Cecil B. DeMille : The Greatest Showman on Earth

Alfred Hitchcock, Orson Welles, John Ford, Charlie Chaplin, Billy Wilder… Nombreux sont les cinéastes hollywoodiens fréquemment cités au panthéon des réalisateurs incontournables de l’histoire du cinéma. On oublie cependant trop souvent de citer Cecil B. DeMille, généralement réduit à un seul film, son opus testamentaire et son film-somme : Les Dix Commandements. D’une durée de près de 4 heures, ce gigantesque péplum dans lequel Charlton Heston arbore la plus belle barbe de sa filmographie, pourrait en effet résumer la carrière de Cecil B. DeMille : décors immenses, figurants partout, démesure de toutes parts, dialectique entre le profane et le sacré, le spectacle est total.

Résumer Cecil B. DeMille en se fondant seulement sur Les Dix Commandements est cependant erroné et l’on peut d’ores et déjà remercier Elephant Films d’avoir édité six films du cinéaste. Disponibles depuis le 25 septembre dernier en combo Blu-Ray + DVD, Le Signe de la croix, Cléopâtre, Les Naufrageurs des mers du Sud et Les Conquérants d’un Nouveau Monde viennent jeter un éclairage salvateur sur DeMille. Ces quatre titres sont complétés par La loi de Lynch et Les Tuniques écarlates, seulement disponibles en DVD. Six titres en tout, présentés par Jean-Pierre Dionnet ou Eddy Moine, six titres majeurs permettant de réaffirmer la place et l’importance de Cecil B. DeMille au sein de l’industrie hollywoodienne.

Splendeur visuelle chez DeMille, ici Claudette Colbert dans Cléopâtre

Car l’homme a toujours été un pionnier, commençant à tourner des films dès les années 1910. La majeure partie de sa carrière, faite au temps du muet, ne nous sera jamais complètement révélée, de nombreux films qu’il a réalisé s’étant perdus avec le temps. Ce que l’on peut néanmoins affirmer, c’est que DeMille a très vite perçu le potentiel du cinéma et l’a sans cesse envisagé sous l’angle du spectacle total. Il n’y a pas de demi-mesure avec lui et pour cause, on ne plaisante pas avec l’homme qui a réalisé le premier long-métrage jamais tourné à Hollywood (Le mari de l’indienne en 1914). Son succès ne se démentira quasiment jamais, chacun de ses films étant un événement et même en France, il n’était pas rare que ses réalisations dépassent les 4 millions d’entrées. Chaque nouveau film et donc chaque nouveau succès permet à DeMille d’assoir sa réputation. Il se développe très rapidement une image, celle typique du réalisateur en bottes (qu’il portait à cause de problèmes de santé) et en pantalon culotte de cheval, toujours une cravache à la main. Avant Hitchcock, DeMille se met en scène dans les bandes-annonces de ses films : on l’y voit diriger des figurants tout en jouant avec son image de metteur en scène intransigeant. Il narre souvent l’ouverture de ses propres films et n’a d’ailleurs pas hésité à laisser d’autres cinéastes le mettre en scène (notamment Billy Wilder dans Boulevard du Crépuscule).

Réalisateur démiurge, DeMille est le maître total sur un plateau de tournage quitte à être autoritaire et caractériel. Lors des scènes d’action, il attend de tout le monde, des figurants comme des acteurs, une implication totale. Les cascades réalisées sur le plateau risquent de coûter la vie à un figurant ? Pas grave, ce sera plus réaliste ! (A ce titre, la chute de cheval mise en scène dans Les Tuniques écarlates est impressionnante). Cela ne manquera pas de lui causer des disputes avec des acteurs notamment Paulette Goddard qui refusa d’être au cœur de l’action d’une scène des Conquérants d’un Nouveau Monde et à raison, sa propre doublure finissant blessée. DeMille tiendra cependant une rancœur contre l’actrice puisqu’il préféra caster Gloria Grahame plutôt que Goddard pour jouer des années plus tard dans Sous le plus grand chapiteau du monde.

Boris Karloff, Cecil B. DeMille et Paulette Goddard sur le tournage des Conquérants d’un Nouveau Monde

Cinéaste bourré de contradictions (il était un farouche conservateur, ami proche de William Hays qui mit en place le fameux code de censure à Hollywood tout en livrant à l’écran des scènes de débauche d’une sensualité incroyable), Cecil B. DeMille a approché tous les genres avec invariablement la même envie de spectacle, ce qui en fait l’un des grands cinéastes hollywoodiens par excellence. Si on le connaît pour ses péplums faramineux et décadents (Le Signe de la croix, Cléopâtre), DeMille a globalement écumé tous les genres du cinéma d’aventure (le film maritime pour Les Naufrageurs des mers du Sud, le western teinté d’histoire et de romanesque pour Les Tuniques écarlates et Les Conquérants d’un Nouveau Monde), La loi de Lynch édité par Elephant Films permet d’infirmer l’affirmation voulant que DeMille ne fasse que des grands spectacles historiques. En 1933, La loi de Lynch est en effet un film contemporain résolument moderne, mettant en scène des jeunes en désaccord avec les adultes et leur système (un genre en soi popularisé dans les années 50 par James Dean en l’espace de deux films), décidant d’appliquer la justice à leur façon sur un truand ayant assassiné impunément l’un de leurs amis.

