui avouant que la mère du jeune homme est une de ses patientes. Il lui propose de l’engager comme photographe documentaire pour ses opérations, opportunité qu’il saisit dans le but de retrouver sa mère. Ses photos étant donc ensuite publiées dans divers journaux au fil de son voyage. C’est durant ce voyage que les tourments vont avoir lieu, pour le docteur en premier lieu puis concernant leur relation.

Tout d’abord il faut bien noter que le sous-titre du film est « une odyssée américaine », impliquant donc la notion d’une grande aventure humaine. Le terme odyssée renvoie souvent à deux choses, soit une véritable épopée d’une vie incroyable, soit une métaphore assez grandiloquente d’un acte, d’une décision ou d’un événement important dans l’histoire d’un homme ayant des répercussions à grande échelle. Ici il s’agit donc d’identifier l’impact de cette histoire sur la vie des personnages et ce qu’elle peut vouloir dire dans la réalité ou dans notre passé. Se déroulant dans les années 50, The Mountain possède une véritable identité visuelle. Sur beaucoup de points, on constate des similitudes avec le cinéma des années 50 voire même un peu avant. L’importance accordée aux décors et costumes donne le ton a cette production indépendante. Rick Alverson ne s’en cache pas, ce qui l’intéresse c’est avant tout l’image. Et ça se voit, à se demander s’il ne devrait pas plutôt être photographe que cinéaste. Au sein même du film, une attention particulière est apportée a la peinture ainsi qu’à certains peintre, les plus passionnés et alertes pourront s’amuser à dénicher les diverses références qui parsèment le long métrage. Ajoutons à cela une réelle symétrie des plans et vous obtenez le mélange suffisant pour donner l’illusion de raconter quelque chose et la contenu suffisant pour justifier une pseudo intellectualité. Car oui, même si le film est visuellement très percutant (à la fois dans ce qu’il montre que dans ce qu’il tente de raconter), on ne peut se détacher de la volonté intrinsèque du réalisateur qui elle, est bien plus discutable.

Difficile de savoir par où commencer lorsque l’œuvre en question représente l’essence même de tout ce qui vous repousse. Abordons donc l’histoire puisqu’il semble s’agir du pire ennemi de Rick Alverson. Premièrement, à travers le personnage de Wallace Fiennes, c’est la chute professionnelle du docteur Walter Freeman qui est dépeint, docteur spécialiste dans la lobotomisation. Factuellement, le film ne raconte franchement pas grand-chose. Le docteur voyage d’hôpital en hôpital à la recherche de patients à lobotomiser avec son acolyte pour les photographier. Dans un cas comme dans l’autre, le sort des personnages nous indiffère totalement. Seule Susan (Hannah Gross) possède suffisamment de mystère et de profondeur pour être inquiétée de son sort et de ses sentiments. Au demeurant, on finit vite par percevoir en Wallace Fiennes un homme dérangé et pervers qui se délecte purement et simplement à torturer de pauvres gens. La présence du photographe augmente cette sensation nauséabonde que le long-métrage développe. On ne s’intéresse jamais aux victimes, ni a personne d’autre que les 2 personnages principaux, mais on accorde une attention particulière à présenter la manière dont l’opération se déroule. A l’ancienne, les méthodes étaient barbares, c’est d’ailleurs l’arrivée des anxiolytiques qui accélère la chute du docteur. En tant que spectateur, on s’interroge tout au long de la séance sur le but, la raison, la volonté de ce que l’on regarde ainsi que sur la raison des actes du docteur sans jamais avoir la réponse. On force le spectateur à suivre l’histoire au travers d’Andy, le photographe, l’obligeant à un voyeurisme pervers contemplant des actes de torture.

