Une Intime Conviction – Rencontre avec Antoine Raimbault.

Après un court-métrage en 2013 mettant déjà Eric Dupont-Moretti en scène, Antoine Raimbault réalise son premier long-métrage, Une Intime Conviction, où cette fois, c’est l’image du célèbre avocat qui est reprise. Sous couvert d’un Olivier Gourmet électrisant, Une Intime Conviction est une réussite sans faille pour la découverte d’un jeune réalisateur forgé à l’écriture. On a profité de son passage à Montélimar pour le festival, De l’écrit à l’écran, où le film était présenté pour la toute première fois en public, pour le rencontrer.

Quel est votre sentiment après cette première projection publique ?

Je suis totalement ravi. La première fois de mon premier film devant un public, ces échanges incroyables après la projection qui valident mes choix à la sortie de la salle de montage. Je suis hyper content pour faire simple. J’ai aussi ressenti une sensation géniale. Une Intime Conviction est un film de procès qui se déroule dans un tribunal carré et froid. Il se passait quelque chose de vivant dans la salle pendant la projection, comme l’élargissement de la court du tribunal dans le cinéma. Les spectateurs n’étaient plus ceux d’un film, mais ceux du procès de Viguier. Je connais tous les aspects et les moindres détails du film, mais je n’avais pas prévu cette sensation. Celle d’entendre les réactions des gens, le choc de ressentir ce mouvement pendant les scènes clés. 

En sortant de la projection, je n’ai pu m’empêcher de penser au Septième Juré de Georges Lautner.

Oui c’est une référence évidente à tout film de procès dans le cinéma français contemporain. Cet assassin qui va enquêter sur son propre meurtre pour essayer de disculper l’accusé, alors qu’il est le juré de ce même procès.
On retrouve l’évidence du film avec Marina Foïs, ex-juré qui enquête et aide Dupont-Moretti pour disculper Viguier. C’est vrai.

Vous ne vous êtes pas facilité la tâche pour un premier film ?

Oui, c’est un long travail d’obsessionnel, à l’image du personnage incarné par Marina Foïs. C’est une maladie de réalisateur, mais c’est un long travail. J’avais vécu le procès, filmé pendant les suspensions d’audience à l’époque, les avocats et tout ce que j’avais le droit. Les cours d’assises sont fermées aux caméras et aux journalistes. J’ai reproduit ses images pour le film, elles m’ont servi pour l’authenticité, les plans sur la famille. Le film est nourri du réel, de ce que j’ai vu, puis de ce que j’ai récupéré des archives. J’ai regroupé aussi beaucoup de notes des journalistes pour scripter le procès. On est partis des dossiers, des écoutes téléphoniques et du procès pour faire le film. C’est un long travail sur les détails pour atteindre une certaine perfection.

En parlant de détail, Nora, le personnage incarné par Marina Foïs, est un peu votre miroir dans le film ?

Non, c’est un personnage de fiction avant tout. Il y a un peu de moi sans atteindre la posture. Il y a toujours un peu de nous en chaque personnage que l’on écrit. C’est le mélange de plusieurs personnages de l’affaire. J’ai interviewé beaucoup de monde sur le procès, dont les jurés qui m’intéressaient plus particulièrement. Puis il y a eu une personne essentielle du procès, qui n’apparaît pas dans le film. C’est quelqu’un qui est entré dans la vie de la famille de Jacques Viguier après la disparition de Suzanne Viguier, elle était la maîtresse de Jacques Viguier à l’époque. Elle a élevée les enfants pendant 9 ans, devenue sa compagne et s’est battue pour le défendre. Nora lui doit beaucoup. Me concernant, j’ai été fasciné par le procès, je l’ai suivi de près et en voyant ce qui se passait dans les écoutes téléphoniques, je m’y suis penché après le procès. J’ai récupéré le dossier et oui, je suis entré dans cette même obsession. Une obsession de cinéma qui nourrit l’écriture et la genèse du film. 

C’est une enquête qui rend effectivement assez obsessionnel. Le film procure cette sensation en tout cas, on veut tout savoir, être à la place de Nora.

C’est le but du film-enquête, de réinterroger l’enquête à travers le personnage de Marina. Elle se lance dans une contre-enquête impossible envers la vérité. Le but est que le spectateur la suit jusqu’au bout. Que l’on soit embarqué dans ses hypothèses, que l’on s’y perde avec elle. Je crois que la quête de vérité peut rendre fou. 

Concernant votre travail avec Olivier Gourmet. Il incarne un personnage célèbre, médiatique, un caractère fort. Eric Dupont-Moretti est lui-même devenu acteur dans votre premier court-métrage, puis chez Lelouch. Un acteur qui interprète un orateur, un avocat devenu acteur. Il y a presque un jeu de poupées russes ?

