Astérix et l’animation : La classe Armoriquaine

« Je crois qu’il faut écrire pour la bande dessinée comme il faut écrire pour le cinéma. » disait Goscinny, alors qu’on l’interrogeait sur ses projets filmiques. La case cinéma semblait être une étape logique, alors que l’on retrace le parcours de l’un des plus grands bédéistes de l’Histoire. Il faut dire qu’il est tombé dans la marmite de la cinéphilie très jeune, entre les Marx Brothers, Laurel et Hardy, John Ford (dont on retrouve les influences dans Lucky Luke, mais pas que…), les Buster Keaton que son père l’emmenait voir régulièrement, et bien entendu le Blanche-Neige de Walt Disney, qui a donné le la pour toute une génération d’animateurs, les inspirations sont multiples. En 1946, il retourne à New York après son service militaire en France (où il finit par être l’illustrateur de son régiment), avec la ferme intention de rencontrer Walt Disney. La rencontre ne se fera pas, hélas ; à la place, en 1948, il rencontrera dans une agence de publicité pour laquelle il travaillait, Harvey Kurtzman, futur créateur de l’irrévérencieux MAD, l’une des maison mères de la pop-culture telle que nous la connaissons actuellement.

De gauche à droite : Harvey Kurtzman, John Severin et René Goscinny

C’est en retournant à Paris qu’il fera la connaissance de son complice Uderzo, au sein de la Word Press Agency. En 1956, ils quitteront ensemble cette dernière, suite à des revendications syndicales qui n’ont pas abouties (ils voulaient rehausser le statut des dessinateurs comme propriétaires de leurs œuvres). Ils fonderont avec Jean-Michel Charlier et Jean Hébrard, deux autres démissionnaires, le syndicat d’édition Edipress/Edifrance. Moins talentueux que ses collègues dessinateurs, Goscinny s’attèle avant tout au scénario et abandonne le dessin. A cette époque, il écrit Le Petit Nicolas pour Sempé, collabore pour le Journal de Tintin et débute sa collaboration avec Morris (avec qui il partage le même maître : Jijé) pour Lucky Luke.

Arrive la date qui nous intéresse : 1959, création avec Uderzo du magazine Pilote où seront publiées, dès le premier numéro, les aventures du petit gaulois que l’on connaît tous : Astérix. La naissance du magazine est une date clé dans l’Histoire de la BD (occidentale). Bien différent d’un MAD, le ton y est plus poli, bien que la cible soit les adolescents. La rédaction verra passer bon nombre de talents de la bande dessinée tels Cabu, Tabary (avec lequel il écrit Iznogoud) ou encore Gotlib qui surnommera son rédacteur en chef, Walt Goscinny. Si ce dernier excellait dans son boulot de scénariste, lui donnant progressivement ses lettres de noblesse, il avait besoin d’un gérant pour tenir la baraque. En 1960, George Dargaud achète le magazine pour tenir les comptes et laisse carte blanche aux rédacteurs du magazine.

C’est par le concours de Dargaud et du studio Belvision, que le premier film d’animation d’Astérix : Astérix le Gaulois voit le jour en 1967, sans même que Goscinny ni Uderzo ne soient consultés lors de la production ! Goscinny n’apprendra l’existence du film que par le biais de Roger Carel, qui vend la mèche au cours d’une conversation. Les deux auteurs finissent par donner leur aval, après une projection privée du film voyant un produit imparfait mais déjà terminé. Par contre, ils voient rouge lorsqu’ils apprennent qu’Astérix le Gaulois n’est que le début d’un long projet, qui consistait à adapter tous les albums au cinéma. La Serpe d’Or, alors en cours de création, est abandonné, Uderzo et Goscinny obtiennent la destruction du négatif et prennent les rennes du projet suivant.

Toujours avec les studios Belvision, les deux compères vont eux-mêmes s’atteler à la réalisation du prochain volet : Astérix et Cléopâtre. Malgré le succès commercial du premier opus (2.4 millions d’entrées), ils ne garderont que peu de choses du film. Astérix le Gaulois était à l’origine prévu pour la télévision et cela se ressent au niveau des animations. Si l’adaptation est fidèle, elle ne présente que peu d’intérêt, si ce n’est constater le point de départ d’une série qui saura évoluer habilement. Le look de certains personnages n’est pas encore définitif (le forgeron du village, César…) le barde est craint par le village, les gaulois sont constamment sous potion magique, Idéfix est absent et Obélix est un personnage secondaire, même s’il n’a déjà pas le droit à la potion magique. C’est du côté du son que le film intéresse les deux compères. D’une part en reprenant Gérard Calvi à la musique, avec ses thèmes guillerets dont les mouvements accompagnent l’humeur et les gestes des personnages. D’autres part, et c’est sans doute le point le plus important : les dialogues. Astérix le Gaulois est une adaptation qui reprend nombre de dialogues d’expositions, naturels dans une bande dessinée, mais beaucoup plus laborieux dans un long-métrage.

Pour Astérix et Cléopâtre, Goscinny se charge de l’écriture et de l’adaptation épaulé par Pierre Tchernia, qui était un grand fan de Pilote. C’est ici que se révèle le talent de manieurs de mots des deux comparses. Petit fils d’imprimeur (Astérix et Obélix doivent leur nom à ce milieu, avec l’astérisque et l’obèle), ayant beaucoup voyagé et connaissant donc plusieurs langues, Goscinny aime les belles lettres et le bon mot. Si ceux-ci sont omniprésents dans Iznogoud et absents dans Lucky Luke, à la demande de Morris qui déteste les jeux de mots, Astérix représente un équilibre entre les deux et l’adaptation cinématographique permet à Goscinny de s’en donner à cœur joie.

