Premières Solitudes : Rencontre avec Claire Simon

C’est lors d’un bel après-midi de Novembre, doux et chaleureux pour un automne, que Claire Simon nous reçoit dans son propre appartement pour discuter de Premières Solitudes et revenir sur ses projets précédents, Récréations et Le Concours. La réalisatrice a su se livrer et revenir sur ses intentions, ses émotions, ses déboires, pour un récit particulièrement fort et enrichissant de sa personnalité. Une intensité de vie qui se ressent également au travers de ses court-métrages.

Bonjour Claire et ravi de vous rencontrer. D’où vous est venu cette volonté de développer sur grand écran une analyse assez étendue de l’évolution de la jeunesse jusque l’âge adulte ?

Bonjour et bienvenue. Vous savez chaque film est bien indépendant.

Oui bien sûr, mais en tant que spectateur on ressent forcément une volonté de votre part de traiter de la jeunesse et de l’enfance. Si vous préférez, comment vous est venue cette volonté d’aborder ces concepts et ces sujets ?

Pour Récréations, à l’époque ma fille était petite et allait à l’école maternelle et j’ai vu ce qu’il se passait dans la cour. Je trouvais ça très fort et très beau, j’avais l’impression que toutes les histoires du monde se passaient là. La cour était un recueil de fiction, une scène de théâtre pour les enfants qui expérimentaient ce qu’ils feraient plus tard. Ils devaient absolument essayer d’expérimenter ce qu’allait être la vie.
Par rapport à Premières Solitudes, c’est venu d’une commande de faire un film avec ces lycéens. Je me suis souvenu qu’à l’adolescence, nous parlons beaucoup. On réfléchit sur ce qu’on est, sur ce qu’on veut devenir, on ne comprend pas très bien qui on est, ni qui sont les autres, on essaie de trouver les règles. C’est pour tout ça que je leur ai demandé de dialoguer entre eux, que je leur ai suggéré comme thème « la solitude », parce que c’est au moment où on est seuls que des choses se produisent, qu’on commence à devenir adulte. Il y a toujours une situation qui nous pousse vers la solitude et c’est à la fois bien et mal mais très mal vu à notre époque.
Et enfin Le Concours, j’ai travaillé longtemps à la FEMIS. J’avais le sentiment que c’était important de raconter cette « machine », de montrer le désir des élèves de rentrer dans les grandes écoles et leur sélection d’admission. Qu’est-ce qu’une sélection, à la fois pour les adultes et pour ceux qui veulent entrer. C’est tout simplement le purgatoire et en même temps il y a un véritable combat intérieur chez les sélectionneurs. Je trouvais que ça en disait long sur le désir de reproduction sociale.

Pour revenir sur Premières Solitudes, vous dites que c’était une commande, comment le choix s’est porté sur vous en tant que réalisatrice ?

La commande c’était de faire un film avec les élèves, quant au choix il faudrait directement leur demander, moi j’en sais rien (rires). Chaque année ils prennent un réalisateur différent.

Et de votre côté, ça n’a pas été difficile d’accepter en terme de planning ou de contraintes ?

Non, je ne savais pas du tout quoi faire, car cela devait être un court-métrage de fiction à la base et finalement j’ai fait un long-métrage documentaire (rires). C’est quand même une chance quand on est réalisateur-rice et qu’on n’a pas 17 ans de rencontrer des gens de cette tranche d’âge, c’est beaucoup de chance. La façon dont moi je les rencontre, ils sont vrais, sincères, je les rencontre vraiment. Ce n’est pas donné tous les jours à nous les adultes de rencontrer des jeunes de 16 ou 17 ans, or c’est hyper important.

Vous leur avez apporté beaucoup, en terme de technique, comment tourner, comment percher etc.

C’était un exercice pratique oui bien sûr.

Mais comment la relation entre vous et eux s’est développée ? Comment ils l’ont ressentie ? Comment vous l’avez abordée ?

