Rafiki : Amies, si la société le veut

Rafiki. Comme beaucoup le savent depuis la sortie du Roi Lion, rafiki est un terme Swahili signifiant ami. Un sentiment fort qu’est l’amitié et probablement le plus indispensable sur terre pour prétendre à notre humanité. Certains pensent l’amour, d’autre la famille, mais l’amitié est le sentiment qui vous fera accéder à votre propre famille et vous fera découvrir le véritable amour. L’amitié, sans ambages, est le sentiment le plus puissant chez l’être humain, et ce sans exagération. Pourquoi ce préambule ? Simplement car il faut bien une légère introduction sur l’importance du terme pour mieux se préparer à la violence de cette histoire.

Tout se passe au Kenya, à Nairobi, lorsqu’un jour, Kena, une jeune fille de la capitale, croise une autre jeune fille, Ziki, au détour d’une rue. Une alchimie de curiosité se crée entre les deux femmes. Elles semblent sentir la distance entre leurs mondes, l’une plus proche de la haute tandis que l’héroïne semble venir d’un milieu plus modeste. Entourée de ses amis dont elle ne cerne qu’à moitié leur psychologie, suite à cette rencontre elle se questionne sur ses sentiments, ses désirs, sa sexualité. Les deux filles finiront par se rapprocher et tisser des liens d’amitié, voire plus. Mais cette nouvelle alchimie entre les deux filles ne sera pas forcément du goût de tous, ceux-ci n’hésitant pas à très vivement le faire savoir.

C’est ainsi que Wanuri Kahiu signe un film poignant, dur, cinglant mais poétiquement magnifique. On y voit une mentalité kenyane vis à vis de certain comportement qui glacent le sang. D’une certaine manière cela nous fait relativiser sur notre propre situation européenne. Tous ces sujets sociaux sur lesquels les pays d’Europe ont pris une certaine avance, on voit que certains pays sont encore extrêmement rétrogrades. La question de l’amour pour une personne du même sexe est centrale dans ce film, mais le titre ne signifie pas « Ami » pour rien. La réalisatrice met en avant l’amitié face à l’amour car les deux filles souhaitent rendre leur lien fraternel au delà de ce que la société leur impose et de ce que les gens peuvent en penser. Il s’agit d’une critique assez directe sans pour autant être méprisante. Wanuri fait preuve d’une certaine sagesse en admettant l’état de départ du film et au lieu de critiquer directement la société en la pointant du doigt, préfère aborder cette histoire au travers des deux jeunes filles. Au delà de l’amour qu’elles ont l’une pour l’autre, c’est d’abord un profond sentiment d’attirance amenant sur une puissante amitié. C’est précisément ce point que la réalisatrice cherche à mettre en avant afin d’émettre l’idée que l’amour n’est qu’une amitié que l’on ne peut pas briser.

Rafiki est véritablement tragique au travers de tous les personnages influant sur le récit. Entre les parents de chacune qui sont politiques dans des partis opposés, le personnage de Blacksta, l’homosexuel du village, les amis de Kena, les amies de Ziki. Dans cette société ultra conservatrice, diverses mentalités se dégagent pour offrir un panel de personnages mettant l’accent sur un critère plutôt qu’un autre. Le père de Kena mettant l’amour pour sa fille au premier plan, le père de Ziki ne jurant que par sa réputation, l’ami de Kena qui n’approuve pas sa déviance sans aller jusqu’à la forcer à la réprimer. Au milieu de tout ça, l’affection que Kena et Ziki se portent l’une l’autre suit sa progression, obligées de se cacher pour se voir, elles explorent leurs sentiments au travers d’une esthétique fort colorée et chaleureuse. Un contraste extrême avec la dureté de fond du scénario. C’est un superbe film que nous offre Wanuri dans lequel on voit évoluer deux femmes qui préfèrent tenter l’impossible plutôt que de se laisser abattre et d’abandonner laissant présager une fin à la fois triste mais libre que le spectateur aura le loisir d’interpréter.

C’est néanmoins un film très dur, la violence est bien présente et c’est celle de la rue. Bagarre, provocations publiques, violence physiques gratuites, délation ou pressions sociales, toutes les méthodes sont bonnes à prendre pour forcer les gens à rentrer dans le moule. Un film mâture sur le plus beau sentiment du monde, l’amitié. On notera une fin ouverte plus appréciable que sur des films comme Burning. Certes le contexte et la volonté ont une dimension assez différente, mais on préférera facilement des fins ouvertes plus encadrées. Le cinéma africain (sud-africain, kenyan et français) prouve une nouvelle fois sa grande sensibilité et une forte maturité sur certains sujets. Il n’y a pas de moments larmoyant, de larmes lâchement soutirées, seulement une sincère volonté de raconter une belle et tragique histoire à la fois pour mieux pointer du doigt les travers d’une société et pour mieux développer l’humanisme de ses personnages.

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