Les enquêtes du département V – Dossier 64 : rencontre avec Nikolaj Lie Kaas, Fares Fares et la productrice Louise Vesth

Entamée en 2013, la saga des Enquêtes du département V touche à sa fin cette année avec Dossier 64, un quatrième film en forme de conclusion, en tout cas en ce qui concerne l’équipe réunie depuis le premier opus. Des adieux à peine formulés dans un film à la conclusion ouverte, laissant la part belle aux personnages et s’intéressant cette fois-ci à une enquête basée sur des faits réels, à savoir l’internement, l’avortement et la stérilisation forcée de plusieurs femmes jugées mentalement instables par la société danoise dans les années 50. Un sujet glaçant encore d’actualité donnant une épaisseur de plus à ce Dossier 64. Rarement réunis lors des précédentes promotions françaises, les deux acteurs Nikolaj Lie Kaas et Fares Fares ont bien voulu nous rencontrer, en compagnie de la productrice Louise Vesth (collaboratrice de longue date de Lars von Trier) afin d’échanger sur cette belle aventure autour d’une table ronde organisée en présence de plusieurs de nos confrères journalistes.

Tous les films du Département V ont été de gros succès en salles au Danemark, que pensez-vous de leur distribution internationale, notamment en France, où on peut le voir seulement en E-Cinéma ?

Louise Vesth : Je pense que c’est une très bonne opportunité pour que ces histoires voyagent. Bien sûr, moi-même je suis une adepte de la salle et rien ne pourra en remplacer l’expérience. Mais le E-Cinéma c’est la meilleure façon possible pour que les films soient vus par le plus grand nombre. Au final, c’est la chose la plus importante, en tout cas pour moi.

Vous produisez les films de la saga depuis le début, pensiez-vous qu’ils allaient avoir autant de succès ?

L.V : Non pas du tout. Au début, l’auteur des livres, Jussi Adler-Olsen, voulait même que ce soit une série télé. Mais en lisant les romans, je me suis rendue compte de leur grand potentiel cinématographique. Dès le début, l’idée était de produire quatre films tout aussi ambitieux les uns que les autres, de ne pas perdre en qualité au fil du temps, au contraire !

Vous parlez d’une volonté de faire quatre films dès le début mais le succès de Dossier 64 ne vous a pas donné envie de renouveler l’expérience une cinquième fois ?

L.V : Non, l’auteur veut écrire dix romans sur le département V et il y en a actuellement sept qui sont disponibles je crois, en tout cas au Danemark. Mais nous ne travaillerons pas sur une éventuelle suite, on le savait dès le début car on a signé pour quatre films et dès le premier, Jussi Adler-Olsen a fait part de son mécontentement quant au travail d’adaptation effectué. Ce que je comprends parfaitement, c’est l’auteur et il voit ses personnages d’une certaine façon. Mais ce que nous avons fait, c’est faire ce que nous faisons de mieux, c’est-à-dire de bons films. Et Nikolaj Arcel, le scénariste, peut-être l’un des meilleurs dans son domaine au Danemark, avait dès le début une vision très claire de son travail d’adaptation, ce qu’il devait garder ou non des livres. Ça a donc été très dur pour Jussi car il travaillait encore sur les livres et nous nous sommes arrivés avec des coupes, des pans d’intrigues retirés, des visages pour ses personnages et il fallait que ça dure entre une heure et demie et deux heures. C’est un travail difficile et quand on fait un film, on impose tout de suite une image comparé au livre qui laisse de la place à l’imagination. Donc dès le début avec le mécontentement de Juri, nous savions que nos droits ne seraient pas renouvelés. C’est désormais une autre production qui va se charger de l’adaptation avec de nouvelles personnes, pour faire prendre un nouveau départ à la saga.

L’atmosphère des films est très pesante, comment ça se passe sur le tournage ?

Fares Fares : Très bien. Avec Nikolaj, on travaille très bien ensemble, on s’entend bien, l’ambiance est loin d’être aussi pesante que dans le résultat final ! On savait que ça allait être notre dernier film ensemble, c’était une belle façon de se dire au revoir. On a pu utiliser toutes les idées qu’on avait pour les personnages, on se fichait de respecter le bouquin, on a pu faire les choses à notre façon.

Ça ne va pas être trop dur de se quitter après avoir formé ce duo pendant plusieurs années ?

