John Wick : Ils ont buté son chien, ils ont déclenché la guerre !

Nous sommes en 2014, et la carrière de Keanu Reeves n’est pas franchement au beau fixe. On peut même dire que cela fait une bonne décennie que l’acteur est boudé par le public, accumulant les prestations dans des films pour la majorité totalement oubliés depuis, et sortant tout juste des échecs successifs de 47 Ronin, vague tentative d’hommage aux films de Samouraïs, tourné en anglais, pour une histoire censée se dérouler dans le Japon féodal, et de Man of Tai Chi, chouette hommage aux films d’arts martiaux qu’il vénère, et qu’il a mis lui-même en scène. Malheureusement, le public n’aura pas été au rendez-vous et l’on pensait sa carrière définitivement au point mort à ce moment-là. Jusqu’à ce que, par cette magie dont est encore capable le cinéma Hollywoodien de temps à autre, une petite série B débarque de nulle part, avec son pitch totalement improbable et sa bande annonce ultra cool, attirant directement tous les regards sur ce qui s’annonce comme une pure décharge d’adrénaline rendant son tribut à tous les films asiatiques des dernières années, le polar coréen en tête, avec leur violence stylisée et leur mise en scène de l’action mettant parfaitement en valeur les acteurs. Il faut dire que voir débarquer un film parlant d’un ancien tueur reprenant du service pour accomplir sa vengeance suite au meurtre … de son chien, avait de quoi donner lieu à tous les fantasmes. Cela pouvait tout autant être le synopsis d’une obscure série Z digne de Steven Seagal, tout comme le point de départ à l’idiotie tout assumée d’un univers bien plus ambitieux. Et le résultat, on le connaît. Mais avant d’en arriver à cette franchise dont chaque épisode est aujourd’hui attendu comme une suite de blockbuster lambda, revenons un peu au point de départ, lorsque tout restait à faire et qu’il fallait faire gober au public un concept pour le moins casse-gueule.

John Wick est un homme malheureux. Sa femme est décédée d’une maladie, il est seul et n’a plus que son chien, dernier cadeau de sa dulcinée, et sa voiture, une superbe Ford Mustang de 1969, comme sources de réconfort. C’est pour cette raison que lorsque une petite frappe sans envergure, fils d’un grand parrain, vient chez lui avec ses malabars pour lui foutre sur la tronche, tuer gratuitement son chien (qui, comble du malheur, était franchement trop adorable) et lui voler sa caisse, c’en est trop pour lui, et l’heure de la vengeance a sonné. On comprend très rapidement qu’il n’a pas toujours mené cette vie bien tranquille, et que son passé sauvage est sur le point de ressurgir, pour ne plus rien laisser de vivant sur son passage. C’est là que le premier coup de génie survient, dans cette écriture purement B, dans le sens le plus classieux du terme, à savoir que l’historique du personnage est longuement évoqué par ce qui sera le grand méchant du film, interprété par le regretté Michael Niqvist, qui nous fait comprendre en un monologue (« je l’ai vu tuer un mec  juste avec un crayon ») tout ce dont est capable celui qui est surnommé « Baba Yaga », traduit le Croquemitaine, et qui sera clairement montré comme tel durant tout le film. Le personnage, quant à lui, est introduit sans ligne de dialogues, dans ses gestes quotidiens, où l’on devine un homme méthodique, ayant tout perdu, et n’ayant justement plus rien à perdre par la suite. On est donc dans une logique d’exterminateur, évoquant quelque boogeyman de slasher movie. C’est une présence dont tout le monde parle, une légende, avançant telle la grande Faucheuse, impassible, et ne laissant que des cadavres sur son chemin. Pas le héros habituel, donc, et pourtant, difficile de ne pas être de tout cœur avec lui dans son odyssée vengeresse, tant l’acte motivant cette vengeance paraît d’une gratuité intolérable.