Oui ce n’était pas simple. J’ai réalisé ensuite que c’était «casse-gueule» d’avoir gardé le nom. L’ADN du film est d’être obsessionnel sur le réel. Nous devions garder les noms. On nous aurait fait un procès d’intention si on avait procédé à des modifications. Mais faut faire attention à ne pas être dans l’imitation. On se trompe inévitablement, cela devient artificiel. Olivier Gourmet et moi étions conscients de cela. Il a donc interprété un Dupont-Moretti de cinéma. Ils se sont rencontrés à un procès, puis je l’ai nourri d’images et d’archives. Il ne l’a pas vu plaider, ce qui n’est pas plus mal. J’étais angoissé qu’il le voit et s’en inspire trop. Il a réussi à trouver son propre chemin dans la plaidoirie du film. Ce qui était très important. Mais maintenant, j’aimerais qu’il y aille le voir.
Mais outre Marina qui un personnage de fiction, tous les autres acteurs ont été nourris d’archives pour construire leurs personnages ayant existé. Je les ai accompagnés dans le chemin d’acteurs et non d’imitateurs.

Je souhaitais revenir sur votre travail de mise en scène. Pour un premier film, vous faites preuve d’une maturité rare, d’un sens de l’espace notamment dans le tribunal ou cette scène d’échanges violents dans le couloir de l’hôtel entre Nora et Dupont-Moretti. Puis il y a la scène de l’accident inattendue et choquante. Comment avez-vous appréhendé le film ?

L’élément clé du film était de garder le point de vue de Nora. De ne jamais la quitter sous aucun prétexte. Elle est actrice de l’intrigue dans le sens où elle agit en permanence. Elle emmène le film et les spectateurs, mais tout aussi spectatrice quand elle est sur les bancs du tribunal. Elle est le spectateur tout le long du film, notamment quand elle est dans la petite salle vidéo du tribunal, faute de places. Son regard est important, on ne pouvait s’en passer dans aucune scène. Elle est nous et nous sommes elle. Une Intime Conviction est un film en apnée sur un personnage central plongé dans une affaire criminelle. Marina Foïs a une qualité extraordinaire de s’engager outre mesure dans un film. Elle donne tout allant très loin dans l’obsession de son personnage. Elle m’a impressionnée chaque jour. 

Le personnage central du film est Jacques Viguier. Laurent Lucas l’incarne pour un nouveau rôle froid et complexe, après ses participations chez Fabrice Du Welz ou dernièrement dans Grave. Quel a été votre travail avec lui qui interprète un personnage taiseux, dans son coin, avec en tout et pour tout dix lignes en texte ? 

Avant de collaborer avec lui, j’étais totalement fasciné par l’acteur. Et je le suis tout autant aujourd’hui quand on voit ce qu’il fait du rôle. Ce n’est justement pas Jacques Viguier en somme, mais Jacques Viguier dans le box des accusés. Il est réduit à être l’accusé et je souhaitais montrer cela. La violence d’être dans le box, d’avoir la pesanteur des regards, comme un lapin bloqué dans les phares d’une voiture.
L’amant accusateur, dont on reprochait son omniprésence dans la maison, disait de lui qu’il était omni-absent. Jacques Viguier est comme omni-absent du procès, absent de lui-même. Interpréter cela est extrêmement complexe. Sur le papier, il y a effectivement peu de dialogues, ne rien à quoi se raccrocher pour l’acteur. J’ai donc nourri Laurent Lucas d’images d’archive de Viguier. Je lui ai fait un montage de Viguier dans le silence. Certaines que j’ai tourné moi-même, mais aussi des archives et documents disponibles. Puis il a eu le déclic. Il a trouvé la clé comprenant le personnage dans son silence. Justement, comment incarner un personnage dans son silence ? La complexité d’un personnage emmuré, renfermé en lui-même, presque absent à son propre procès. Plus on le regarde, moins on le voit. C’est vraiment la douleur et la pesanteur de Jacques Viguier au cœur de son procès. De l’extérieur, Jacques Viguier ressemblait à cette image d’homme emmuré. C’est assez impressionnant. 

On parlait du Septième Juré, vous ne faites pas non plus un portrait idyllique de la justice française ?

Oui c’est assez effrayant. Notamment de comparaître et faire un procès sans preuve tangible. Puis de faire appel d’un acquittement par un jury populaire pour recommencer. C’est assez inimaginable, surtout quand on demande aux jurés de faire appel à son imagination pour comprendre l’affaire et condamner Jacques Viguier. C’est l’accusation qui a la charge des preuves et de prouver les faits, non pas aux jurés. J’ai une vision de la justice, via le prisme de cette affaire qui révèle plein de dysfonctionnements. L’affaire Viguier est assez singulière, sans preuve, ni corps et non résolue encore actuellement. Personne n’a déterminé le déroulé et où est Suzanne Viguier ? Il y a un peu à s’interroger sur la justice via cette affaire, c’était aussi l’enjeu du film.

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