Destroyer : Une fois lâchée, plus rien ne l’arrêtera !

Curieuse carrière que celle de Karyn Kusama. Démarrant sur les chapeaux de roue avec à la clé un prix à Cannes du meilleur film étranger, pour le film Girlfight (datant déjà de 2000), elle n’a jamais retrouvé par la suite les faveurs de la critique, ni même du public. On esquivera poliment le nanar Aeon Flux, mutilé par le studio, pour dire plutôt à quel point son Jennifer’s body, comédie horrifique conçue autour du corps de son actrice principale, Megan Fox, est un chouette teen movie bien plus finaud qu’il n’y paraît, à réhabiliter d’urgence. Son dernier film en date, avant celui qui nous intéresse ici, était un huis clos tendu laissant exploser une violence particulièrement brutale dans sa dernière ligne droite. Ça s’appelait The invitation, et cet excellent thriller n’a jamais eu les honneurs d’une sortie salles en France, mais il est actuellement disponible sur Netflix. Tout ça pour en arriver à ce Destroyer, promesse de polar poisseux dont la note d’intention est claire, à savoir retrouver ce qui faisait l’essence des films du genre des 70’s, où l’atmosphère glauque et nihiliste primait avant tout, avec des personnages ambigus et une rudesse générale dont le cinéaste symbole est bien évidemment William Friedkin, avec des œuvres aussi marquantes que French connection, Cruising ou, un peu plus tard, le génial Police fédérale Los Angeles ! Le scénariste Matt Manfredi déclare d’ailleurs sans détour que l’idée était d’écrire un film romanesque axé sur un personnage, et qui rappellerait à notre bon souvenir les polars classiques des années 70 comme le fameux French Connection ou Serpico ! Bien entendu, une telle note d’intention ne peut que faire rêver dans un cinéma contemporain obnubilé par les franchises ou reboots de tous les films cultes (ou pas) de la pop culture, au point de ne plus chercher à proposer le moindre projet un tant soi peu original. Non que le film prétende révolutionner quoi que ce soit, mais au moins d’apporter sa petite musique personnelle à un genre qui aura apporté son lot d’œuvres indispensables, et qui manque cruellement au cinéma.

Comme le faisait remarquer le scénariste, donc, le film est centré sur un personnage, Erin Bell, et par conséquent, semble construit quasiment entièrement autour de Nicole Kidman, et de sa performance indéniablement spectaculaire. S’appuyant sur une narration alambiquée à base de flash backs servant à intensifier les enjeux psychologiques, le récit s’attache au personnage de détective incarné par la grande actrice australienne, qui infiltra plusieurs années auparavant un gang de braqueurs, et dont on comprend immédiatement que la mission s’est achevée de manière tragique, ce qui a eu pour conséquence directe de faire d’elle une femme brisée, sorte de fantôme déambulant dans les rues de L.A., ne vivant que dans le souvenir de son passé, et dans l’espoir de retrouver le responsable de ses malheurs pour lui faire payer au centuple. Lorsque celui-ci semble refaire surface au gré d’une enquête à priori banale, elle va se mettre en tête de régler définitivement ses comptes afin, peut-être, d’apaiser quelque peu son esprit …

