Sale temps à l’hôtel El Royale : Vivre et laisser mourir

États-Unis, 1969. Situé à cheval entre la Californie et le Nevada, l’hôtel El Royale n’a plus le prestige d’autrefois. Quasiment désert depuis quelques années, le voilà curieusement peuplé en cette nuit orageuse. On y retrouve un prêtre pas si catholique que ça, une chanteuse solitaire, un représentant en aspirateur un peu prétentieux, une hippie cachant quelque chose dans son coffre de voiture et un réceptionniste hanté par ses démons. Tous ont une chose à fuir, un secret à cacher, une action à effectuer. Ils ignorent encore cependant toute la mesure de leurs actes qui vont s’entrechoquer, le secret dissimulé par l’hôtel et le danger qui les guette…

Sur un concept exploité des centaines de fois au cinéma (plusieurs étrangers cachant quelque chose et réunis dans un seul endroit), Drew Goddard tisse alors la trame habile de son deuxième film en tant que réalisateur, six ans après le très réjouissant La cabane dans les bois. Sans avoir la prétention de réinventer le genre et lorgnant allègrement du côté de Quentin Tarantino (le film est divisé en plusieurs parties, chacune centrée sur un personnage, chacune permettant d’en savoir plus sur l’intrigue, la musique tient un rôle important et on a même le droit à un MacGuffin similaire à celui de Pulp Fiction), Drew Goddard parvient à éviter tous les pièges du genre. Malin, il brode un récit à tiroirs où chaque séquence en livre un peu plus sur les personnages et sur la trame générale. De quoi maintenir l’attention du spectateur pendant 2h22, durée assez conséquente qui passe cependant comme une lettre à la poste.

Car si l’on peut éventuellement reprocher au film une petite tendance à s’écouter parler, force est de reconnaître que Drew Goddard a suffisamment d’intelligence pour ne pas se montrer trop ambitieux. En l’état, Sale temps à l’hôtel El Royale n’est finalement rien d’autre qu’un hommage à un certain cinéma irrévérencieux et jouissif réalisé sans trop faire le malin, ce qu’on pourrait reprocher à beaucoup d’ersatz de films inspirés par le cinéma de Tarantino. Avec humilité et simplicité, Drew Goddard délivre les clés de son récit et a surtout la bonne idée de prendre son temps. Dans un cinéma hollywoodien de plus en plus pressé par les conventions voulant qu’un film démarre vite et bien, Sale temps à l’hôtel El Royale présente un temps d’exposition assez long permettant de se familiariser avec les personnages. Et là où cette longueur volontaire (également exacerbée dans le climax) aurait pu plomber le film, il en tire au contraire sa grande force, sachant imposer son rythme, prenant son temps pour poser ses enjeux.

C’est d’autant plus agréable que Drew Goddard nous offre, au sein d’un décor particulièrement soignée, une galerie de personnages assez fameuse, tous interprétés par des acteurs très inspirés. De Jeff Bridges à Cynthia Erivo en passant par Jon Hamm, Lewis Pullman ou encore Dakota Johnson, ils sont tous impeccables, sachant créer en quelques scènes une réelle profondeur à leurs personnages, rapidement attachants, chacun étant évidemment hanté par ses propres démons… On notera surtout la présence au casting de Chris Hemsworth, apparaissant dans le dernier tiers du film. En ersatz de Charles Manson, gourou d’une secte violent et imbu de lui-même, l’acteur livre une de ses compositions les plus étonnantes. Avec sa moustache, son torse nu et son allure de tigre féroce, Hemsworth achève de faire de Sale temps à l’hôtel El Royale un vrai régal. Et souligne la force de la mise en scène de Drew Goddard qui, non content d’être un scénariste intelligent, témoigne d’un vrai sens du cadre et du cinéma à travers cette deuxième réalisation sacrément réjouissante.

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