The Dead Don’t Die : Nonchalance of the Dead

Il y a des cinéastes qui vous marquent indubitablement. Des cinéastes qui retournent les codes du septième art, qui l’interrogent, le magnifient et le bouleversent. Jim Jarmusch, poète des temps modernes et grand bienfaiteur du cinéma indépendant américain de ces 40 dernières années, fait partie de cette élite de réalisateurs pour lesquels il faut être un minimum initié. Certains citeront Ghost Dog pour une première approche de son art. D’autres ne jureront que par Dead Man ou Broken Flowers, tandis que les plus poétiques préféreront Coffee and Cigarettes ou le plus récent, mais non moins énigmatique, Only Lovers Left Alive. Peu importe avec lequel des films susmentionnés le cinéphile aguerri décide de se lancer dans l’univers de Jim Jarmusch, ce qu’il faut en retenir c’est l’aspect contemplatif de ses œuvres. Jarmusch aime capter des instants atypiques, des moments suspendus dans le temps, pour en tirer tout le sublime qui se cache souvent dans les silences. Alors quand le poète décide de nous livrer une critique acerbe de la société américaine moderne bercée dans un humour absurde, autant vous dire que nous nous sommes jetés dessus à corps perdu. The Dead Don’t Die, écrit et réalisé par Jarmusch himself, pourrait se voir comme un coup de bluff marketing réussi. En effet, la bande-annonce de ce dernier laissait entrevoir une comédie au rythme effréné à classer aux côtés des comédies du même genre que peuvent être les Shaun of the Dead et autres Bienvenue à Zombieland. Pauvre spectateur naïf qui pensait se retrouver en terrain conquis… Les mauvaises notes attribuées au film sur divers sites et autres critiques négatives à son égard témoignent du manque d’information de la masse populaire quant au cinéma de Jarmush. Non pas que nous acclamons un quelconque élitisme, mais s’il fallait que le petit Jim jouisse d’une visibilité plus grande, il n’aurait pas pu mieux faire. Mais est-ce que The Dead Don’t Die représente au mieux son cinéma ? Appâter le spectateur est une chose… Lui donner envie de fouiller les autres œuvres du réalisateur en est une autre.

Bienvenue à Centerville, petite ville paisible dans un état retiré des États-Unis. Lorsqu’ils apprennent que la Terre a dévié de son axe de rotation, les habitants de Centerville constatent des changements climatiques anormaux. Pire que tout, les morts reviennent à la vie et se mettent à attaquer les vivants. Trois policiers et une mystérieuse croque-mort écossaise vont tenter de résoudre le mystère et de vaincre la horde sanguinaire qui décime la population.

Jim Jarmusch réunit la crème de la crème au sein de son casting. Il fait jouer tous ses acteurs fétiches. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que The Dead Don’t Die possède le meilleur casting de l’année, à n’en point douter. Tel un Expendables de la comédie horrifique, The Dead Don’t Die rassasiera le spectateur venu chercher des acteurs prodigieux, parfaitement emmenés par un Bill Murray charismatique, comme toujours, dans un rôle à la mesure de son talent. S’il y a bien une qualité qu’on ne peut absolument pas enlever au film c’est la justesse et le talent de ses acteurs. Adam Driver est épatant. Son cynisme sied parfaitement à celui de Bill Murray. Le duo nous gratinent d’un lot de répliques délicieuses. Offrons tout de même une mention spéciale à Tilda Swinton tout bonnement hilarante en croque-mort écossaise, bouddhiste et fan de karaté et de combats aux sabres. L’entité qu’elle représente est à l’image de tout l’absurde qui se dégage du film : grotesque et poussif certes, mais irrésistiblement drôle. Il suffit de la voir déambuler dans les rues de Centerville tel un terminator pour qu’on soit à deux doigts de la supplier de sortir le célèbre « I’ll be back » de Schwarzy lorsqu’elle débarque dans le commissariat. Elle prouve, une fois de plus, qu’elle est une très grande actrice capable de jouer n’importe quel rôle. Elle se meut littéralement dans la peau de son personnage. Mais elle ne vole pas la vedette pour autant. A dire vrai, chacun des acteurs illuminent l’écran lorsqu’ils sont présents à l’image. On sent qu’ils s’amusent comme des enfants, du plus grand au plus petit rôle. Et la galerie d’énergumènes qui défile sous nos yeux est véritablement ahurissante qu’on ne peut pas ne pas citer la démarche zombiesque d’un Iggy Pop habité par le sang et le café ; le raciste crétin magnifié par un Steve Buscemi désopilant arborant une casquette au slogan qui n’est pas sans rappeler la campagne présidentielle de Donald Trump ; un Danny Glover dans les pompes d’un homme bien trop vieux pour ces conneries ; Selena Gomez en parfaite victime teenager de film d’horreur (et ce n’est pas péjoratif, elle joue vraiment bien!) ; ou encore Tom Waits en ermite désabusé qui observe le monde se consumer avec autant de nonchalance que le fameux « Monde de merde » prononcé à la mort de George Abitbol dans La Classe Américaine. Le casting est impérial, du pur caviar, on se régale divinement.

