Amin : … et les autres

Chez Philippe Faucon, il y a eu Sabine, Muriel, Samia et Fatima. Il y aura enfin un homme pour accompagner fièrement cette filmographie humaine et belle. Philippe Faucon a les pieds sur terre, ayant conscience du monde ambiant, de ses discriminations, ses lois, sa sauvagerie.
Avec douceur, il le traite au cœur d’un cinéma réaliste poignant. C’était déjà le cas avec Fatima, il continue avec Amin, continuant une série de portraits sur les immigrés en France. Il y aura un clin d’oeil pour rapprocher les deux personnages, soulevant un rictus amusé.

Amin n’est pas seul. Il vit dans un foyer de travailleurs immigrés à la périphérie parisienne. Amin travaille sur les chantiers ou pour des petits entrepreneurs. Avec Amin, Philippe Faucon radiographie tout le tumulte autour de lui. De jeunes immigrés algériens perdus dans cette faune et travaillant dur pour survivre et Abdelaziz, vieil immigré marocain ayant refait sa vie en France. Il est discret, timide et taiseux. Il a fait son trou, gagné son beurre par la force de ses mains, mais il arrive à une étape décisive de sa vie. Il a tout donné, mais rien reçu en retour. Faucon le cadre en gros plan en permanence. La mélancolie s’est emparée de son regard, il a tout donné à la vie, elle ne lui a rien donné en retour. Il souhaite alors repartir au Maroc.

Amin est un père de famille sénégalais travaillant en France depuis neuf ans. Il voit peu sa famille restée au pays, mais leur envoi de l’argent réussissant à faire vivre son entourage. En peu d’images, Philippe Faucon capte une réalité pesante. Une vie galère pour améliorer celle des siens au pays.
Au Sénégal, personne ne le comprend ou si peu. Sa famille voit la vie d’Amin comme une grande fête sur Paris. L’incompréhension est totale. Sa famille souhaite le rejoindre, ce qui est impossible. Le réalisateur braque son œil sur le Sénégal et la situation d’Aïcha, femme d’Amin. L’intelligence de Faucon de ne pas s’appesantir sur la France et son personnage pivot. Le metteur en scène s’ouvre pour mieux développer les périphéries de l’homme de famille. Sa femme, ses enfants et ses frères réglant les problèmes aux grès d’Aïcha. Le Sénégal, pays musulman où la femme a peu sa place. Amin lui manque, la liberté qu’elle a avec lui aussi. 

Amin est un film choral ne se focalisant pas seulement sur le nom sur l’affiche. Il est le pivot permettant à Philippe Faucon de répondre à la question sociale de telles situations. Cet immigré que l’on croise chaque jour dans le bus, que fait-il ? Où va-t-il ? Qui est-il ? Amin en sera une excellente réponse, un grand film après la confirmation publique et critique que fut Fatima il y a deux ans déjà. On rappelle qu’avec Fatima, Philippe Faucon avait été distingué par les Césars de la Meilleure Adaptation et du Meilleur Film en 2016. Le film reçut aussi le Prix Louis-Delluc en décembre 2015. La consécration pour un auteur qui s’efforce depuis près de 30 ans à soulever les questions de société régissant notre pays. Faut-il rappeler le sujet avant-gardiste de La Désintégration juste avant l’affaire Merah ou dernièrement avec sa série Fiertés pour Arte sur les questions de l’acceptation des couples lesbiens ou homosexuels. Le débat est toujours ouvert, n’en déplaise au Pape François 1er. 

Insérer alors une histoire d’amour au cœur d’Amin est comme un coup de tonnerre. Merveilleuse Emmanuelle Devos apparaissant simplement et avec une bonté rare pour finalement échanger les corps avec une liberté et une pudeur folle. L’attirance et l’envie pour un homme loin d’être de son milieu. L’ouverture d’esprit répugnant même sa fille, éprise dans les conflits de séparation de ses parents. Philippe Faucon se sert encore de cette périphérie pour photographier une femme en bataille face au père de sa fille qui la harcèle juste pour se venger de sa frustration d’avoir été quitté. Une photo de notre société où les couples se déchirent avec les enfants au milieu. Faucon ne réexploite pas Jusqu’à la Garde, mais l’écriture du film est si juste que nous ressentons l’oppression de la situation pour Gabrielle (Emmanuelle Devos), qui trouve aussi un peu de liberté auprès d’Amin. 

À travers la posture courageuse d’Amin, Philippe Faucon crée le tableau magnifique d’un microcosme sociétal dramatique. De par un homme, il arrive à radiographier une multitude de vies avec une justesse et un tact rare. Il nous procure la sensation de pouvoir croiser chaque personnage au coin de la rue. Mieux, chaque personnage existe, car les éléments établis sont d’une véracité confondante. On se retrouve au cœur de cette étreinte diégétique marquante, si belle et dramatique. On resterait béatement à suivre encore longtemps ses vies si le générique ne pointait pas son premier titre et nous dire qu’il y a une fin. Il n’y a pas de final dans le cinéma de Philippe Faucon, juste l’ouverture d’un chapitre pour nous montrer simplement où l’on vit et en prendre fatalement conscience. Le cinéma y trouve alors une rare puissance.

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