C’est une expérience. Ils ont compris quelques trucs évidemment mais ce qu’ils ont compris surtout c’est que le cinéma ça se fait avec de la vérité. Quand on commence une scène, on ne sait pas forcément où elle va arriver. On met beaucoup de soi-même dans la création des scènes et je pense que c’est sur ce point précis que la plus grosse expérience s’est faite. Après bien sûr il y en avait certaine qui étaient plus passionné par la technique que d’autres, étaient plus doués, plus concentrés. Ils ont tous été supers parce que 80% du temps on n’avait pas d’ingénieur du son et ce sont eux qui ont pris la perche. Moi je contrôlais mais c’était quand même très risqué. Personnellement j’aime beaucoup l’enfance des choses, des pratiques, quand on fait les choses pour la première fois, la découverte de nos capacités, de ce qui nous plaît.

Le résultat est convaincant car en tant que spectateur les erreurs sont assez imperceptibles.

Certes mais on a beaucoup travaillé en post-production pour que vous pensiez ça (rires). Ils ont bien appris et progressés mais c’est parce qu’ils avaient envie de faire le film quoi.

Et par rapport à Récréations, est-ce que ça été plus compliqué de filmer ? Car je me souviens dans le film d’un enfant qui dit « la dame te filmera ».

Ce sont de petits enfants à qui j’ai promis que je n’étais pas une maîtresse. Donc je n’allais pas faire la police à la place des instituteurs-rices. Malgré tout ils n’étaient jamais complètement sûrs car cracher et faire des concours de longueur de crachat, il y a peu d’adultes qui sont conviés à ce spectacle. Les enfants étaient un peu inquiets de savoir si j’allais tenir parole. Mais comme tous les enfants très petits, ils acceptent n’importe quel contrat avec un adulte. Mon contrat était le suivant : « je ne suis pas une maîtresse, je ne parle pas, ça m’intéresse de voir comment vous jouez, car d’une part ma fille est à l’école comme vous, moi aussi j’ai été une enfant et donc je m’y connais aussi en jeu et c’est beau de savoir comment ça se passe ». De leur côté ils m’ont répondu « D’accord, c’est comme ça que ça se passe, c’est ça que tu fais pour gagner ta vie ? ». Et ben oui (rires).

Ont-ils été curieux de la présence de la caméra ?

Oui, un peu, parfois. Une ou deux fois ils sont venus me demander ce qu’on voyait dedans et ce que ça filmait. Mais si vous voulez, le jeu qui se passe dans la cour est quand même nettement plus intéressant, avec un risque immense : c’est quoi la vie ? Comment on va s’en sortir ? Est-ce qu’untel sera mon ennemi ou pas ?… Ce sont des questions hyper importantes à côté desquelles, moi qui n’étais pas un partenaire de jeu, je ne pouvais que me placer en tant que spectatrice car je n’étais pas intéressante pour eux. Mais ils m’ont toujours admise, c’est ça qui est magnifique. J’étais tout près d’eux, tout le temps, ils ne regardaient pas la caméra et c’était entendu que j’étais le reporter de leurs jeux. Ils ont très bien compris que je n’allais pas les dénoncer aux professeurs. Je leur ai dit « tant que le sang ne coule pas, je n’interviendrai pas ».

J’espère qu’il y avait quand même peu de chance que ça arrive.

