The Hate U Give : Un triste legs

Quand il s’agit de traiter l’opposition entre la police et les communautés afro-américaines aux États-Unis, le cinéma est un média extrêmement fertile. Régulièrement, de nombreux long-métrages abordent cette problématique, qu’ils soient basés sur des faits réels ou des événements historiques ou qu’ils soient de pures fictions. La question raciale là-bas est quelque chose d’extrêmement primordial. Si le pays entier s’est notamment construit grâce aux communautés non blanches, c’est également là qu’elles sont le plus persécutées, notamment au travers de bévues policières. Chaque long métrage apportant sa pierre à l’édifice sur le sujet, difficile de déterminer l’authentique témoignage du discours plutôt émotionnel basé sur un ressenti. Toujours aussi difficile également le regard à apporter sur ce type de film quand on ne subit aucunement ce qui y est dévoilé. Pour autant, chaque film sur ce thème semble s’orienter vers une sagesse poignante et une maturité de vie que les événements et l’actualité n’honorent pas. The Hate U Give (THUG) raconte l’histoire d’une famille américaine noire vivant dans un quartier défavorisé. Lors d’une balade, Starr, la jeune fille de la famille, assiste au meurtre involontaire de son ami d’enfance par un agent de la police. Un acte malheureusement trop courant aux États-Unis, qui aura ici des répercussions sur la bonne manière d’agir en conséquence.

Comme toujours avec des films traitant du quotidien des communautés afro-américaines, The Hate U Give est extrêmement complet. Contrairement à beaucoup d’autres qui ont tendance à orienter leur histoire uniquement autour d’un événement et de ses intervenants, celui-ci en profite en réalité pour essayer de faire prendre conscience du cercle vicieux dans lequel les événements s’enferment. Et ce au travers de l’héritage de la violence qu’on lègue à nos enfants et aux futures générations. Non pas que ce soit le premier, mais adoptant le point de vue d’une adolescente, au travers de personnages très caractérisés et bien écrits, le sujet devient limpide et très humain. La grande majorité des facettes de la situation, jusqu’à l’origine même du problème, est ici narrée avec beaucoup de simplicité, le fait que les policiers agissent ainsi (c’est leur devoir et ils ont des ordres), la raison pour laquelle certains tombent dans le trafic de drogue, les malheureux dégâts collatéraux des gangs de rues et enfin, un problème récurrent à toutes nos sociétés, l’inaction des gouvernements, des mairies etc. qui trop souvent laissent les choses sombrer d’elles-mêmes. Le tout accompagné d’un racisme latent très prononcé que trop peu de gens ne semblent vraiment comprendre. En France, nous pourrions assez rapidement trouver une solution extrêmement simple à l’un des plus gros noeuds du problème. A savoir tout simplement interdire le droit au port d’arme qui est toujours et encore une aberration de notre point de vue. Sachant qu’une telle mesure aurait probablement purement et simplement empêché qu’une telle insanité que celle montrée dans le film se produise. Il faut bien avouer cependant que la situation est devenue si délicate que les efforts à faire pour la résoudre nécessiteraient de faire complètement table rase du passé pour reconstruire l’avenir.