Les personnages parlent en rimes, avec un langage soutenu (« Tu finiras dans un saurien, vaurien ! ») et une verve énergique. Si Roger Carel et Jacques Morel remplissent à merveille leur rôle d’Astérix et Obélix, n’importe quel spectateur du film se souvient aussi de la voix suraiguë de Micheline Dax en Cléopâtre (que l’on retrouvera dans le suivant en prêtresse du plaisir, pour des tonalités beaucoup plus graves, mais toujours marquantes), du goûteur et de ses « OULA » ou encore des mémorables chansons comme Le Pudding à l’Arsenic. Délivrées avec une rythmique de génie, prêtes à s’imprimer dans nos têtes dès le premier visionnage, les répliques et chansons de Goscinny et Tchernia étaient aussi les garantes d’un vocabulaire recherché, aussi désuet qu’il est délicieux. Mais ces chansons, bien entendu absentes de la bande dessinée, n’était-elles pas aussi une preuve de plus de l’envie de Goscinny de se rapprocher de son modèle, Walt Disney ?

La fondation du studio Idéfix par Dargaud, Goscinny et Uderzo en 1974 afflue aussi dans ce sens. Le temps de sa courte existence, qui trouve un terme en même temps que celle de Goscinny, le studio participera à la création de la section « cinéma d’animation » de l’école des Gobelins, mais aussi la réalisation de deux films : La Ballade des Daltons en 1978 et ce qui est probablement le meilleur film de la série Astérix : Les Douze Travaux d’Astérix en 1976. On s’éloigne de l’adaptation pure et simple ici, le troisième film de la série est un original. Cela se voit très vite, bien que l’on retrouve Uderzo et Goscinny à la réalisation (toujours épaulés par Tchernia à l’écriture), le film n’a pas de réelle place dans la timeline de la série d’origine (les gaulois triomphant une bonne fois pour toute de César ici). Les Douze Travaux d’Astérix est un one-shot qui joue de ses libertés pour un mélange d’humours détonnant. « Oh tu sais, ce n’est qu’un dessin animé après tout, tout est permis. » balancera même Astérix à Obélix en guise d’ultime blague de ce film à sketchs qui s’ignore. Cette réplique illustre parfaitement le déroulement et le ton des épreuves qu’impose César (par le biais de Caïus Pupus, mémorable Droopy de la Rome Antique) aux gaulois. L’humour est absurde, méta, graphique ou de répétition, mais il ne faiblit jamais sous la plume de Goscinny. La liberté de ton du film donne lieu à des scènes inattendues, comme cette caverne aux fantômes et son esthétique qui nous rappelle de loin celle de Métal Hurlant (l’un des nombreux enfants de Pilote) ou encore la fameuse « maison qui rend fou » et son laissez-passer A-38, encore cité de nos jours dans la pop-culture (au hasard, une quête de The Witcher 3 : Blood and Wine) ou simplement dans la réalité devant une administration récalcitrante. C’est aussi la dernière collaboration de Gérard Calvi à la musique, avec toujours ce travail sur le rythme, avec notamment la séquence de la maison des fous où la musique se répète inlassablement alors que les personnages se perdent, puis se ralentit alors qu’ils s’épuisent.

Difficile alors de passer à la « trilogie Gaumont » : Astérix et la Surprise de César (1985), Astérix chez les Bretons (1986) et Astérix et le Coup du menhir (1989) surtout quand le premier s’ouvre sur une chanson anxiogène de Plastic Bertrand… Car si Uderzo reste au dessin et Tchernia, à l’adaptation des deux premiers, la plume de génie de Goscinny manque cruellement. Elle se manifeste parfois par bribes, grâce aux albums d’origine, mais les adaptations sont bien souvent brouillonnes. La Surprise de César et Le Coup du menhir adaptent deux tomes chacun (Astérix Légionnaire et Astérix Gladiateur pour le premier et Le Devin et Le Combat des Chefs pour le second). Restent alors des adaptations plus lisses que leurs prédécesseurs avec quelques instants de grâce, comme les coups de folie d’un Panoramix amnésique face à un chaudron qu’il a rendu chaotique. L’engouement du public suit cette tendance avec une baisse des entrées (entre 1.7 et 1.4 millions pour chaque film).

Même tarif pour Astérix et les indiens sorti en 1994, qui n’enregistre qu’un million d’entrée et qui n’a pour seul mérite que ses quelques essais d’intégrer de la 3D à l’animation. Peu de choses à dire si ce n’est qu’il est le premier film de la série à être produit en dehors de la France (en Allemagne) et qu’il tente un timide retour à la prose cadencée, avec quelques jeux de mots et un personnage de sénateur qui aime ses propres envolées lyriques. Arrive ensuite Astérix et les Vikings, bête noire de la saga, qui nous prévient d’entrée de jeu du mauvais moment en perspective, alors que l’on voit les gaulois se trémousser sur Get down on it. A l’image de cette scène, le film s’embarrasse de lourdeurs comme un père qui veut avoir l’air cool devant ses enfants.

Le bout du tunnel est arrivé en 2014, avec le vent de fraicheur qu’a su insuffler Astier à la série, avec son Domaine des dieux. Les affinités entre le réalisateur de Kaamelot et le petit gaulois tombent sous le sens, alors que ces deux séries mettent en scène des idiots, des malentendus et un héros plus malin, qui doit composer avec le tout. Mais à l’image de Goscinny, cela se fait avec une bienveillance certaine et toujours en gardant à l’esprit cette citation simple de ce dernier, quant à sa vision du cinéma « Nous (Goscinny et Uderzo) cherchons avant tout à amuser le public ».

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