Si si, c’est arrivé, avec ma fille notamment qui a saigné du nez. Vous savez les enfants à cet âge saignent souvent du nez donc là on s’est arrêté, je suis allé chercher du coton. Mais les enfants dans la cour de récréation sont finalement des gens très civilisés car ils savent les règles, d’une part des adultes, mais aussi les règles entre eux. C’est un pays civilisé, ce n’est pas du tout l’anarchie totale. Je ne saurai pas comment le décrire, c’est très mystérieux, car ils n’ont pas établi des lois, mais pour autant il y en a. Il peut y avoir des razzias, des bagarres terribles mais de toute façon, il y aura des vengeances, des alliances mais c’est très auto-géré. J’avais écrit un petit texte explicatif pour le film et présenter le film : « C’est un pays qui s’appelle ‘La Cour’ et ses habitants… ». Ils ont des règles qui sont évidemment copiées des règles des adultes mais qu’ils arrangent plus ou moins en fonction des rapports de force et en cas de problème vraiment grave ils vont voir les maîtresses. C’est très très beau, car ils savent qu’ils jouent la vie et moi je trouve ça absolument génial. Encore aujourd’hui j’aimerais faire la cour de l’école primaire. Mais là c’est la bourse, la cour de l’école primaire ce sont les traders, c’est comment s’organise le marché.

Du coup vous avez plus ou moins répondu à l’une de mes questions, je voulais cependant savoir comment vous choisissiez les environnements dans lesquels vous filmez, les lieux de tournages, vos établissements scolaires ?

Dans Récréations c’était la cour de ma fille, à l’époque j’ai rencontré la directrice qui était une femme exceptionnelle ayant parfaitement compris ce que je voulais faire et généreuse de tout. Si vous voulez, ce qu’on doit faire quand on fait des films documentaires, on doit accepter tout ce qui est donné. C’est génial parce que par exemple, je n’ai pas choisi les élèves de Premières Solitudes, ils m’ont été donnés, tous, et ils sont tous extraordinaires. Et les journalistes qui disent « casting machin » alors qu’il n’y a aucun casting, ce sont tous les élèves de la classe. D’une autre manière, dans Récréations, tout le monde se jette dans la cour, par hasard je préfère me laisser emporter par une émotion, une intuition, un enfant. C’est totalement hasardeux et en même temps très intéressant car on valorise la spontanéité des enfants. Il y a une erreur continuelle dans la critique de cinéma, je m’excuse de le dire, mais on croit que l’intelligence et le talent des cinéastes consiste à sans arrêt tout choisir et décider. Bien sûr on fait des choix continuellement, il n’y a pas une image de mes films que je n’ai pas choisi. Mais en même temps ce qui est hyper beau c’est le fait de devoir le faire à partir de ce qui est donné, de ce qui existe et non de faire le petit marquis, le patron et de dire « Toi je t’aime bien, toi je te jette ». Ceux que l’on n’aime pas sont peut-être justement les gens les plus intéressants. C’est parfois eux qui nous font faire un chemin auquel on n’avait pas pensé, c’est toujours surprenant. Dans tous les cas, je pense que c’est une des grandeurs du documentaire. Pour moi c’est de prendre la réalité du monde comme décors au lieu de mettre des toiles peintes derrière, et cette réalité à toujours des mystères incroyables. C’est une chose que j’aime énormément et qui a à voir avec, par exemple, l’attitude de grands romanciers comme Perec, qui prennent ce qu’est le monde comme une langue, un discours et se garderaient bien de penser que leur discours est supérieur à ce qu’est le monde.

Il faut admettre que les dialogues entre les élèves sont étonnamment et naturellement très pertinents et les réactions presque trop bien jouées. Je peux comprendre ce qu’ont ressenti les critiques dont vous parlez.

C’est justement parce que les élèves ne voulaient pas faire un documentaire où l’on s’intéresse à eux pour des raisons sociologiques et psychologiques, voire condescendantes. Faire des dialogues s’apparente à un cinéma de fiction plutôt, et c’est ça qui leur plaisait, ainsi qu’à moi. J’aimerais qu’on comprenne que c’est un film dont la forme est fictionnelle et le contenu complètement documentaire. C’est-à-dire que tout ce qu’ils disent vient d’eux, et je serai bien en peine d’écrire un mot de ce qu’ils disent tellement ils le disent bien, avec une telle distance, ils disent des choses terribles avec une telle douceur. Je pense que si Robert Bresson ou Maurice Pialat les avaient rencontrés, ils seraient tombés dingue d’eux. Ils ont beaucoup de classe dans la façon dont ils disent les choses, avec cette distance liée au fait qu’ils discutent entre eux et se cherchent l’un pour l’autre, l’un devant l’autre. C’est une idée qu’ils m’ont forcé à avoir. La première fois que je les ai rencontrés, je les ai trouvés tellement intelligents et forts, ils avaient quelque chose qu’ils voulaient dire, c’est ce que j’ai entendu. Ils avaient l’impression que le cinéma était l’utopie dans laquelle ils pouvaient se dévoiler, se montrer, montrer ce qu’ils sont et ce qu’ils ont en eux.

