Poupée Russe : un anniversaire sans fin…

Netflix a révolutionné le concept de binge watching. Avec son catalogue fluctuant de séries qui émergent chaque mois sur sa plate-forme, il devient de plus en plus difficile de trouver véritablement chaussure à son pied. La méthode fait des heureux, on ne va pas s’en plaindre. Découvrir de nouvelles séries à foison est aussi attrayant que rebutant. Par cette méthode, Netflix ne crée plus vraiment d’attente. On ne se languit plus de patienter une semaine entre les épisodes pour découvrir la suite d’une histoire. Par conséquent, il devient difficile de créer un attachement certain aux personnages et lorsque l’on voit le nombre de séries qui ne sont pas renouvelées sur la plate-forme, on comprend pourquoi. Le binge watching a ses bons côtés, mais le revers de la médaille met nos nerfs de spectateur à rude épreuve. Impossible de réussir à suivre le rythme effréné, nous sommes perdus au milieu d’un catalogue quantitatif qui nous donne de plus en plus de mal à repérer le qualitatif. Mais nous ne sommes pas ici pour faire un procès d’intention à Netflix, d’autant que nous sommes plutôt friand des programmes qui y sont proposés. C’est ainsi que nos yeux se sont posés sur Poupée Russe, nouvelle série originale créée par Amy Poehler, Leslye Headland et Natasha Lyonne qui endosse le rôle principal de cette dernière. Le soir de ses 36 ans, Nadia, fêtarde invétérée, meurt renversée par un taxi. Elle reprend vie dans les toilettes, quelques heures plus tôt, au beau milieu de sa fête d’anniversaire. Son absorption régulière de drogues lui fait craindre une hallucination causée par la cocaïne. C’est en mourant encore et encore qu’elle va vite comprendre qu’elle se retrouve piégée au sein d’une boucle qui va bien plus loin qu’une mauvaise réaction aux drogues.

Impossible de ne pas citer Un Jour Sans Fin de Harold Ramis lorsque l’on attaque la série. Poupée Russe base son concept sur une boucle temporelle interminable, sujet éculé depuis des années que ce soit au cinéma ou à la télévision. Si l’idée séduit, cela vient uniquement de la capacité du spectateur à vouloir se laisser embarquer dans une histoire où les ficelles ont déjà été usées jusqu’à la moelle. D’autant que les deux premiers épisodes de la série nous présentent une héroïne borderline, à mi-chemin entre la vamp destroy et la bobo imbue d’elle-même. On ne se prend pas vraiment d’affection pour Nadia. D’ailleurs, on ne saura jamais vraiment s’il faut se réjouir ou non de ses premières morts tant ce personnage n’attire aucun capital sympathie. Fort heureusement, le rythme rapide des épisodes (25 minutes environ) nous permet d’avoir envie d’aller voir plus loin. Poupée Russe prendra véritablement corps à partir du troisième épisode. Sans en dévoiler les tenants et aboutissants, chaque épisode amènera de nouveaux éléments qui casseront la routine du comique de répétition conceptuel propre à la série. On apprend à découvrir Nadia. On fait connaissance avec son passé tumultueux et on arrive à cerner qui est la personne qui se cache derrière sa carapace exubérante. L’ensemble des personnages qui croisent la route de Nadia demeure intéressant. L’écriture de la série arrive à donner corps à chacun des rôles. Chaque pièce du puzzle est un élément clé pour le salut de l’héroïne. Nadia n’a jamais vraiment apprécié la valeur de la vie que depuis qu’elle meurt sans cesse. Tel un phœnix qui renaît toujours de ses cendres, Nadia va explorer des pistes insoupçonnées afin de combattre le mal qui la ronge. Une fois encore, le concept est usé depuis des lustres, mais Poupée Russe tire son épingle du jeu par une approche à la fois burlesque et sombre de son sujet.

Afin de bonifier ses propos, la série va puiser dans ce qu’il s’est fait de mieux dans le genre. Les diverses morts brutales et absurdes iront chercher la série des Destination Finale. On se surprendra à explorer différents univers parallèles, et on ne pourra que penser aux aventures de Marty et Doc de Retour Vers Le Futur 2 qui changent les lignes temporelles de leur histoire. Seulement, malgré un premier degré très cabotin, Poupée Russe se montre résolument plus adulte que les modèles qu’elle cite. On y parle d’abandon, de folie, de misère et de mort dans sa forme la plus abjecte. Dans les thématiques abordées, on sera plus proche d’Ashton Kutcher qui essaie d’empêcher un viol pédophile dans l’Effet Papillon que de Bill Murray qui prend des leçons de piano pour séduire la femme qu’il aime dans Un Jour Sans Fin. La palette émotionnelle de la série se retrouve ainsi complète puisque chaque épisode apporte une ambiance différente du précédent. Bien que le burlesque demeure une ligne de conduite perpétuelle, on sera séduit par les différentes phases de deuil par lesquelles passera Nadia. D’ailleurs, Natasha Lyonne est une véritable révélation. Nous avons toujours été habitué à la voir jouer le même type de rôle, et le point de départ de son personnage ici ne nous laissait d’avantage voir autre chose. Mais l’actrice parvient à extraire un jeu puissant, d’une belle intensité, si bien qu’on pourrait mettre directement son personnage en corrélation avec ses choix de carrière. Nadia, tout comme Natasha, n’a jamais vraiment pris de risques. Elle se conforte dans une vie monotone, terne et sans saveur. Elle se détruit en s’enivrant, se drogue à foison, elle sort d’une réalité qu’elle ne veut pas accepter sans prendre conscience de toutes les belles choses qu’elle pourrait accomplir. Natasha Lyonne nous prouve ici qu’elle est capable de jouer autre chose que la bonne copine sympa et rigolote. Elle émeut véritablement. Bien qu’elle soit grossière malgré tout (on est loin de la finesse et des codes classiques de la diva hollywoodienne par excellence), elle se retrouve sur un chemin cathartique appréciable, notamment grâce à sa rencontre avec le personnage d’Alan. Interprété par Charlie Barnett (surtout connu pour avoir joué le rôle de Peter Mills dans la série Chicago Fire), Alan va instantanément amener Nadia à se questionner sur les raisons de son existence. Le duo fonctionne à merveille.

On regrettera toutefois l’effet kleenex des pistes explorées par la série. Chaque épisode tente un niveau de lecture différent sur la situation et essaie d’y répondre par des explications de plus en plus mystiques, mais jamais elles ne seront transcendées lors de l’épisode suivant. On a cette impression de rester en surface pendant 8 épisodes. La série nous balade facilement dans ses lignes temporelles, mais n’apporte jamais de conclusion, à l’image de ses dernières minutes, frustrantes à souhait. Bien évidemment, il faut générer une attente chez le spectateur, mais quand on voit la propension qu’a Netflix à annuler aussi rapidement ses programmes qu’elle ne les lance, on est en droit de s’inquiéter quant à l’avenir de Poupée Russe. Et il n’y a rien de plus excédant que d’être pris dans une histoire sans avoir un semblant de conclusion. Ne reste qu’à espérer une seconde saison qui saura prendre un vrai parti pris et qui saura s’y tenir. Reste, néanmoins, que Poupée Russe est une série qui saura charmer le temps de son visionnage. Ne serait-ce que pour le jeu étoffé de Natasha Lyonne qui porte merveilleusement le projet, nous vous conseillons d’y jeter un œil entre deux épisodes de Sex Education et Umbrella Academy, les deux séries phares du moment de la plate-forme.

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