De Mille a d’ailleurs toujours été très moderne dans son approche du cinéma. Du point de vue technique d’abord : pour Le Signe de la croix, il fait mettre au point des caméras plus silencieuses et s’autorise des mouvements rarement vus pour un film de 1932 et en 1942 la scène sous-marine des Naufrageurs des mers du Sud est d’une efficacité redoutable, remportant un Oscar des Effets Spéciaux. Mais son approche est également moderne dans ses thématiques : en 1934, on reproche aux personnages de Cléopâtre de s’exprimer comme s’exprimerait n’importe qui dans la rue. C’est justement la force du cinéma de DeMille qui n’oublie jamais de satisfaire son spectateur. Ses films ne sont ni avares en action ni en érotisme.

DeMille dirigeant la scène aquatique finale des Naufrageurs des mers du Sud

Le summum de l’érotisme revient au Signe de la croix, peut-être le plus beau film de la sélection proposée par Elephant Films. Non seulement DeMille fait preuve d’un sens de la mise en scène incroyable, aidé par les décors et la photographie (on voit très souvent dans le film des croix partout, en ombre, en arrière-plan sur le décor) mais en plus il offre à son spectateur une véritable orgie visuelle et ce d’autant plus que le code Hays n’était pas encore appliqué en 1932. Nudité (on voit quasiment la poitrine de Claudette Colbert dans sa célèbre scène de bain au lait d’ânesse), saphisme évident, sexualité exacerbée et une scène finale dans l’arène absolument ébouriffante, pas loin du masochisme. En effet, dans ce long morceau de bravoure se déroulant dans l’arène où les chrétiens sont mis à mort, DeMille convoque toute la puissance érotique et violente de son cinéma. Femme ligotée à moitié nue à la merci d’un gorille, homme écrasé par un éléphant, corps dévorés par les crocodiles, lions se jetant sur les figurants (on se demande si certains ont survécu au tournage), le spectacle est total, renforcé par les plans réguliers de réactions des spectateurs dans l’arène, de plus en plus transis face à cette montée en puissance du massacre. (Et ça y est, à ce stade-là, vous avez fortement envie de voir le film).

Sommet de l’érotisme chez DeMille : Claudette Colbert dans Le signe de la croix

De façon générale, l’érotisme et l’audace sont partout dans son cinéma. Les scènes de bain sont courantes (Claudette Colbert dans Le signe de la croix, Paulette Goddard dans Les Conquérants d’un Nouveau Monde) et la séduction est à peine dissimulée. C’est Claudette Colbert et ses robes laissant quasiment tout voir dans Cléopâtre ou c’est Bradley Page voulant ouvertement coucher avec une mineure dans La loi de Lynch. Pas mal pour un républicain farouche qui n’a pourtant jamais boudé la provocation.

L’autre aspect frappant du cinéma de Cecil B. DeMille, faisant de lui le réalisateur du spectacle total, c’est sa gestion des figurants. Même dans un film plus moderne comme La loi de Lynch, le cinéaste trouve le moyen de réaliser une scène convoquant des dizaines de figurants, jusqu’à ce qu’ils remplissent le cadre. De fait, on a rarement vu une attention aussi forte sur la figuration. On s’amuse depuis plusieurs années à repérer les figurants qui font n’importe quoi sur les plateaux de tournage, prétendant de passer le balais, se contentent de regarder la caméra ou n’y mettant pas du cœur durant les scènes de combat. Impossible de trouver ça chez DeMille tant il règne en tyran sur son film. Ainsi l’action à l’arrière-plan de ses films est toujours parfaitement définie, toujours en harmonie avec le cadre et chaque personnage est à sa place, faisant une action bien précise. C’est frappant lors des scènes de soirées de Cléopâtre, la scène de lynchage de La loi de Lynch ou encore la scène du combat final des Conquérants d’un Nouveau Monde. Sur un tournage de Cecil B. DeMille, John Wayne et Gary Cooper filent aussi droit que le type au fond à gauche qui tient son fusil. C’est une récurrence parfaitement ahurissante car le cinéaste se retrouvait parfois à gérer des centaines de figurants, orchestrant parfaitement le moindre de ses cadres.

Gestion du cadre et des figurants dans La loi de Lynch

Démiurge, homme de spectacle, pionnier du cinéma, à l’aise avec le muet, le parlant, le noir et blanc, la couleur et à peu près tous les registres, DeMille est un cinéaste total, l’un des rois du divertissement de l’âge d’or d’Hollywood. Pour comprendre Hollywood, toute sa splendeur et toutes ses contradictions, il faut passer par Cecil B. DeMille plus que tout autre cinéaste. Le voyage est long mais Elephant Films nous ouvre la route avec ces six films édités, à nous de faire la reste, ça vaut le coup.

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