Qu’est-ce que vous espériez dépeindre comme image avant de commencer ce projet ?

Rien. On m’avait dit court-métrage de fiction, je pensais faire un drame de l’amitié, parce que je trouve très beau l’amitié et ses drames. Plus que ceux de l’amour. J’ai vu chez ma fille et ses copines des drames terribles, je me souviens des miens. Initialement je cherchais ça, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai parlé de solitude. Je cherchais le drame de l’amitié, je ne l’ai pas du tout trouvé, donc je vais devoir faire un autre film (rires). Chaque fois qu’ils me parlaient c’était à propos des parents, de l’amour etc. Le sujet des parents sortait tout seul, jamais je ne leur en parlais la première. Pour eux, le mot solitude faisait référence à leur position dans la famille ou au Lycée. C’est-à-dire que soit ils sont dans leur bulle en allant au lycée, dans le bus etc, soit ils sont seuls chez eux avec un côté bien et pas bien. « Je suis seul » veut aussi dire « je deviens adulte ». Quand les deux jeunes filles discutent pendant le cours de cinéma et que l’une d’elle dit qu’elle faisait tout, toute seule une fois que ses parents se sont séparés, sa copine lui répond qu’elle se prend trop pour une adulte. Il y a une ivresse qui rend tout cela très beau et en même temps quelque chose de plus intérieur qui fait souffrir. C’était plus intéressant que les deux côtés surgissent. Pourtant j’ai cherché à savoir ce qu’ils pouvaient me raconter sur l’amitié et il n’y a qu’une fille qui m’a un peu parlé de ses déboires sur l’amitié mais ça rendait un peu trop moralisant.

C’est assez paradoxal car vous dites en début de film qu’ils ne se connaissent pas forcément bien et ne se parlent pas forcément souvent alors qu’ils ont fini par se livrer entièrement à la caméra.

Oui, on a rajouté un carton en début de film pour mieux expliquer leur situation au sein de la classe. Le premier jour où j’ai filmé par exemple, c’était en janvier, il y avait toujours des enfants pour m’aider, à la perche ou à la caméra pendant qu’on en filmait 2 autres. Quand je disais qu’il fallait chercher d’autres élèves pour faire tourner un peu ceux qui participent ils insistaient à chaque fois pour rester tellement ça les intéressait. Finalement ils étaient très curieux d’écouter les autres parler de leur vie. C’est à ce moment-là que je me suis dis qu’ils ne se connaissent pas et que ça les intéresse énormément. Ils étaient intéressés et sidérés des histoires qu’ils découvraient. D’un point de vue humain, de la vie c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup, et je ne parle pas que des ados. Comment on reçoit l’histoire de l’autre et les questionnements qui vont avec. C’est aussi pour ça, je pense, qu’on va voir des films, qu’on lit des livres, ça nous permet de nous reposer de notre propre vie. Là c’était d’autant plus pertinent que c’est justement un âge où l’on se pose déjà une multitude de questions. Un de mes plaisirs c’est aussi de découvrir les vies des autres et de voir à quel point elles sont inattendues.

Merci infiniment pour cet entretien très riche en émotion. J’ai d’ores et déjà hâte de voir vos prochains long-métrages et j’espère la plus grande réussite pour Premières Solitudes.

Merci.

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