Genèse : Les ados n’ont pas fini d’inspirer le cinéma

Parler de l’adolescence au cinéma tient de la véritable gageure, tant le sujet semble désormais avoir été traité sous tous les angles possibles, de la chronique naturaliste à la Française à la bonne grosse pantalonnade Américaine, en passant bien entendu par les fables sensibles du regretté John Hughes, faisant encore aujourd’hui figure de Maître inégalé en la matière, avec ses films capables de parler à toutes les générations, par leur justesse de ton et cette façon si particulière qu’ils avaient de s’adresser aux adolescents sans les prendre de haut, ou les considérer comme des bêtes curieuses. En bref, se lancer dans ce type de sujet aujourd’hui nécessite d’avoir un regard atypique sans être plombant, ou tout du moins d’adopter une approche qui puisse apporter quelque chose au spectateur, sans quoi le risque est de rejoindre la masse d’œuvres semblables, pas forcément désagréables, mais ayant tendance à se mélanger, et donc s’annuler les unes les autres, dans l’esprit du spectateur. Le québecois Philippe Lesage ne fera bien entendu pas partie de ces tristes représentants ayant du mal à faire preuve de la moindre audace, puisqu’il semblera très rapidement évident devant le film, que l’on se situera dans la veine « réaliste » du genre, en tout cas, ayant à cœur de parler de sujets universels de façon pure et hypnotique, comme un songe d’adolescent, mais avec tout ce que cette période peut supposer de turbulences, jamais traitées de façon tapageuse, en maintenant toujours ce rythme languissant propre à nous immerger dans son monde cotonneux.

Le film sera focalisé particulièrement sur deux personnages, au centre de l’intrigue générale, mais ne se croisant qu’une seule fois, sans que ce qu’ils vivent n’influe sur l’autre. Ces personnages, ce sont Guillaume (saisissant Théodore Pellerin), grande gueule de sa classe, sans cesse en représentation, avec ce côté arrogant qui ne trompe finalement personne, n’étant que ce qu’il a trouvé pour masquer ce qu’il considère comme des faiblesses, et particulièrement le fait qu’il tombe progressivement amoureux de son meilleur ami avec qui toute relation autre que d’amitié semble exclue ! Un personnage tour à tour agaçant et bouleversant, par ce regard si délicat que porte le cinéaste sur lui, et cette absence totale de jugement qui tient de la véritable observation objective d’un univers que les adultes ont quitté depuis trop longtemps pour se permettre de prendre de la hauteur dessus. Le second personnage au centre de la majorité du film, c’est Charlotte, interprétée par Noée Abita, jeune révélation de « Ava », demi-sœur du précédent, et en phase d’expérimentations, lorsque son amoureux lui avoue ne pas savoir exactement où il en est, et ne pas être contre une relation libre, avant de savoir s’ils sont faits pour être ensemble pour la vie. Un âge d’incertitudes, où l’on peut se persuader que la personne que l’on aime sur le moment partagera notre vie entière, et en même temps douter, naturellement, et vouloir vivre sa vie à fond, avant qu’il ne soit trop tard, avant que la vie ne se charge de nous ramener à une vision plus casanière des choses. Ces beaux personnages, que l’on croirait pourtant archétypaux à l’extrême, évoluent devant la caméra élégante de Philippe Lesage, dont le précédent et premier long-métrage, « Les démons », faisait déjà preuve de la même audace et sensibilité pour traiter de personnages plus jeunes, dans la fin de l’enfance, et vivant cette période de transition de manière angoissée et parfois cruelle. S’y déployait déjà cette envie de cinéma libre, sensoriel, à la mise en scène picturale assumant son formalisme, avec ses cadres très composés, alternant avec des mouvements d’appareil très contrôlés, figeant certaines situations dans une sorte de flottement au goût d’éternité. Ce sentiment, on le ressent encore dans ce film, particulièrement lors de scènes de soirées, où la musique tient un rôle très important, et où les lumières très stylisées créent une sorte de cocon dont on ne voudrait jamais sortir, comme un rêve pouvant être interrompu à tout moment pour un retour désagréable à la réalité.