Mais là où le film frappe le plus fort, outre ses scènes d’action dont nous reparlerons plus tard, c’est dans cette manière de créer lentement mais sûrement une mythologie aux règles aussi simples qu’imparables, et qui ont contribué pleinement à faire d’une petite série B isolée une saga aujourd’hui si adulée, et dont le troisième épisode imminent est attendu avec impatience. Car nous sommes clairement dans un monde parallèle au notre, un monde de tueurs obéissant à ses propres règles, et dont le premier exemple venant à l’esprit est bien entendu ce concept génial du Continental Hotel, où viennent se reposer les tueurs,  au sein duquel il est interdit de tuer, sous peine de sanction fatale. On peut également citer les nettoyeurs, arrivant en pleine nuit chez John Wick pour ramasser la dizaine de cadavres encore frais, personnages contribuant à l’aura de Bande dessinée filmique de la saga, pur univers hard-boiled n’obéissant à aucune loi concrète, et où tout peut arriver pour le plus grand plaisir du spectateur fana d’action violente.

Et l’action, parlons-en justement. La même année que ce premier épisode, est sorti The Raid 2, pièce maîtresse du film de baston moderne, ayant ridiculisé définitivement toutes les pauvres tentatives U.S. ou autres, dans le genre, en imposant une patte sauvage, voir bestiale, où chaque coup porté semble faire plus mal que le précédent, et dont on se demandait clairement, face à tant de virtuosité, comment le genre allait pouvoir s’en relever. Si John Wick ne révolutionne rien, du moins, ne semble pas réinventer le genre comme le Gallois exilé en Indonésie Gareth Evans avait pu le faire, il fait tout de même repartir le genre sur de bonnes bases, à savoir inspirées par tout un pan du cinéma asiatique, comme dit plus haut, pour se le ré-approprier, avec ses propres règles et son style de combat aussi cinégénique que neuf, appelé gun fu, pour son mélange de judo, jiu-jitsu et maniement de flingues, avec cette façon unique de recharger très rapidement en plein combat, avant de distribuer les headshots sans fin. Et à ce petit jeu, on peut dire que Keanu Reeves est fort impressionnant physiquement, semblant tout à fait crédible avec les multiples plans larges et longs, nous laissant apprécier les mouvements dans toute leur durée, sans ce sur-découpage plombant le genre depuis que Paul Greengrass a imposé ce style illisible avec ses Jason Bourne. Rien de tel ici, mais une clarté de l’action nous laissant admirer toute la violence à l’œuvre, à l’occasion d’un R-rated assumé et totalement décomplexé dans ses excès de brutalité. Il faut donc comprendre qu’ici, les têtes éclatent, et les corps sont perforés de toutes parts par les balles ou objets contondants. On n’est pas encore au niveau des The Raid ou polars coréens, mais il y a de l’effort, et cette sauvagerie ira crescendo de film en film.

Voilà comment, de petit film sorti de nulle part, ses instigateurs Chad Stahelski et David Leitch ont fait le point de départ d’une véritable saga que l’on espère aujourd’hui voir perdurer encore longtemps, tant que l’inspiration sera là. Revoir ce premier épisode aujourd’hui est toujours fort plaisant, malgré ses excès et le fait qu’il paraisse un peu en-deçà de ce à quoi l’on aura droit pour la suite. Ce que l’on en retient principalement, c’est ce dialogue en forme de note d’intention de notre Keanu adoré, qui, attaché et torturé par les méchants, commence à se fâcher tout rouge en déclarant « On me demande souvent si je suis de retour. Maintenant, je pense pouvoir dire sans hésitation que oui, je suis bien de retour. » On ne garantit par l’exactitude totale dans la retranscription du dialogue, mais ça ressemble à peu près à ça, et à ce moment précis, on entend Keanu Reeves lui-même balancer à son public, ses fans, qu’il n’est pas moribond, et qu’un autre rôle iconique va pouvoir être ajouté à son tableau de chasse déjà bien rempli. Et cela nous emplit de joie, tant cet acteur a participé à notre éducation cinéphilique avec ses rôles des 90’s. Keanu is back, donc, et la suite fera encore plus mal !