Les Moissonneurs : L’amour ne se récolte pas.

Remarqué à Cannes 2018, Les Moissonneurs est un film qui ne peut laisser indifférent. Notamment par le fait que son environnement ne se laisse pas dompter si facilement. Nous prenons place en Afrique du Sud, Free State, bastion d’une communauté blanche isolée, les Afrikaners. Dans ce monde rural et conservateur où la force et la masculinité sont les maîtres-mots, nous faisons la connaissance de Janno, un garçon à part, frêle et réservé. Il essaye de s’intégrer à cette communauté pieuse. Mais tout cela n’est qu’une illusion. Nous le percevons le jour où sa mère, fervente chrétienne, ramène chez eux Pieter, un orphelin des rues qu’elle a décidé de sauver, et demande à Janno de l’accepter comme un frère.

De ce postulat commence un affrontement. Il est important de souligner que Les Moissonneurs est un premier long-métrage. Le film est réalisé par Etienne Kallos, un Sud-Africain d’origine grec, un habitué des ateliers, des programmes et des fondations des festivals du monde entier (la Cinéfondation et la Résidence du Festival de Cannes) et déjà auteur de dizaines de courts-métrages, passés eux aussi par les plus grands festivals (Venise, Sundance et Cannes).
Il est donc comme une évidence que le premier long-métrage du metteur en scène soit sélectionné dans la section Un Certain Regard de cette édition Cannes 2018. Une découverte un peu déconcertante, car nous apparaît un film brut abouti formellement. Le film se dessine comme celui d’un auteur accompli et confirmé. Etienne Kallos confirme surtout son indéniable talent. Mais (car il y a un mais), l’homme nous conte l’histoire de personnages lointains, comme ceux d’un conte évanescent dont on peine à s’attacher. Les protagonistes sont bruts appartenant à cette communauté détachée du monde, longtemps persécutés quand les Africains ont voulu reprendre leurs territoires. Ce sont des personnages ciselés, à la limite du documentaire.

Au centre de cette toile aux teintes laiteuses, aux blancs cramés, cette magnifique lumière aurorale que la brume diffuse, ces couleurs fumées au cœur des champs de maïs cultivés par cette communauté, c’est l’amour qui va essayer de frayer un chemin. Tout le film va être ce chemin complexe de la recherche de l’amour. Au premier abord, on a cette impression d’une famille pieuse et unie. Pieuse, elle le sera en dépit d’un revers hypocrite de la main dans la dernière bobine. Mais le film suit le cheminement de deux gamins en quête d’un amour maternel. Cette famille d’Afrikaners ne peut avoir d’enfants. Elle s’évertue donc à adopter pour constituer un faux-semblant. Avoir réussi à assembler un ensemble de pièces rapportées pour constituer un socle. Mais le patriarche, devenu sénile, les rejette, à l’image de la communauté dans sa globalité. Janno n’a pas d’amis comme il semble le faire paraître. Le fait de débarquer de l’extérieur l’a toujours laissé dans la marge. Il est seul, donc le fait que sa mère lui amène un nouvel adolescent adopté lui offre la perspective d’un soutien, d’un possible lien fraternel fort.
Mais cette arrivée va surtout tout faire valser. Pieter est un adolescent perturbé par une enfance obscure. Il a vécu de bagarres et de prostitutions pour se payer ses doses de drogue. Il est né avec cette dépendance via une mère blanche junkie. Janno va devoir l’accepter, mais surtout faire face à son sevrage et cette sauvagerie qui va lui faire comprendre le sens et les codes de la vie.

Les Moissonneurs nous met face à cette dualité entre deux hommes dont la fraternité ne se créera jamais. Au contraire, à leur contact, c’est la vie qui va prendre tout son sens. L’un va s’émanciper et prendre ses distances, quand l’autre va se réfugier dans cette hypocrisie pour se sauver et avoir une sécurité. Ce dernier a cette carapace dure pour supporter les conditions de vie de ce camp reculé. Janno aura pour sa part besoin de prendre l’air, de s’évanouir pour mieux prendre conscience de son identité et du monde dans lequel il vit. La confrontation brûlante entre deux vies qui vont se voir moissonnées dans ce film brut et sans concession, jamais facile à appréhender, qui ne se laisse jamais dompter quitte à perdre son spectateur.

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