F.F : Non, on savait qu’on ne ferait que quatre films, ce qui est déjà très bien et du coup, on savait qu’il fallait qu’on s’amuse en les faisant. En arrivant sur le tournage de Dossier 64, on était plutôt apaisés, prêts à se dire au revoir. Je pense qu’on clôt la saga avec une belle note pour nos personnages, c’est la meilleure façon de s’arrêter. Je me souviendrai toujours de ces six années avec beaucoup de bonheur, j’ai tellement adoré travaillé avec Nikolaj et Louise qu’on cherche à faire un autre projet ensemble mais en ce qui concerne Carl et Assad, c’est bien de s’arrêter. En continuant, nous aurions juste perdu la passion et l’envie.

La relation entre Carl et Assad est complexe, Carl ne se laissant pas du tout apprivoiser. Comment s’est passée votre rencontre, vous avez noué facilement ?

F.F : Oui très facilement. On s’est très bien entendus dès le début. Après, forcément on a lié de plus en plus au fil des tournages. Personnellement je ne savais pas que ce serait aussi génial jusqu’au moment de tourner le deuxième film. Mais l’alchimie et la sympathie qu’il y a eu entre nous était là depuis le début, c’est quelque chose sur lesquelles on ne peut pas mentir.

Nikolaj Lie Kaas : Et puis c’est une question de confiance aussi, qui grandit avec le temps, c’est très important.

Qu’est-ce que ça fait de porter ces personnages aussi longtemps ? Vous sentez-vous proches d’eux ?

F.F : Non, ça ne me fait rien d’incarner un personnage depuis aussi longtemps. C’est juste un travail vous savez. Je le fais avec une grande passion mais c’est un travail. Je ne me sens pas proche d’Assad, je ne le ramène pas avec moi à la maison tous les soirs. Ce que je tire de tout ça, ce sont les relations avec les gens que j’ai appris à connaître. Assad n’est pas un personnage que je garde et qui reste en moi.

N.L.K : Parce que tu te sens moins proche de lui ?

F.F : Oui, Assad est très loin de moi.

N.L.K : Pour ma part, j’accepte totalement le fait que j’ai une part de Carl en moi. C’est quelque chose, je l’espère, que nous avons tous en nous parfois : l’enfoiré. Cet idiot qui déteste les autres et pense se débrouiller seul, c’est une personne qu’on a tous envie d’être parfois. Je sais que je vais mourir seul et triste si je vis comme ça mais de temps en temps ça fait du bien d’accepter le fait que cet enfoiré fait partie de nous. En ce sens, je peux m’identifier à Carl, bien sûr. C’est aussi pour ça qu’on aime aller au cinéma, pour voir un personnage qui fait des choses que l’on n’oserait jamais tenter.

Vous avez lu les livres pour vous aider à jouer les personnages ?

F.F : J’ai essayé mais je n’ai pas accroché du tout, je suis beaucoup ennuyé à la lecture. Je me suis donc essentiellement basé sur le scénario, c’est notre base après tout à nous les acteurs. C’est sur cette base que j’ai accepté le rôle. Après j’ai essayé de rendre Assad plus humain qu’il ne l’est dans les livres car il fallait que je trouve un point d’accroche émotionnel. Le plus dur pour le rôle finalement, c’était de parler danois. Je suis suédois et le danois pour moi, c’est vraiment compliqué, c’est une langue très difficile à apprendre, ça m’a demandé beaucoup de travail.

N.L.K : Pour ma part, j’ai plus apprécié la lecture des livres mais ça ne m’a pas forcément rendu les choses plus faciles pour autant. Carl est un personnage qui ne montre tellement rien qu’au début, j’ai eu du mal à le cerner. Il fallait bien montrer au public ce qu’il se passait en Carl, ne pas franchir le cap où le public le déteste tellement Carl peut être borné et stupide ! Mais l’avantage c’est que les films reposent sur un duo, Carl peut donc être un abruti puisque Assad est là, c’est la conscience du tandem. Et puis à force de travailler dessus, il m’est devenu facile de quitter le personnage très vite après les prises, je déconne souvent sur le plateau. Ma jeune fille a récemment tourné dans un film d’ailleurs, elle fait pareil, elle est très concentrée pendant le tournage mais dès que la caméra arrête de tourner, elle n’arrête pas de faire des blagues.

