Le daim : L’histoire d’un type qui n’a pas une gueule à porter du synthétique

La bizarrerie chez Quentin Dupieux est avant tout une affaire de dérèglement. Un univers tout ce qu’il y a de plus banal, qui se retrouve totalement disloqué pour partir dans une sorte de quatrième dimension où le non-sens règne en maître, et dont les personnages ne semblent pour la plupart jamais véritablement gênés par cette étrangeté. Depuis son premier long avec Eric et Ramzy, Steak, qui avait, on s’en souvient, créé la perplexité chez les fans du binôme en son temps, s’attendant à une banale comédie pour se retrouver dans un univers totalement autre, le cinéaste ne cesse de développer cette science du no reason, arrivée à maturité avec son deuxième long, « Rubber » et son pneu tueur et télépathe. Depuis ce coup d’éclat qui aura provoqué la stupéfaction de tous les spectateurs ayant posé un œil dessus, plus rien ne peut réellement paraître improbable dans ses films, et l’on est prêt à avaler n’importe quel concept absurde. Son nouveau film ne déroge donc pas à cette règle avec son pitch aussi simple que redoutable.

Le personnage principal, interprété par un Jean Dujardin comme un poisson dans l’eau dans l’univers borderline du réalisateur, a un rêve : être habillé à 100% daim, et être le seul être au monde à porter une veste. Et pour ça, il sera prêt à tout… Voilà, c’est à peu près tout, mais pour qui connaît le bonhomme qui en est à l’origine, c’est déjà beaucoup, et il s’agit surtout de la promesse d’un délire bien moins confortable qu’il ne pourrait paraître. Car l’humour, ici, n’est pas du genre à brosser dans le sens du poil, et il ne faudra donc pas s’attendre à de la comédie lambda misant sur l’efficacité à tout prix. Le faux rythme, presque Lynchien, qui aura toujours été la caractéristique de son cinéma, est toujours au rendez-vous, et se retrouve encore accentué ici, ce qui a pour effet de provoquer un rire jaune qui vire souvent au malaise, car malgré l’absurdité des situations, que l’on aurait tort de ne prendre que comme un délire de potache, on sent à chaque instant que tout est prêt à déborder, et que ce qui amuse un instant peut très vite virer au malsain. Le cinéaste s’amuse donc à étirer les situations, qui ne feront pas le bonheur des fans de Christian Clavier. Et à ce petit jeu, il faut répéter à quel point Jean Dujardin fait des merveilles, parfaitement à son aise pour balancer des répliques grinçantes, et pour jouer en décalage total de toute normalité, face à une Adèle Haenel quant à elle dirigée de manière beaucoup plus réaliste, ce qui accentue encore la bizarrerie ambiante, cette dernière semblant toujours consciente que rien ne va autour d’elle, tout en jouant le jeu de son partenaire, cédant à ses demandes totalement surréalistes. Jusqu’où tout cela ira-t-il ? Nous nous garderons bien évidemment de le révéler, mais la folie est bel et bien présente jusqu’au bout, virant à la farce macabre et sanglante.

Développant encore le discours méta déjà présent dans ses films précédents (Réalité qui refaisait ouvertement Inland Empire de Lynch, et Au poste, comédie à la quatrième dimension), mais cette fois sans partir dans différents niveaux de réalité, cet aspect est présent tout du long à travers le « film » que tourne son personnage principal, sorte de commentaire du film principal que l’on est en train de voir. Mais on pourra aussi tout simplement prendre le résultat au premier degré, et s’amuser de l’inventivité constante dont peut faire preuve son instigateur, toujours doué pour filmer des décors glauques, impression accentuée par une photo aux partis pris esthétiques en faisant ressortir le côté maladif, avec des tapisseries couleur pisse …

Concis (1h17, pas de gras donc), jamais avare de détails croustillants et hilarants, et ce jusqu’à l’ultime image, le film surprend à chaque instant, déroute, mais pour peu que l’on soit prêt à accepter ses excentricités, stimule et rompt joyeusement avec le tout venant de la comédie tricolore. Ce qui ne surprendra évidemment pas ses fans de toujours, mais aura le mérite de les conforter dans leur idée et de rassurer sur la bonne santé d’un cinéma français capable, quand il le veut, de donner la parole à des auteurs différents.  

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