Un synopsis laissant penser à un film classique, et d’une certaine façon, il l’est, dans ses enjeux avant tout humains et son personnage anéanti, fragile, rappelant les figures qui hantaient jadis les polars mentionnés plus haut, loin des super héros sans peur et sans reproches, nous pourrissant la vie dans le cinéma actuel. Cela fait du bien de se retrouver dans un univers que l’on croyait familier, mais dont on se rend compte finalement qu’il nous manquait grandement. Cependant, même si l’ambiance et la base du script élaboré par Phil Hay et Matt Manfredi, se réfèrent à une tradition de films devenus mythiques, certains aspects diffèrent, notamment l’utilisation du décor de L.A., ville type que l’on pensait avoir déjà été filmée sous toutes les coutures, par Friedkin, ou par les stylistes Michael Mann et Nicolas Winding Refn. Cité de tous les vices, pouvant tout aussi bien être filmée de manière hypnotique, de nuit, ou au contraire, dans ses zones les plus obscures, de manière plus brute (comme dans le récent « Message from the king » de Fabrice Du Welz), la réalisatrice parvient à nous donner l’impression ici qu’on la voit pour la première fois, ou en tout cas, d’une façon totalement différente. Erin Bell passe ses journées à traverser la ville en voiture, et passe par des endroits jamais filmés, où même les habitants de Los Angeles évitent de mettre les pieds, dixit le dossier de presse. Cela donne indéniablement un cachet au film, qui évite ainsi les clichés un peu carte postale que l’on peut attribuer à ce type de cinéma habituellement, et donnant systématiquement envie d’aller en vacances dans cette vile. Rien de tout ça ici, mais des décors glauques collant parfaitement à l’ambiance désespérée  suintant de chaque pore du métrage, et finissant par englober totalement le spectateur pris dans une toile d’araignée dont il peine à se défaire.

Durant une bonne partie du film, l’atmosphère concoctée par la cinéaste et le chef opérateur fonctionne à plein, donnant un vrai sentiment de satisfaction. Néanmoins, malgré toute la bonne volonté du monde et les qualités esthétiques tout autant que de mise en scène à l’œuvre ici, on ne peut s’empêcher de se retrouver quelque peu frustré par les choix de narration, qui à force de multiples allers-retours un peu trop systématiques, finissent par faire perdre de sa fluidité au récit qui s’en retrouve quelque peu ampoulé inutilement. Nous révéler progressivement la nature du traumatisme subi par le personnage principal est une chose, mais se complaire dans une structure n’évoluant finalement que peu, finit par alourdir l’ensemble, qui se serait finalement très bien passé de ces trop nombreux détours. Le rythme très languissant, résolument anti-spectaculaire, fait du bien au milieu d’une production moderne trop frénétique, nous ramenant là encore à ces films cultes des 70’s vénérés par les scénaristes. Mais cela finit par se retourner contre le film, encore une fois par la faute de cette structure déséquilibrée, donnant l’impression de faire du sur-place, ce qui a pour conséquence directe d’annihiler quelque peu la tension si palpable dans la première partie.

Ne soyons pas trop durs néanmoins, car le film recèle encore suffisamment de raisons d’être satisfait, à commencer bien entendu par la prestation incandescente de Nicole Kidman, transfigurée mais qui parvient par les nuances de son jeu, à transcender ce type de rôle propice à la performance outrée. Évitant les pièges qui lui sont tendus, à commencer par cette transformation physique un peu facile sur le papier, mais finalement évidente dans son rendu à l’écran, elle nous offre quelques scènes particulièrement poignantes, dont un face à face avec sa fille qui prend aux tripes. Son aisance naturelle, la réalisatrice en a visiblement conscience, et la filme en conséquence, la caméra se retrouvant aimantée par l’intensité de son regard et sa colère de moins en moins contenue. Ses accès de fureur sont aussi fulgurants que percutants, et font incontestablement partie des moments forts de ce film inégal mais finalement plutôt solide sous bien des aspects.

Assumant son goût pour un cinéma faisant office de relique du passé, renaissant ici de manière honnête, manquant juste d’un point de vue fort de  cinéaste qui irait au-delà du bon petit plaisir immédiat, le résultat en est un film efficace, parcouru de fulgurances brèves mais marquantes (le flash back ultime expliquant le traumatisme fait clairement son effet), mais dont on attendait juste un peu plus, au vu de sa réputation et des promesses de sa mise en place. On se consolera dont en se rappelant que ce type de film se fait décidément trop rare pour qu’on boude son plaisir, néanmoins suffisamment présent pour faire l’affaire, sur le moment.

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