Le rythme lent et contemplatif n’y aide pas. L’histoire est un élément dénigré par le réalisateur qui juge les productions actuelles comme étant produites pour rendre le spectateur passif. Selon ses dires : « le public s’attache essentiellement à l’histoire sans questionner les éléments formels d’un film. Je veux que le public réfléchisse à la forme, qu’ils soient conscients du corps du film, qu’il devienne méga cognitif ». Volontés tout à fait louable de la part du réalisateur seulement ici on s’ennuie ferme, on trouve vite le temps long, l’histoire n’avance pas en plus de ne rien raconter, difficile à avaler comme pilule. Au gré de ces longues scènes se démarquent des curiosités dont on peine à comprendre le sens et l’intérêt. Des images de personnes hermaphrodites par exemple ainsi que des scènes qui n’ont pour unique but que d’être coupées pour créer une ellipse et donner l’impression que le temps passe encore plus lentement. Quelques fois, un plan est là comme un set up, sauf que lorsqu’il est réutilisé pour le pay-off on se fiche pas mal de savoir qu’on avait vu le lieu auparavant. Il y a bel et bien une construction, il faudrait être aveugle pour ne pas voir le travail visuel mis en œuvre, mais est-il vraiment original, novateur ou poussé? Pas plus que ce qu’ont déjà proposé de très nombreux cinéastes tous publics avant lui.

Ainsi The Mountain s’apparente comme une production très métaphorique remplie de parallèles. La lobotomisation des personnages renvoie à la lobotomisation du spectateur qui aujourd’hui consomme sans broncher selon le réalisateur et sans s’attarder sur la forme de ce qu’il voit. Selon ses propres propos : « Le cinéma est aujourd’hui conçu pour rendre les gens passifs, baisser leur niveau culturel et les rendre malléables. […] et la volonté d’annihiler la culture et l’esprit chez les spectateurs ». La question mérite débat, indéniablement. Et c’est ce qui est particulièrement frustrant avec les propos du cinéaste. Sur la forme (lui qui s’y attache tant), il est assez juste, mais la conclusion laisse nettement à désirer. On peut assez clairement voir que la cible de ces quolibets est le géant aux grandes oreilles, mais pas que. De nombreux articles et analyses montrent que tout n’est pas aussi simple et que les chiffres ne sont pas forcément à l’image de son raisonnement. Mais puisque nous ne sommes pas là pour débattre de cela, notons simplement que nous pouvons assez simplement citer une bonne dizaine de très bons films sortis rien qu’en 2019 et qui vont à l’encontre de ces conclusions (et tous publics, c’est pour vous dire) alliant à la fois une belle imagerie et une histoire alléchante. Résultat, ce n’est pas la production audiovisuelle de masse qui essaie de nous lobotomiser mais bien ses propres paroles à travers son film.

Rick Alverson ne le cache pas, il privilégie un film visuel a un film narratif, selon lui, « la résolution des intrigues pervertissent nos attentes et notre rapport au monde, ce n’est pas constructif ». Là encore, on pourrait débattre et proposer cette phrase comme intitulé du bac de philo de cette année. Le problème est que le cinéma est un groupement de plusieurs arts, et le récit en est l’une des composantes principales. C’est donc se tromper de combat que de vouloir anéantir le scénario au profit pur et simple de l’image. Il s’agit là d’un avis purement personnel dont on peut aisément contredire l’argumentation. Par ailleurs, à la vue des images en question, il n’est pas difficile de penser que c’est ce film qui cherche à nous endoctriner. Le problème d’un film qui ne veut transmettre un message que par ses images est qu’on peut lui faire dire un peu ce qu’on veut. Il suffit de lire toute une partie de son interview sur ce qu’il pense de « sa fin ‘ouverte' » pour se rendre compte à quel point c’est un jugement et une interprétation bien plus que personnelle de son propre scénario. Par exemple, étant donné que la plupart des patients sont des femmes (si ce n’est tous), on peut très facilement parler d’un film qui prône le patriarcat et la domination des hommes cherchant à rendre la femme le plus docile possible. Autant dire qu’il est extrêmement simple par la suite de trouver tout un tas de métaphores ou de justifications à ce que l’on veut faire dire au film, et ce ne sont pas vos anciens cours de français sur l’interprétation des textes de Bernard Clavel durant vos années lycée qui vous diront le contraire. C’est comme ça que certains films vivent certes, mais c’est aussi comme ça que dans une société aussi superficielle que la nôtre, où les réseaux sociaux qu’il dénonce si aisément permettent à des imbéciles d’être sur le devant de la scène et d’avoir leur seul quart d’heure de gloire de leur vie pour pondre des pétitions aussi crétines que leur auteur parce qu’ils n’ont pas compris le message ou ne sont pas content en cas de divergence artistique. Le cinéma est un art certes visuel mais il est indissociable de son récit. Une image ne doit pas se contenter d’être belle et bien cadrée, elle doit avoir des choses à dire. Tout comme un film.