Cette fois, Rose a un rôle plus important, c’était une façon de compléter votre duo ?

F.F : Effectivement, les films ont toujours été centrés sur Carl et Assad. Depuis le début, c’est ce duo qui motive l’intrigue. Mais donner un peu plus d’importance à Rose, notamment sur le terrain, est une volonté que l’on a eue dès le deuxième film. Elle apporte une dynamique vraiment bienvenue. Au début, j’avais peur que le personnage ne soit qu’un deuxième Assad, que ce soit un peu répétitif. Mais Johanne Louise Schmidt qui joue le rôle apporte vraiment quelque chose en plus, notamment dans ses échanges avec Carl. C’est devenu très drôle pour moi et pour Assad de voir Rose se confronter à Carl, c’est pratiquement la seule à lui dire ce qu’elle pense vraiment.

L.V : Pour moi, son rôle est très important. Elle se devait d’être forte car elle arrivait après la formation du duo et elle devait apporter une dynamique dans toutes les scènes de bureaux, dans les sous-sols du département V. Rose permet à Carl et Assad de mieux se comprendre, elle est là pour les soutenir, notamment du côté d’Assad dans Dossier 64 alors qu’il veut quitter le département. Elle est le point d’ancrage de leur relation.

N.L.K : Il faut saluer Johanne et Fares car c’est vraiment dur de jouer face à quelqu’un comme Carl. Fares, qui a évidemment le plus de scènes avec moi, n’obtient jamais rien de moi en termes de jeu. Carl est un mur. Fares me lance sans cesse une balle que je ne rattrape jamais.

F.F : C’est intéressant que tu dises ça car je l’ai seulement ressenti en tournant la première scène du premier film. C’était vraiment difficile au début mais au bout d’un moment, j’ai compris le système. Tu envoies la balle contre un mur, elle rebondit toujours de façon différente mais je ne me sens pas du tout seul, au contraire.

L.V : C’est parce que tu es vraiment très bon pour rester dans le personnage !

F.F : Je suis très bon tout court, avouons-le ! (rires)

L.V : Non mais sérieusement, tu arrives très bien à rester dans le personnage. Au long des quatre films, on a remarqué que les acteurs qui n’avaient qu’une ou deux scènes avec Nikolaj en Carl étaient vraiment dérouté par l’attitude négative du personnage. Même pour un acteur professionnel, c’est une partition difficile.

F.F : C’est pour ça que je dis que j’ai eu des difficultés lors de notre premières scène ensemble car après, tu comprends la mécanique. Et Nikolaj est vraiment généreux avant de tourner une scène, on en discute beaucoup donc tu sais où tu mets les pieds. Je sais que ce n’est pas Nikolaj qui me fait chier, c’est Carl !

L.V : C’est facile à dire mais ça reste difficile à faire !

F.F : Oui bien sûr mais j’ai réussi à faire ça parce que je savais dans quoi j’avais mis les pieds.

N.L.K : Et c’est pour ça qu’avant chaque scène, je prends le temps de parler avec l’acteur avec lequel je vais jouer pour lui expliquer que je vais bien le faire chier, que je ne vais rien lui donner mais c’est normal, ça fait partie du rôle. Je ne veux pas donner une mauvaise impression à tous mes partenaires ! (rires)

Comment Christoffer Boe, le réalisateur de Dossier 64, est arrivé sur le projet ?

L.V : Je le connaissais car j’étais en école de cinéma avec lui. J’étais également dans la même école que Mikkel Nørgaard (le réalisateur des deux premiers films – ndlr) et que Nikolaj Arcel donc vous voyez, je reste dans le même cercle d’amis.

N.L.K : Il est même étonnant que Christoffer n’ait pas réalisé un film du département V avant ! Il me semble qu’on en avait parlé, non ?

