Le Flambeur : Le jeu de la mort

Il est curieux de constater aujourd’hui la méconnaissance du cinéma de Karel Reisz. Auteur majeur du cinéma anglais et américain des années 60 & 70, il peine à percer comme une référence dans ce nouveau millénaire. Comme la preuve d’un cinéma d’une époque figée qui ne traverserait pas le temps. Certaines branches cinéphiliques le citent volontiers et son manuel de montage est parfois enseigné, mais Karel Reisz n’est jamais cité comme une référence directe des nouvelles générations.
Né en 1912 en Tchécoslovaquie, ayant fui la guerre en Angleterre alors qu’il perdra sa famille dans la Shoah, Reisz devient l’une des égéries du Free Cinéma anglais avec Tony Richardson et Lindsay Anderson. Avant Le Flambeur qui nous intéresse ici, il a déjà une dizaine d’années de carrière derrière lui réalisant et produisant des films pour ses compères. Karel Reisz franchit aisément la frontière américaine avec Le Flambeur sur un scénario noir de James Toback. C’est l’un des premiers scénarios pour ce dernier qui passera rapidement à la mise en scène avec l’un des nombreux grands films des années 70, Mélodie pour un Tueur avec Harvey Keitel.

Le Flambeur est un pur film de son époque, libre et frontal, avec des personnages d’ores et déjà installés au cœur de l’intrigue. Pas besoin d’introduction, Axel (James Caan) vient de perdre 44 000 dollars et doit trouver une solution pour rembourser. Le spectateur entre dans une course effrénée contre l’argent et le besoin du personnage à se mettre perpétuellement en danger. Le Flambeur est un film violent et pénible. Pénible dans le sens où le personnage principal a tout pour lui. Une mère proche, un métier posé, une petite amie sublime et un grand-père richissime. Alors pourquoi cette course et ce besoin de danger permanent…  ?

Axel n’a jamais le sentiment de vivre. Aucune émotion vitale ne passe outre l’adrénaline du jeu, de parier sur la moindre chose. Une partie de basket avec des gamins, car il n’a pas eu sa dose, ou des matchs de football ou de basket juste après avoir gagné à Las Vegas. Le jeu est une drogue, sa came, son adrénaline pour prouver son existence auprès d’une vie lisse. Son grand-père ayant trop bien pris soin de lui, une mère infirmière et une carrière de professeur où il essaye d’intégré la notion d’illogisme au cœur de cette vie uniforme, 2×2 ne faisant pas forcément 4. Il n’a pas envie de suivre le chemin, combat cette analyse fondamentale de normalité en se mettant en danger pour créer l’adrénaline, voire convoquer la mort.
Axel est un homme qui s’ennuie ne pouvant rester allonger nu à côté de la plantureuse Lauren Hutton. La vie lui renvoie la part belle, elle qui va voir ailleurs, pour sortir de ce carcan de normalité. La manière est plus hypocrite que celle d’Axel plus franc dans sa volonté de tromper la vie et l’ennui qui s’en dégage.

Face à l’affiche et au synopsis, on se demande ce que Karel Reisz a bien pu trouver comme fondamental dans ce film hollywoodien, bien loin de ses terres de liberté. Le Flambeur est son premier long-métrage aux États-Unis. Il signe une transposition moderne et noire du célèbre roman de Dostoïevski, Le Joueur. Ce n’est en aucun cas une transposition littérale, mais la variation du thème, perte de repères au cœur d’une vie d’un personnage aux maux évidents. Le personnage d’Axel fait le lien avec la filmographie anglaise de Karel Reisz. L’addiction au jeu du héros (mal dont souffrait aussi Dostoïevski) rejoint totalement les thématiques de Reisz. Depuis Samedi Soir et Dimanche Matin, le réalisateur tchécoslovaque met en scène des personnages obsessionnels névrosés en quête d’un absolu les faisant fuir leur mal-être, leur environnement oppressant. Albert Finney interprète un ouvrier s’enivrant pour oublier sa condition sociale ou Vanessa Redgrave se flagellant dans la pratique de la danse dans le biopic consacré à Isadora Duncan en 1968. L’obsession continuera ensuite avec le personnage de Nick Nolte dans Les Guerriers de l’Enfer, évocation d’un vétéran de la guerre du Vietnam qui, de retour au pays, découvre une Amérique délabrée par la drogue et le sexe.

Le schéma est identique dans Le Flambeur. Karel Reisz suit la déchéance d’un homme qui n’y réchappera pas. Il atteint un point de non-retour dans cette dernière partie tragique poussant la violence à son paroxysme. Psychologique et irréel pendant la majeure partie du film, Karel Reisz fait brutalement basculer la violence de façon physique. La réjouissance qui se lit sur le visage ensanglanté d’Axel à travers le miroir fait froid dans le dos, l’homme en venant à parier sa vie et son âme dans un face-à-face avec lui-même tragique.

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