L’étrange Festival 2018 !

Ce Dimanche 16 septembre 2018, s’est déroulée la cérémonie de clôture de l’Étrange Festival, 24ème du nom, où aura été doublement récompensé l’excellent « The spy gone north » ! Cependant, malgré ses qualités cinématographiques et narratives indéniables qui en auront fait, objectivement, l’un des meilleurs films de cette édition, nous sommes en droit de nous interroger sur cette désormais habitude de récompenser des films qui n’ont absolument rien d’étrange ! Que le prix Canal aille à un film plus accessible, déjà prévu dans les salles françaises, paraît somme toute logique, mais que le prix du public soit la plupart du temps identique pose tout de même question, pour un festival censé promouvoir un cinéma « autre », n’ayant pas les faveurs des manifestations plus « grand public » et n’ayant quasiment aucune chance de débarquer un jour dans les salles obscures ! La question qui se pose alors est, est-ce que cela signifie que la production des marges n’est tout simplement pas à la hauteur, ou bien la sélection faite par l’équipe de Frédéric Temps, président et délégué général du festival, n’en a tout simplement pas retenu le meilleur ? Cette dernière question est particulièrement pertinente pour cette édition qui aura été pour le moins controversée, alternant, hormis quelques exceptions, délires arty dont est visiblement friand le boss du festival, et qui, malgré l’ouverture d’esprit du public, auront été particulièrement indigestes, ou films n’ayant strictement rien à faire ici, en plus d’être objectivement mauvais et indignes de la moindre sélection dans un festival même quelconque (A vigilante remportant la palme à ce niveau) ! Pour la première catégorie, les représentants auront été nombreux, à commencer par la purge du festival, de l’avis d’à peu près tout le monde, « Amalia » de l’artiste multi fonctions Omar Rodríguez-López, guitariste des Mars Volta, ayant déjà à son actif un long-métrage passé par la case de l’étrange en 2012, « Los Chidos » ! Si ce dernier avait apparemment fait son petit effet sur le public de la manifestation en son temps, on ne pourra pas en dire autant de ce « Amalia » fort indigeste, censé narrer sur un mode surréaliste une plongée dans une folie sanglante, dixit le synopsis du programme ! Lorsqu’on voit le résultat, il est permis d’être un peu perplexe devant ce qui est avant tout une caricature de pseudo délire auto centré et prétentieux (n’est pas Lynch qui veut), ne racontant strictement rien, et prenant tout son temps pour le faire ! Le spectateur, face à cette mascarade, n’a pas beaucoup de choix, soit quitter la salle en grognant, soit rester jusqu’au bout comme votre serviteur en espérant secrètement qu’il se passe enfin quelque chose d’un tant soit peu intéressant ou transgressif, appâtés que nous sommes par l’avertissement -16 présent sur le programme et la promesse d’une œuvre à nulle autre pareille, dérangeante et malsaine ! Au final, on sera obligé de se rendre à l’évidence que l’on aura été arnaqué, comme pour beaucoup d’autres films présents cette année, poussés à l’enthousiasme avant même le début de la séance, par les présentations tonitruantes et exaltées de Frédéric Temps, jamais à court d’adjectifs pour nous décrire la claque de l’année, du genre vous allez voir ce que vous allez voir ! Mais passons …

The house that Jack Built

Si l’on veut retenir les temps forts de cette édition, on ne pourra passer sous silence les présentations évènementielles des derniers films de Lars von Trier (The house that Jack Built) et Gaspar Noé (le décidément hallucinant Climax, vu une deuxième fois, et toujours aussi sensoriel) ! L’œuvre polémique du danois sarcastique, que la présentation Cannoise avait placé en tête de liste des films les plus attendus des amateurs de films sulfureux et sans limites, n’aura pas failli à sa réputation auprès du public pourtant blasé de l’étrange festival ! Ayant pour notre part déjà vu le film à une autre occasion et chroniqué sur Close-Up, nous avons tout de fois écouté avec intérêt les différents avis concernant le film, et le moins qu’on puisse dire, c’est que même dans un festival spécialisé qui en aura pourtant vu d’autres, la provocation parfois gratinée du célèbre cinéaste aura eu du mal à passer auprès de certains spectateurs. Si l’on aura l’occasion d’y revenir lors de sa prochaine sortie sur les écrans français (le 17 octobre), nul doute que l’on peut s’attendre à des débats mouvementés ! Et après tout, c’est ce que l’on demande au cinéma, de provoquer le débat, de ne pas laisser le spectateur dans sa zone de confort et de ne pas s’imposer la moindre limite d’ordre moral ou artistique sous prétexte que l’on risque de heurter certaines âmes !  Bon point pour le danois donc, pour ce chef d’œuvre libre et subversif !

