Burning : Moins t’en sais, mieux tu te portes

Lee Chang-Dong arrive une nouvelle fois à Cannes après ses excellents Poetry en 2010 et Secret Sunshine en 2007. Désormais habitué de la croisette, le réalisateur sud-coréen va une nouvelle fois imposer son style et marquer le festival de son empreinte. Il présente cette année Burning, Une histoire adaptée d’une nouvelle, Les Granges Brûlées, du célèbre auteur japonais, Haruki Murakami, transposée à la société sud-coréenne. Peu connu chez nous, l’auteur jouit néanmoins d’une forte popularité chez les amateurs de thriller étrangers. À l’instar de Une Pluie sans fin, du réalisateur chinois Dong Yue, encore en salles actuellement, Burning est un thriller puissant explorant avec hargne les profondeurs psychologiques de ses personnages en même temps que celles de ses spectateurs.

On vous épargnera la tentative d’un résumé précis tant la tâche est ardue. Mais pour faire simple, Jong-su (Yoo Ah-in), un jeune coursier rencontre par hasard Haemi (Jeon Jong-seo), une ancienne camarade perdue de vue pour qui il avait des sentiments. Les retrouvailles consommées, Haemi lui explique qu’elle va partir en Afrique quelques temps et demande à Jong-su de garder et nourrir son chat le temps du voyage, un chat que l’on ne verra jamais. Au retour de son voyage, Haemi est accompagné de Ben, un sud-coréens aisé et ne manquant de rien, incarné par Steven Yeun, aka Glenn dans la série The Walking Dead. Pour Jong-su, Ben devient rapidement un sérieux rival contre qui il n’a aucune chance dans la quête du cœur d’Haemi, mais dont la lutte va l’amener sur des sentiers qu’il ne s’attendait pas emprunter un jour.

Ce long-métrage démontre une nouvelle fois le gouffre qui sépare la sensibilité asiatique de la nôtre. Quasi exclusivement basée sur des non-dits et du hors-champ, Burning explore un cinéma peu habituel auquel certains novices ne parviendront pas à se rattacher. Balancés au milieu de l’univers tortueux de son réalisateur, même les férus de cinéma mystique auront beaucoup de mal à trouver leurs marques. Pour autant, rien n’est laissé au hasard. La narration fourmille d’indices et de détails au travers d’une mise en scène sobre et épurée, mais néanmoins lourde et impactante. Nous sommes dernièrement influencés par des films comme Tunnel ou Dernier train pour Busan avec le cinéma sud-coréens, visant notamment un divertissement rythmé et grandiose. Ici, le réalisateur ne fait pas de fioriture, il pose sa caméra et filme. Peu de déplacement, une certaine lenteur, beaucoup d’informations passent par les silences et l’analyse des situations, des décors, des lieux, des contextes. Le réalisateur rend son film impactant par la simplicité et le minimalisme dont il fait preuve pour construire son œuvre.

À cela résulte une œuvre complexe et nébuleuse emplie de mystères. Le spectateur ne fait qu’avancer à tâtons au gré des indices laissés au compte goutte dans cette histoire sans jamais en avoir le fin mot et dont seul son ultime jugement lui laissera le choix de sa libre interprétation. La puissance narrative de ce long-métrage tient donc dans la capacité de son réalisateur à laisser tous les mystères en suspens plutôt que d’y apporter une quelconque réponse de sa part, comme si c’était au spectateur lui-même de choisir la finalité, le thème voire même le genre de cette histoire.

Il s’agit là d’une proposition audacieuse et peu accessible déjà bien décortiquée. Au delà du banal triangle amoureux, dont le choix se résume entre le caractère sain et bienveillant de Jong-su ou la richesse et la liberté de vie de Ben, il se dessine des enjeux bien plus éloquents. Le long-métrage révèle un discours meurtrier sur les travers de la société coréenne et les luttes des classes qui y font rage. Certains proposent déjà de voir la scène de fin comme un épilogue alternatif, offrant quelques très belles pistes d’analyse pour avoir le fin mot de l’histoire. Mais cette scène pouvant justement se voir un peu comme on le souhaite tant elle est sujette à interprétation. Peu importe ce qu’on y voit, ou ce que l’on désire y voir, cette scène apportera toujours des indices suffisant pour se rapprocher de l’interprétation souhaitée du film. Ce dernier se construisant notamment après son visionnage avec les élucubrations de chacun des spectateurs.

En fin de compte Burning s’apparente comme un mélange des genres, offrant une variance de tons tout en conservant une certaine harmonie. Une musique originale sobre mais envoûtante ponctuera ce long-métrage aux différents niveaux de lecture. On appréciera le jeu d’acteurs particulièrement juste pour des personnages si déstabilisants. Surtout concernant Steven Yeun que l’on découvre sous un tout nouveau visage, son sourire charmeur habituel devenant la source de l’atmosphère d’ambiguïté qu’il dégage. Au bout du compte, rien de ce qui émerge de notre tête, de nos conclusions, ne sera confirmé ou infirmé. Une quête de réponse qui restera à jamais vaine pour une durée du film pouvant mettre à très rude épreuve la patience des spectateurs. Un film qui trouvera indéniablement son public, mais si vous aimez être un minimum dirigé dans l’intrigue, alors à vos risques et périls.

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