L.V : Oui, brièvement. A la base, je voulais un réalisateur différent par film. Mais on a tourné les deux premiers très rapidement à la suite car j’avais peur que le premier film ne fonctionne pas. Je me suis donc dépêchée de trouver des financements pour le second film avant la sortie du premier, ce qui en soi est une très mauvaise idée car si le premier film n’avait pas marché, on aurait perdu toute motivation à reprendre le tournage du deuxième ! (rires) Mais pour revenir à Mikkel, je l’ai gardé pour le deuxième également car je savais qu’il serait capable de mener tout ça à bien, on les a fait tellement rapidement qu’il me fallait quelqu’un déjà habitué aux personnages et à l’univers pour faire le second film. Pour le troisième, on a pu se détendre un peu et travailler avec Hans Petter Moland qui a eu une approche plus vivante, plus lumineuse, on a tourné en été pour l’occasion. Et pour Dossier 64, le dernier, c’était important d’avoir un cinéaste avec une signature visuelle forte. Et Christoffer sait vraiment composer les plans, il parvient toujours à raconter quelque chose en plus du scénario dans sa mise en scène. J’aime travailler avec des gens ambitieux comme je le suis et moi qui n’ai pas les capacités de réaliser un film, je suis contente de trouver des gens avec qui je m’entends aussi bien artistiquement.

L’intrigue de Dossier 64 parle de stérilisations et d’avortements forcés dans le Danemark des années 50/60. Est-ce que ce sont des faits connus là-bas ? Vous le saviez avant de travailler sur le film ?

L.V : Notre génération connaît ces faits, oui. On savait qu’on envoyait sur des îles dans des instituts des femmes dont le comportement ne plaisait pas à la société. Petite, quand je n’étais pas sage, on me menaçait de m’envoyer dans une île comme celle de Sprogø dans le film. J’étais donc au courant de ces histoires mais les jeunes actrices du film n’avaient jamais entendu parler de tout ça, la jeune génération ne le sait pas.

N.L.K : Moi je ne savais pas du tout !

L.V : Mais toi tu es un homme ! (rires) Mais ce genre de faits n’a jamais été raconté en fiction au Danemark, je crois que c’est la première fois qu’un film qui n’est pas un documentaire en parle. C’était important d’en parler, je crois que c’est plus actuel que jamais. Il n’y a pas si longtemps que ça au Danemark, un politicien proposait de placer certains réfugiés avec un casier judiciaire sur une île. Toute cette histoire, bien sordide, fait partie de l’histoire de notre pays, qu’on le veuille ou non.

N.L.K : Le pire dans tout ça c’est qu’il n’y avait pas de vrais médecins sur ces îles. Et j’ai appris qu’il existait aussi des endroits comme ça pour les hommes.

L.V : C’était vraiment la grande question politique de l’époque, l’état voulait créer une population saine avec de bons gênes. Je crois que toutes les nations d’Europe ont eu cette période dans leur histoire, ce moment où ils ont voulu se débarrasser de tous ceux qu’ils jugeaient indésirables. C’est quelque chose de terrifiant.

F.F : Ce qu’on voulait faire avec ce film, c’était s’interroger de nouveau sur cette question et l’envisager au présent. A qui s’en prendraient les gens pratiquant l’avortement et la stérilisation forcée de nos jours ? D’où l’ajout de Nour, cette jeune émigrée qu’Assad connaît, pour renforcer les enjeux et montrer comment l’enquête se reflète en Carl et Assad.

L.V : C’était le but à l’écriture du scénario, quelque chose que Nikolaj Arcel voulait, que chaque intrigue policière puisse se refléter chez Carl et Assad. Les enjeux sont ainsi plus forts et ça permet surtout d’ajouter de l’émotion. Sachant que Dossier 64 est le dernier film, on s’est d’ailleurs lâché, notamment du côté de Carl. C’est un homme qui doit s’ouvrir aux autres s’il ne veut pas finir seul, c’était un bel enjeu émotionnel.

N.L.K : C’était vraiment intéressant de trouver cette faille en Carl et de l’exploiter. Carl est un personnage complexe, c’est un type qui clame partout qu’il n’a besoin de personne mais évidemment qu’il a besoin des autres. Simplement, il ne le dit pas car pour lui ce serait pathétique. Il fallait qu’il s’ouvre pour ce dernier film. On a essayé de le faire avant mais ça ne fonctionnait pas, il fallait vraiment trouver le bon moment sur le plan émotionnel. C’est quand même le bonheur de ce métier, c’est qu’on travaille pour ressentir des émotions

Propos recueillis à Paris le 21 février 2019. Un grand merci à Zvi David Fajol et Benjamin Gaessler. Et de vifs remerciements à nos confrères Anne, Aude, Elise, Guillaume, Isabelle et Lisa pour leur bienveillance et leur vivacité.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*