Les Forbans de la Nuit : Londres au firmament du film noir.

Le film noir américain, tout un programme… Une époque anthologique qui vu passer les meilleures heures de réalisateurs prestigieux comme John Huston, Orson Welles, Howard Hawks ou encore Henry Hathaway. L’âge d’or de ce courant qui a vu le jour au début des années 40 aura duré une dizaine d’années pour les puristes, mais il a proliféré jusqu’à la fin des années 50. C’est aussi une période qui a vu exploser d’innombrables stars comme Humphrey Bogart, Lauren Bacall, Burt Lancaster ou même Lana Turner. Une période fascinante du cinéma américain dans laquelle on ne se lasse jamais de se replonger tant il y avait des idées novatrices en terme de mise en scène, des dialogues pointilleux et des acteurs au summum de leur art. Cet âge d’or n’a de cesse de piquer la curiosité des cinéphiles avertis, voilà pourquoi Wild Side nous fait l’honneur de sortir pour la première fois, dans une édition HD, l’un des films majeurs du réalisateur Jules Dassin, Les Forbans de la Nuit. Passé inaperçu lors de sa sortie en 1950, car englobé en pleine déferlante du film noir et noyé sous le poids de certains mastodontes cette même année (Quand la Ville Dort, House by the River, Le Troisième Homme), il a très vite été réhabilité et cité par des grands noms du cinéma comme un chef d’oeuvre à ne pas louper. Des réalisateurs comme Truffaut ou Chabrol lui ont voué un véritable culte.

Adapté du roman éponyme de Gerald Kersh, Les Forbans de la Nuit se focalise sur Harry Fabian, un frimeur qui vit de combines douteuses, mais qui n’arrive jamais à mener à bien ses plans. Accumulant les dettes, il décide d’organiser des combats de lutte afin de s’enrichir. Il va même jusqu’à défier le caïd local sur son propre terrain de jeu, mais très vite la situation commence à lui échapper.

Bienvenue à Londres, ville de tous les excès. L’ouverture des Forbans de la Nuit annonce la couleur d’emblée : nous sommes bel et bien au cœur d’un film noir où les innombrables ruelles sombres de la ville et ses quartiers les plus populaires (loin des strass et paillettes des quartiers luxueux) deviendront les acteurs principaux. Jules Dassin magnifie ses plans grâce à une architecture vertigineuse et labyrinthique. La fuite du héros dès les premiers plans donnera le ton du film également. Nous aurons affaire à un héros torturé, traqué et perdu. L’ouverture du film est un vrai régal et nous rappel à merveille pourquoi cette période du cinéma américain est tant estimée. Tout est carré, pensé et réalisé avec maestria. Il suffit de quelques minutes pour plonger le spectateur au cœur du projet. Nous sommes happés dans une magnifique toile d’araignée de laquelle il semble impossible d’en réchapper.

C’est d’ailleurs avec cette peur au ventre permanente qu’évoluera le héros. Porté à merveille par Richard Widmark, le personnage de Harry inspirera tout un panel d’émotions au fil du récit, qu’il sera impossible de ne rien ressentir pour lui. Tantôt charmeur et manipulateur, tantôt trahis et anéantis, Richard Widmark offre une composition hors-norme. Harry est un personnage complexe et énigmatique, à l’instar des ruelles londoniennes dans lesquelles il survit. Il n’a rien de très héroïque, il est même plutôt tout l’inverse. Mais ce qui le rend attachant malgré tout, c’est sa profonde gentillesse. Il ne cherche qu’à avoir un peu de gloire, rien de plus. C’est un enfant au fond de lui. En dépit de choix incongrus pour survivre, nous suivrons ses trépidations avec un intérêt certain. Mais ici, il n’y a pas d’ascension fulgurante qui amorce une chute douloureuse…Harry ne fait que chuter, encore et encore…

Outre la superbe prestation de Richard Widmark, il faut souligner la propreté de la photographie du film signée Max Greene (Sept Jours de Malheur, Après Moi le Déluge). Grâce à ce travail minutieux, Jules Dassin s’offre une vision particulière de Londres. Il y aura très peu de plans en pleine journée, ce qui l’intéresse se passe la nuit. Les Forbans de la Nuit distille des images fortement inspirées par l’expressionnisme allemand. Dassin impose une aura quasi mystique à ses ruelles qui agissent véritablement sur la psyché de ses personnages. A contrario de cet aspect fantastique, le réalisateur offre un réalisme cru, presque documentaire, lorsqu’il s’attache aux relations qu’entretiennent ses personnages. Il les filme avec des plans très serrés. Il nous rapproche au plus près de leurs émotions, il cherche à nous faire toucher leur âme. Avec une dimension tragique que n’aurait pas renié Shakespeare (notamment lors du final), Les Forbans de la Nuit est une œuvre complète. Un film avec de très grandes qualités, qui nécessitera forcément plusieurs lectures afin d’en dévoiler toutes ses nuances.

Wild Side nous offre une édition complète du chef d’œuvre de Jules Dassin. Parsemée de bonus extrêmement intéressants, cette édition restaurée trouvera une place de choix dans votre collection. De plus, l’éditeur a vu les choses en grand en accompagnant son coffret d’un superbe ouvrage écrit par Philippe Garnier qui décortique minutieusement les atouts du film. Les Forbans de la Nuit est une oeuvre inratable pour quiconque aime les films noirs !

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