Le réalisateur se vante donc d’une fin ouverte pour The Mountain. Une astuce qui trouve de nombreuses dérives au fil des ans. Lorsqu’un cinéaste ne sait pas comment conclure son histoire, il lance cette excuse de la fin « ouverte ». En réalité le film possède une non fin. Une fin ouverte laisse un véritable questionnement NARRATIF à son terme, The Mountain n’a simplement pas de fin. Le sort d’Andy une fois sous tutelle de Jack ne nous intéresse plus (si tant est qu’il nous intéressait jusqu’à maintenant). De même que le départ du docteur en proie à un échec professionnel en devenir ne laisse aucune opportunité. L’intérêt d’une fin ouverte est de laisser champs libre aux spectateurs d’imaginer eux-mêmes la fin qu’ils souhaitent dépendant du sort futur des protagonistes de l’histoire. Ce qui n’est pas le cas ici puisqu’ils subiront exactement ce que leur nouvel environnement leur promet. La fin n’est donc pas immuable dans la mesure où le mystère de leur nouvelle situation reste entier, mais n’est pas ouverte non plus puisqu’il n’y a aucune liberté au spectateur de l’alimenter. Et quand bien même, à quel but ? La base de cette « odyssée » est de toutes manières terminée puisque les deux protagonistes se sont quittés après des actes irréversibles. Ce n’est donc pas une fin ouverte mais bien une « non fin » dont le film nous gratifie (un procédé que le réalisateur dénonce d’ailleurs). De plus, pour faire écho aux propos de ce dernier, il n’y a que lorsque le cinéma devient propagande qu’une résolution d’intrigue pervertie nos attentes. Au contraire, multiplier les points de vue et les histoires alimente notre esprit critique. Même en allant voir 15 mille films de merde, on aiguise notre perception critique et on affine notre capacité d’analyse. De fait, la simple action d’aller régulièrement au cinéma suffit à approfondir notre manière de consommer ce média et pousse notre réflexion à son sujet.

Le réalisateur met encore en avant le choix de travailler en priorité le cadre notamment pour ses plans très géométriques. Effectivement visuellement le film est un véritable cours de cinéma avec différentes décompositions a l’image, des lignes de fuite, un vrai travail sur les différentes échelles de plan, le hors champs etc… Seulement, ce n’est pas le tout de savoir créer des métaphores et parallèles, cela n’en fait pas une œuvre de qualité pour autant. Pas plus que de savoir filmer des cadres que n’importe quel étudiant en cinéma un tant soit peu attentif serait capable de reproduire. Un film qui prétend être libre d’interprétation et semble fourmilier de messages, arguant que le spectateur est libre d’y voir un peu ce qu’il veut, est souvent un film qui n’a, en réalité, rien à dire. Pas étonnant finalement pour un film qui de toutes manières ne raconte rien. Notons que le réalisateur ne manque pas de se contredire lorsqu’il parle d’artificialité des images et de la fausse réalité qu’elles représentent. Un effet qu’il dénonce et se vante de reproduire, voilà ici un paradoxe tout à fait déroutant concernant sa démarche.

A croire que dans son désir immuable de privilégier la forme au fond, le réalisateur se saborde lui-même. Il entreprend de détruire lui-même tout ce qu’il construit dans son film. Par chance il fait appel à des acteurs et actrices talentueux qui parviennent à ponctuer toute cette folie avec beaucoup de prestance. Cependant le film est une torture et une hypnose à la fois pour les personnages et son public. Celui-ci étant prisonnier du cadre et de l’histoire mais surtout de la folie des personnages. A noter que cette phrase, au demeurant critique et acerbe envers le film pourrait tout a fait sonner comme un compliment chez Rick Alverson au vu de son discours en général. Lui qui voulait que le spectateur prenne conscience de l’artificialité du film, difficile de faire autrement. A tel point qu’on regrette que Jeff Goldblum ne soit pas resté une mouche chez Cronenberg si c’est pour voir ça. Il subsiste un point avec lequel on ne peut qu’être d’accord avec le cinéaste, lorsqu’il affirme « ne pas vouloir que le film se donne mais qu’il nous perturbe et impacte notre existence ». Difficile de se relever après ce calvaire. Même Burning que nous critiquions déjà d’être un tantinet trop ouvert et interprétatif avait plus de choses à dire.

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