Yéti et Compagnie : un équilibre fragile

Une belle société où tout semble fonctionner comme sur des roulettes, des engrenages bien huilés, qui rendent la vie facile, routinière mais agréable : voilà sur quoi s’ouvre Yéti et Compagnie. Un acte d’exposition charmant, amusant (avec quelques idées de mise en scène qui tirent parti du monde enneigé), où nous sont présentées les origines du monde. Un conte à la Terry Pratchett saupoudré de mythologie nordique où tout va bien pour la société des yétis, qui vivent en harmonie selon leurs coutumes ancestrales. C’est par les yeux de Migo que nous découvrons tout ce petit monde. Sympathique et avenant, ce dernier se prépare à prendre la relève de son père comme sonneur de gong, dont l’utilité est de faire lever le soleil, rien que ça. Par un renfort de circonstances, il atterrit hors du village et tombe sur rien de moins qu’un humain, qui s’est craché en haut de la montagne. Chose impensable pour le yéti puisque les humains sont une légende, chez eux. L’humain prend la fuite mais ne manquera pas de raconter son histoire de retour dans son monde. Le récit arrive aux oreilles de Percy, un explorateur qui cherche la gloire via une émission sur internet. Migo, pendant ce temps, finit banni par l’ancien du village lorsqu’il raconte et maintient qu’il a rencontré un « petit pied ». De là, Migo fera tout pour retrouver ce fameux « petit pied » et prouver à ses pairs qu’il n’est pas un menteur.

Avec cette première partie qui plante un décor classique mais solide, on oscille entre les maladresses, les bonnes idées et un film qui se laisse trop porter vers sa conclusion. Dommage, après cette entrée en matière, de constater une baisse de régime, qui ne reprendra jamais le rythme de croisière initial. Ce n’est pas faute de proposer des thématiques intéressantes, aussi universelles que dans l’ère du temps. Entre l’obscurantisme qu’exerce le doyen du village sur les masses et la course aux pouces en l’air numériques de Percy, on a vite fait de lorgner vers le récent phénomène des fake news ou cette propension à traiter de conspirationniste le premier sceptique venu. Yéti et Compagnie invite son jeune public à prendre du recul sur les choses et à rester pragmatique, à comprendre les enjeux et les raisons d’un mensonge à grande échelle. Une intention louable, qui sauve tout de même son film de la catégorie des œuvres faciles aux rengaines convenues.

Mais certains passages font tache dans cet ensemble chancelant, comme ce rap qui nous résume la vérité sur le monde des yétis (que même la voix d’Oxmo Puccino n’arrivera pas à sauver) trop en décalage avec l’ambiance globale. Le look des yétis peine aussi à convaincre, ou du moins à les rendre vraiment attachants, l’absence d’une mascotte (une chèvre qui pousse des cris, ça ne suffit pas) ou d’une caution mignonne se fait sentir. On manque de points d’accroche pour réellement se sentir impliqué dans le dilemme moral que va devoir affronter Migo. On trouve aussi moins d’humour qu’à l’accoutumée dans ce type de production, une action qui aurait pu être salutaire, si elle ne souffrait pas de faire partie de ce tout lacunaire. Il en va de même pour l’absence d’un réel antagoniste, qui s’installerait en catalyseur des aspects négatifs des mensonges de la tribu. Absence qui, si elle est cohérente avec un ensemble nuancé et s’atténue avec l’alternance des points de vue, reste un exercice périlleux. Des carences qui finissent par achever ce mariage raté entre le fond et la forme (avec tout de même des effets travaillés sur la neige et la glace évidemment omniprésentes).

Yéti et Compagnie parvient malgré tout —et tant bien que mal— à tenir sa trajectoire, même ponctuée de sorties de routes. Guidé par ses velléités bienveillantes, ces écarts de conduite restent excusables, mais nuisent au potentiel initial de l’œuvre. Un gâchis qui sait limiter les dégâts par sa ligne directrice, mais qui manque de la transcender et propose une solution finale aussi simple qu’accélérée. En résulte un film qui laisse un goût doux amer en bouche, et nous empêche de prendre pleinement notre pied.

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  1. Édito - Semaine 43 -

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