Pour le reste, on sera obligé de passer rapidement, mais notons la qualité des reprises, que ce soit avec le retour des célèbres pépites de l’étrange, ou les cartes blanches de qualité ! On retiendra pour notre part particulièrement la projection évènement, car rare sur grand écran, du cultissime Moi, Christiane F., 13 ans, drogué, prostituée… de Uli Edel, véritable phénomène générationnel en son temps, et très dur à voir depuis, que ce soit en salle, voir même en DVD, aucune édition digne de ce nom (à savoir avec VO) n’ayant été édité en France ! Présentée par Gaspar Noé, la séance était donc une belle opportunité pour les fans du film ou plus simplement pour les gens le découvrant ! Et l’on peut dire que l’œuvre n’a pas pris une ride, cette plongée dans l’enfer de la dépendance d’une jeune fille en manque de repères, dans un Berlin glauque filmé comme le New York de Scorsese, et sans cesse en quête d’un Absolu impossible à atteindre, étant toujours aussi impactant, peu de films ayant réussi à capter avec autant de réalisme et de frontalité crue le manque et les prises de drogue, les scènes de piqure ou de désintoxication restant des modèles du genre ! Comme le disait Gaspar Noé dans sa présentation, on peut se poser la question de comment une si jeune actrice a pu vivre un tournage pareil, et surtout, il est évident qu’un tel film serait impensable aujourd’hui, avec le retour de la bonne morale hypocrite. Il n’y a qu’à voir comment le personnage est sexualisé pour s’en convaincre. Bref, une belle découverte ! Le festival aura cette année, fait preuve d’une ouverture d’esprit assez remarquable, nous faisant voyager notamment au Kazakhstan, à travers la rétrospective de l’œuvre complète du cinéaste Adilkhan Yerzhanov, dont le sublime dernier film « La tendre indifférence du monde », qui sortira dans les salles françaises (première pour le cinéaste) le 24 octobre prochain ! Dans un superbe scope aux plans savamment composés et éclairés, à travers un style évoquant tout autant Kitano que Wong Kar-Wai ou Hou Hsiao-hsien, le cinéaste raconte la corruption de son pays avec poésie et parfois, drôlerie, sans occulter la cruauté des situations ! Une très belle découverte que l’on ne peut que vous intimer d’aller défendre lors de sa sortie.  Le cinéaste iranien Shahram Mokri, dont le film Invasion est également prévu dans les salles pour le 31 octobre, était également à l’honneur, avec 2 films apparemment fort insolites.

Moi, Christiane F.

Pour en revenir aux anciens films, Lune froide de Patrick Bouchitey, avec lui-même et l’excellent Jean-François Stévenin, aura été un autre moment fort de la manifestation, le film n’ayant rien perdu de sa force transgressive, dans un style libre évoquant fortement Les Valseuses de Blier. Encore un film qui semble bien difficile à envisager actuellement ! La Saignée de Claude Mulot, bientôt édité par l’excellent éditeur Le Chat qui Fume, était pour le coup une belle découverte pour l’ensemble du public, le film étant très peu connu ! Débutant à New York, le film se poursuit en Normandie, pour une peinture cinglante et bien sentie de la petitesse humaine, dans un style Chabrolien du meilleur effet ! On ne peut que  conseiller aux cinéphiles  à la recherche de pépites de guetter sa sortie avec attention !

The dark

Pour terminer sur les films contemporains, les bonnes surprises étaient l’autrichien The dark, plongée poétique et parfois très gore dans une forêt mystérieuse, aux personnages attachants joliment écrits, malgré quelques maladresses scénaristiques rendant le film un peu confus dans ses derniers instants. Mais dans l’ensemble, c’est d’une belle maîtrise. Perfect skin, malgré son sujet pouvant faire craindre un énième torture porn, réussissait quant à lui à éviter pas mal d’écueils et se révélait fort troublant à travers sa peinture visiblement documentée du milieu des adeptes des modifications corporelles. Assez perturbant et malgré tout assez graphique par instants, le film est de plus porté par la présence magnétique de l’inquiétant Richard Brake, découvert dans 31 de Rob Zombie, et dont le physique vraiment hors normes n’a pas fini de nous fasciner. Upgrade aura quant à lui permis de quasiment finir le festival sur une touche purement divertissante, bonne série B certes pas très originale, voir un peu coconne sur les bords, mais débordant d’idées graphiques ou de mise en scène fort réjouissantes ! Visuellement prodigieux et donnant l’impression d’avoir coûté bien plus que son réel budget, le film évoque le génial Hardware de Richard Stanley, sans atteindre néanmoins sa hargne et sa puissance ! On aura également l’occasion d’y revenir à l’occasion de sa future sortie dans les salles, le 3 octobre exactement ! On préfèrera donc rester sur le souvenir de ce petit B sans prétentions que sur le terrible film de clôture (The man with the magic box), SF polonaise plombante et mal racontée, malgré son cachet visuel assez séduisant ! Mais pour terminer 12 jours de festival, ce n’était pas la meilleure idée qui soit ! Voilà pour ce compte rendu forcément incomplet, faute de place pour tout aborder, mais disons juste qu’il serait bon que le festival arrête de se reposer sur ses lauriers et écoute un peu les critiques de ses fidèles spectateurs, notamment concernant les trop nombreux films uniquement sous titrés en anglais, chose véritablement indigne au bout de 24 années d’existence, surtout lorsqu’on prend en compte les petits festivals qui, même sans budget, font l’effort de fabriquer des sous titres ! Un festival, surtout aussi reconnu, ne doit pas être fait pour flatter l’égo de ses instigateurs, mais pour faire plaisir à son public avant tout. Il serait donc bon de mieux faire le tri dans les quelques 700-800 films visionnés par l’équipe, comme aimait à nous le rappeler Frédéric Temps lors de plusieurs présentations. A bon entendeur, et à l’année prochaine !

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  1. Édito - Semaine 40 -

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