The Hate U Give possède cependant un dédoublement de la personnalité. En effet c’est une réalisation à 2 poids, 2 mesures. Dans sa globalité, le film possède deux spatialités bien distinctes. Les scènes dans un espace scolaire avec son petit ami et ses deux copines, et les scènes de sa vie privée avec sa famille et ses préoccupations personnelles. Les passages où Starr apprend à se connaître et à comprendre les thématiques raciales au sein de ses proches sont parfaitement bien écrites et réalisées. Tout est limpide et clair pour des communautés non-afro afin de détailler au mieux la situation à ceux qui ne la vivent pas. Ce qui pose plus de problème en revanche ce sont tous les passages au sein de son établissement scolaire. Et là, il y a deux manières de voir les choses. La plupart des élèves, y compris Starr durant la première demi-heure du film, sont parfaitement faux, superficiels, sans intérêt. Leurs liens sont intégralement factices et uniquement présents pour alimenter leur vie sociale. Ils sont parfaitement détestables et dépourvus d’âme, de profondeur. On dirait des mannequins. Ce n’est pas uniquement l’écriture des personnages mais toute la réalisation qui montre un paysage superficiel. Au début cela donne la mauvaise impression de se croire devant un film Disney avec Selena Gomez, sans originalité ni profondeur. Y compris avec Khalil. C’est au fur et à mesure que la mise en scène gagne en puissance et en efficacité. Comme si le réalisateur épousait le point de vue de Starr dans sa réalisation: au début elle se soucie de choses futiles, suit ses amies sans avoir d’avis à elle, pense aux cours, à son petit copain, à s’amuser mais ne prend pas conscience que les leçons de vie que lui inculque son père pour savoir comment réagir face à la police ou au racisme deviendront rapidement une arme essentielle pour se défendre. Les dialogues sont l’élément le plus frappant ici, ils sont très pauvres au début, dénués de sens, mais ils ont beaucoup plus d’impact lorsque les événements se bousculent. On peut notamment repérer l’énorme gain de maturité de Starr durant tout le film grâce à cela. La seconde manière d’interpréter cette différence de mise en scène est un peu plus osée et serait d’y voir une opposition directe et frontale entre les mentalités noires (ou non-blanches) et blanches. Sous-entendu qu’en tant que blancs n’ayant aucun problème d’identité dans leur vie, ils ne se soucient de rien et restent faibles d’esprit très longtemps. Le changement radical d’importance accordée à Chris en est une belle démonstration. Présenté au début comme l’élève beau gosse et populaire par excellence au sourire en coin ultra charmeur, on le voit comme un personnage superficiel. Pourtant, le dialogue qu’il a avec Starr vers la fin du film le montre comme un jeune homme beaucoup plus humble et mature que la mise en scène ne l’a laissé entendre jusque-là. N’y voyez aucun racisme là-dedans car les propos du film tentent de passer au-dessus de cette bêtise humaine. Il s’agit simplement d’une volonté de faire passer le message au travers d’éléments visuel et narratif clairs et distincts, sans doute.

En dehors de cela, l’histoire est plutôt intéressante. Mettons le début de côté qui se charge essentiellement de présenter le contexte et de caractériser les personnages, bien que la scène d’introduction soit essentielle et très prenante, et concentrons-nous surtout sur la suite. The Hate U Give semble faire état d’une réalité convaincante et poignante de la situation aux états-unis. Les autorités et gouvernements alimentent la peur et la méfiance entre les gens, diviser pour mieux régner, toujours et encore. Les scènes d’affrontement et de tensions fonctionnent, il y a une véritable intensité qui s’en dégage et l’issue de chaque événement reste constamment incertaine. Plusieurs rebondissements sont clairement inattendus et l’histoire prend différentes tournures sans jamais se reposer complètement sur la route qu’elle semblait suivre. Malheureusement la conclusion est un peu trop clichée et facile, dénaturant la peinture que le réalisateur semblait faire de la société. Une vision peut-être trop optimiste dont on ne lui tiendra que peu rigueur.

En résumé The Hate U Give possède une réalisation quelque peu déroutante au premier abord et un message somme toute assez simple. Seulement le caractère des personnages étant extrêmement typés et complet, le long métrage l’est tout autant. La proposition de voir l’absurdité même de juger les gens selon leur couleur de peau au travers des yeux d’une adolescente est une bonne idée pour dire qu’on lègue à nos enfants une image bien triste. Mais encore plus triste de constater que chaque génération devra redoubler d’effort pour combattre ce genre de bévues policières et injustices sociales en usant au maximum de leur tête plutôt que de leurs poings.

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