Le ton du film sera très vite donné. Voguant entre expérience méta et un humour hyper référencé, The Dead Don’t Die ne parlera pas à tout le monde. Jarmusch semble faire le bilan de ses années cinéma. Entre déclarations d’amour aux films de genre (le cinéma de George A. Romero et celui de John Carpenter, Nosferatu…) dont on le savait déjà hyper admiratif (il suffit de revoir Only Lovers Left Alive pour s’en rendre compte) et à la pop-culture (Star Wars, les comics…), Jarmush s’amuse à s’auto-citer à de multiples reprises. Gros délire narcissique ? Les détracteurs du film auront vite fait d’acquiescer. Pour autant, The Dead Don’t Die n’a rien de nombriliste en soit. Il est le témoin d’un auteur qui constate que le discours mercantile dénoncé par Romero dans Zombie en 1978 n’a absolument pas changé en 2019. Fainéantise extrême que de pomper un discours déjà si brillamment étoffé dans l’œuvre susmentionnée ? S’il fallait accorder un défaut à The Dead Don’t Die c’est probablement son péché d’orgueil. Jarmusch peut laisser transparaître une nonchalance exacerbée qui pourrait énerver au lieu de séduire. Son dégoût d’une Amérique avilissante sous l’ère trumpienne interpelle et semble avoir dérangé la plupart des spectateurs sortis déçus du film, mais pourtant c’est ce qui lui permet d’étoffer le fond de sa comédie. Les vivants n’ont rien de bien affriolants dans le film. Ils sont une coquille vide, dénués de tout sentiment, attendant patiemment leur châtiment sans jamais broncher. Les vivants s’autodétruisent dans une routine morose. Ils sont écroués sous le poids d’une société qui les a conduit à se comporter de la sorte. Les morts-vivants ne représentent qu’un miroir triste de l’image que les vivants renvoient sans cesse. Ils sont incapable de prendre des décisions par eux-mêmes, trop enfermés dans le moule étriqué d’une société moribonde gouvernée par un vrai décérébré. Voilà ce que Jarmusch tente de faire dire à The Dead Don’t Die. Et même si ça ne fait pas mouche de manière très subtile, le film opère un lavage de cerveau minutieux pour mieux nous emmener auprès de l’état végétatif vers lequel ses personnages se dirigent lentement. Alors oui, ça ne fait pas dans la finesse, bien au contraire. Jarmusch use et abuse de comique de répétition à foison et brise à mainte reprise le quatrième mur. Mais la plus grande force de son comique revient à la manière dont il est délivré par ses acteurs. Une fois encore, The Dead Don’t Die est un vrai film de potes tourné dans la bonne humeur, et ça se ressent grandement.

Loin d’être le meilleur film de Jim Jarmusch, The Dead Don’t Die fait, malgré tout, sens au milieu de la filmographie de son auteur. Il descend massivement toute idée procrastinatrice en nous présentant les personnages les plus procrastinateurs qui puisse exister. Loin d’être une approche totalement fine, le discours de fond trouvera tout de même un écho chez le spectateur qui saura lui donner une véritable chance. The Dead Don’t Die est loin d’être le film paresseux et pathétique que le festival de Cannes a décrié. Et même si on reste à des années de la poésie habituelle de Jim Jarmusch, fort est de constater que son humour nous aura conquis le temps d’une séance fort sympathique…et puis Tilda Swinton est à mourir de rire…et puis la bande-originale est très cool…et puis Iggy Pop attend toujours son café…et ses cigarettes !

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