Le bon apôtre : « Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance. »

Après quatre longues années à patienter et fantasmer le retour aux affaires du cinéaste Gallois Gareth Evans, nous voilà donc face à ce fameux monstre tant attendu, ce film d’horreur à priori totalement éloigné stylistiquement et, surtout, thématiquement, du fameux diptyque martial l’ayant popularisé aux yeux des cinéphages du monde entier, à savoir ses surpuissants « The Raid », modèles du film d’action moderne ayant redéfini les bases du genre pour les années à venir, et imposé sur le devant de la scène l’art martial indonésien, le pencak silat ! Bien entendu, nous adorerions voir un ultime volet de cette saga, mais on peut tout aussi bien comprendre le souhait du cinéaste de ne pas s’enfermer dans une case dont il aurait du mal à se défaire, et de se tourner vers de nouveaux horizons cinématographiques !  Mais cet état de fait posé, cela ne veut bien évidemment pas dire qu’il s’est assagi ou qu’il a décidé de s’embourgeoiser avec un cinéma plus tranquille ou apaisé ! Bien au contraire, il nous revient avec une œuvre certes dépourvue d’élans martiaux, mais tout aussi rageuse dans le fond que les films ayant fait sa réputation. Malheureusement, le système de production étant ce qu’il est actuellement, le film s’est retrouvé entre les mains de Netflix, les seuls à priori n’ayant pas frémi devant le script. Il faut le dire assez éloigné des habitudes du grand public moderne, et prêts à laisser carte blanche comme il se doit au cinéaste ! Les amoureux de l’expérience cinéma ont de quoi râler, mais prenons le film tel qu’il nous est donné à voir, et savourons-le pour ce qu’il est, à savoir un vrai bon moment de cinéma, même si on ne peut le voir que sur notre canapé !

Le point de départ est simple. Après avoir eu connaissance d’une lettre de sa sœur adressée à leur père, le suppliant de venir la délivrer d’une secte la retenant prisonnière sur une île, un homme se rend sur cette dernière et va découvrir une communauté fanatisée dont les actes sont guidés par leur « déesse », et cachant des secrets particulièrement macabres …

Le pitch présent sur le Net depuis que le projet a été annoncé n’a pas bougé depuis, aussi simple qu’énoncé ici, et laissant donc le doute quant à la réelle teneur du sujet. Chose assez agréable, il faut bien le dire, en ces temps de promotion intensive accumulant les bandes annonces ou extraits ne laissant que peu de place à la surprise. La méthode Netflix a ceci de bon que les bandes annonces sont mises en lignes peu de temps avant la mise à disposition des films sur la plateforme, ce qui évite la saturation devant un éventuel excès d’informations à leur propos. En ce qui concerne le film présent, cela est particulièrement appréciable dans le sens où celui-ci est clairement guidé par son storytelling, emportant le spectateur dans son univers, sans que l’on sache exactement où l’on se dirige. Les enjeux sont clairs et limpides, exposés dès les premières minutes du film, et dès lors, il n’y a plus qu’à se laisser porter par l’atmosphère mise en place par l’orfèvre Evans, désormais parfaitement en phase avec sa mise en scène. Il nous offre donc de superbes plans d’ensemble de son magnifique décor naturel, grâce à ses mouvements d’appareil fluides et élégants, et à ses cadrages au cordeau. Les scènes en intérieur sont quant à elle superbement éclairées, à travers une photographie chaude et stylisée juste ce qu’il faut, sans excès d’étalonnage ! Ce qui rend le visionnage particulièrement agréable tout le long. Quant à l’univers dépeint, il est aussi glauque qu’espéré, nous laissant sans cesse dans un sentiment d’insécurité ne faisant qu’accroître jusqu’à ce que la violence explose, contenue jusque là, et franchement viscérale lorsqu’elle s’impose enfin, terrible dans son inéluctabilité. La cruauté est omniprésente, à travers les actes de personnages ayant bâti une communauté toute à la gloire d’une soi disant déesse, censée justifier tous les excès. On peut dans un premier temps penser au récent Brimstone dans la peinture d’un fanatisme terrifiant et sans limites, mais finalement, le film s’en éloigne assez rapidement en prenant des chemins de traverse que l’on ne sentait pas forcément venir. Pendant une bonne heure, la réussite est totale, forme et fond fusionnant en un tout parfaitement tenu et d’une évidence qui n’a rien à envier aux grands conteurs du cinéma.

Le risque était grand, à savoir tomber dans une surenchère graphique ou scénaristique qui ferait s’écrouler cet édifice bâti avec tant de soin. Et malheureusement, la seconde moitié va en effet accumuler certaines scories franchement dommageables, même si le tout réussira miraculeusement à maintenir une certaine unité qui empêchera une trop grande frustration. Mais le cinéaste ne parvient cependant pas à éviter quelques pièges bien modernes. Comme si son assurance était si grande qu’il ne pouvait s’empêcher de jouer au malin en semant des pistes pas forcément menées à terme, laissant le doute quant à l’aspect fantastique du script, avant de partir dans une suite d’excès graphiques et scénaristiques dont il ne parvient pas totalement à gérer les enjeux, en témoigne cet ultime plan sentant la facilité où l’on sent le cinéaste tout fier de son scénario finalement pas si surprenant et fou qu’on l’aurait espéré. Car là où on attendait une folie furieuse allant crescendo jusqu’à un climax que l’on fantasmait extrémiste et défouloir, en souvenir de ses précédents travaux, on se retrouve finalement avec une violence certes assez gratinée par moments, et jouissive à d’autres, mais semblant tout de même un peu trop contenue, comme arrêtée en plein élan, là où Evans aurait dû persister et signer dans une hargne toute personnelle ! Au final, il n’y a pas franchement matière à traumatisme, hormis pour les âmes les plus sensibles, et la déception est donc logique, même si le résultat reste honorable dans l’ensemble ! Ce que l’on retiendra avant tout, c’est la pureté du geste du cinéaste, totalement débarrassé du cynisme et du second degré complice qui plombent le genre contemporain. Pas de jump scares à 2 balles, pas d’ironie, mais une horreur assumée et ramenée à son essence première, à savoir mettre mal à l’aise et oser le jusqu’au- boutisme dans la cruauté, même si là encore, on s’attendait à bien plus radical encore ! On s’accrochera donc à l’ambiance malsaine maintenue de bout en bout, aux quelques scènes choc (dont une torture très moyen âge, qui fera grincer des dents aux esprits les plus fragiles) et au charisme de Dan Stevens, si intense et au regard si brûlant et cachant une rage infinie, que l’on est un peu déçu que le scénario ne lui rende pas un peu plus justice, à travers des situations vraiment hargneuses. Mais bon, l’essentiel est là, et l’on continuera à attendre les prochains films de M. Evans avec impatience à l’avenir.

 

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