Les Amants du Capricorne : Les Enchaînés en moins bien

Mélo de tous les drames pour Alfred Hitchcock, Les Amants du Capricorne aura marqué la carrière du réalisateur en mal : arrêt de sa collaboration avec Ingrid Bergman et échec commercial, le maître du suspense ira jusqu’à renier le film quelques années plus tard. Mais qu’en est-il de la qualité intrinsèque de ce dernier ? Mérite-t-il tout ce désamour ? Non, sa plus grande tare est sans doute d’être associé à un nom aussi prestigieux que celui de Hitchcock. Si on le prend à l’aune des plus grands succès du réalisateur alors oui, Les Amants du Capricorne nous apparaît plus timoré et moins prenant. Il souffre aussi inévitablement de la comparaison avec l’une des plus grandes œuvres du maître : Les Enchaînés, avec son triangle amoureux, ses faux coupables, une Ingrid Bergman centrale parfois éthérée (parce qu’empoisonnée), mais toujours enchanteresse. Difficile tâche que de tenir la longueur avec un monument pareil, d’autant que le suspense et les enjeux sont bien moindres.

Point d’uranium dans une cave ou de grands complots ici, mais une intrigue ménagère dont les tenants et aboutissants sont vite compris. Après une introduction fastidieuse, on accompagne Charles Adare dans la demeure de Sam Flusky, ancien forçat réintégré dans la société, qui lui propose un juteux marché. Alors qu’ils dinent dans ce lieu qui inspire les craintes des citadins, il découvre Henrietta Flusky, la femme de Sam, qui malgré son état second retient l’attention de tous. Bien sûr, Charles ne restera pas insensible aux charmes de la belle et entend bien en savoir plus sur cette sinistre maisonnée.

Le triangle, qui deviendra carré, se dessine sans peine entre nos trois protagonistes mais le centre restera toujours Henrietta. Tout dans la mise en scène donne une place centrale à cette femme éplorée et usée. Les hommes de sa vie sont en effet de grandes masses monolithiques, immobiles, baignées dans l’obscurité, floutées, parfois de dos. Mais tout cela va finalement rendre leur présence plus pesante, et même le hors champ ne permet pas de les évincer totalement, bien au contraire. On commence le film en suivant Charles qui, toujours placé en retrait, sert avant tout d’accroche au point de vue du spectateur qui découvrira l’Australie en même temps que lui. Mais c’est lors des échanges avec Henrietta que lui ou Sam restent les plus impassibles, récitant au mieux ce que le spectateur attend d’eux. Ce qui pourrait être un véritable problème si la performance de Bergman n’était pas à la hauteur de la place que l’on lui laisse. Et quelle place ! Le plan séquence central où cette dernière déclame un long monologue pour clarifier les points d’ombre de sa relation avec Sam, reste le point d’orgue de l’œuvre.

Le reste, s’il est moins impactant, n’en est pas moins bavard : les différents dialogues déroulent doucement l’intrigue jusqu’à voir les enjeux s’entremêler aussi habilement que naturellement. À la manière d’une version sombre d’une pièce de Marivaux, Les Amants du Capricorne se veut verbeux, avec ses quiproquos que les personnages découvrent alors que le spectateur les connaît déjà (pour ce qui est des agissements de Milly, la servante) ou les devine grâce à la mise en scène (avec ces barres verticales ou leurs ombres, qui surplombent les personnes pour nous rappeler que la menace de l’incarcération guette). Bien qu’il soit parfois trop théâtral, qu’il manque d’une « Hitchcock’s touch » plus marquée, ou qu’il soit plus convenu dans son récit, Les Amants du Capricorne reste une valeur sûre, exécutée avec soin, qui mérite qu’on lui fasse justice.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*