Ces scènes en intérieur aux éclairages très marqués contrastent avec d’autres, beaucoup plus solaires, en plein air, où la caméra se fait plus mobile, notamment sur la dernière partie du film, tranchant avec le reste dans le sens où elle nous montre des personnages plus jeunes que l’on a pas appris à connaître le reste du film, au filmage à l’épaule (sans doute à la steadycam, vu la légèreté du filmage) particulièrement agréable à l’œil. Ces instants en plein air, disséminés un peu partout dans le film, font office d’instants magiques, hors du temps, où un simple pique-nique entre amoureux dans un parc semble gravé dans l’éternité, quoi qu’il puisse arriver par la suite. C’est grâce à ces instants suspendus, purs moments de grâce qui peuvent presque donner le frisson, que le film atteint parfois à une sorte de perfection où tous les éléments mis en place, tous ensemble, atteignent une harmonie aussi fugace que marquante. On pense d’ailleurs pas mal au cinéma de Mikhaël Hers, auteur des magnifiques « Ce sentiment de l’été » et « Amanda », avec cette même façon de capter la mélancolie de fins de journées ensoleillées, où les choses les plus simples de la vie quotidienne peuvent être source d’émerveillement.

Il est d’autant plus regrettable que le cinéaste se fasse peut-être un peu trop confiance et ait du mal à resserrer son montage, le rythme particulièrement alangui (ce qui n’est habituellement pas un problème, lorsqu’il est bien géré) ayant du mal à cohabiter avec une durée objectivement excessive (2h10 avec générique) ! Avec 30 minutes de moins piochées un peu partout, cela aurait été beaucoup mieux. Mais s’il n’y avait que ça, cela resterait finalement assez mineur, le problème principal étant que certaines scènes paraissent du coup assez gratuites, comme plaquées là pour rajouter de pseudo enjeux dont le film n’avait clairement pas besoin pour s’épanouir. Un manque de modestie qui se retourne parfois contre le film, jusqu’à atteindre une petite sortie de route lors d’une scène de viol assez problématique, du fait qu’elle arrive sans prévenir, et ne semble pas apporter quoi que ce soit à la trajectoire du personnage concerné. Pire, elle apparaît comme un évènement banal parmi d’autres, n’ayant aucune incidence sur le reste du film, et clôturant quasiment cet arc narratif. Le film précédent du cinéaste comportait déjà une scène difficile, mais qui semblait pour le coup mieux amenée, plus cohérente par rapport à ce que le film entendait raconter. Ici, elle aurait clairement pu être évitée, tout comme le traitement du personnage de Guillaume, dont l’issue un peu sur-écrite peut laisser perplexe.

Quoi qu’il en soit, malgré ses défauts de fabrication le pénalisant et l’empêchant d’atteindre l’excellence, il y a encore suffisamment de raisons d’être satisfait du résultat, qui comporte assez de moments marquants pour pénétrer l’esprit du spectateur et ne plus le lâcher, du moins sur le moment. On se souviendra donc longtemps de ces deux beaux personnages romanesques, et pourtant si simples, ainsi que de cette chanson proprement obsédante électrisant le film plusieurs fois, atteignant une sorte d’extase très Dolanienne, d’un groupe montréalais qui s’appelle Tops, et la chanson « Outside ». On défie quiconque de ne pas chantonner le morceau en sortant de la salle, et de ne pas courir sur Internet chercher de qui il s’agit. On vous facilitera donc la tâche, en cas de coup de cœur. On conclura donc en affirmant que parfois, un film inégal aux choix parfois discutables peut s’avérer plus stimulant et remarquable qu’une œuvre en apparence parfaite, mais finalement évanescente, car ne débordant jamais du cadre qu’elle s’est imposé. Rien de tout ça ici, mais un geste de cinéma qui va plus d’une fois au cœur, et flatte nos sens autant que nos émotions les plus pures. Ce qui est déjà pas mal, on en conviendra.  

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