Baïonnette au canon : L’enfer de la guerre selon Samuel Fuller

Jamais avare en petites pépites du cinéma américain, Rimini Editions a sorti depuis le 17 juillet dernier Baïonnette au canon en Blu-ray et DVD. Un film de Samuel Fuller à (re)découvrir d’urgence, permettant une fois de plus de mieux comprendre le style d’un cinéaste précieux, particulièrement mis à l’honneur cette année (avec une rétrospective à la Cinémathèque, une réédition de son autobiographie, trois livres lui étant consacrés parus coup sur coup et le documentaire A Fuller Life sorti en début d’année chez Carlotta).

Tourné juste après J’ai vécu l’enfer de Corée en 1951, Baïonnette au canon se penche de nouveau sur le conflit opposant américains et communistes en Corée du Nord alors que celui-ci fait rage. Samuel Fuller, qui sait parfaitement ce qu’est la guerre (il a participé à trois débarquements pendant la seconde guerre mondiale et a même édicté des commandements à suivre quand on réalise un film de guerre) apparaît alors comme tout indiqué pour filmer le calvaire de soldats coincés par une offensive ennemie en plein hiver. Cette arrière-garde, chargée de tenir une colline en plein hiver tandis que le gros de leurs troupes se replie, se retrouve très vite malmenée par des soldats ennemis qui connaissent le terrain. Se réfugiant dans une grotte, l’arrière-garde se défend coûte que coûte. Parmi elle se trouve le caporal Denno, terrifié à l’idée de perdre ses trois supérieurs hiérarchiques et de devoir prendre le commandement…

Tourné avec un petit budget (quoique plus conséquent que les trois précédentes réalisations de Fuller), Baïonnette au canon repose essentiellement sur un décor notamment une colline de plusieurs mètres de haut. Si aujourd’hui l’aspect artificiel des décors apparaît évident, il n’enlève pas au film toute sa force. En effet, le principal aspect du scénario est de se concentrer sur les soldats et sur ce qu’ils ressentent, leurs doutes, leurs espoirs, leurs peurs et leurs envies. En nous plongeant au cœur de la troupe (et en s’autorisant quelques voix-off traduisant leurs pensées), Fuller nous donne un aperçu du quotidien des soldats qui se révèlent face au conflit. Ce n’est pas tant le spectacle qui l’intéresse (même si on a le droit à quelques belles explosions et beaux mouvements de grue) que la réaction de ses personnages (sacrée troupe d’acteurs dont on peine parfois à repérer les gueules – bonne chance pour y repérer James Dean, alors figurant) face à l’horreur, aux morts de leurs camarades et à leurs choix. Le cinéaste, tout en montrant la guerre dans ce qu’elle a d’absurde et de violent, n’en célèbre pas moins le courage de ces membres de l’infanterie sans pour autant céder à la pure propagande militaire.

Bourré de tension et réalisé avec une sacrée vigueur par Samuel Fuller (qui était tellement énergique sur le plateau à pousser ses acteurs à bout et à vouloir utiliser des balles et grenades réelles que plusieurs membres de l’équipe finirent blessés), Baïonnette au canon est un modèle du genre, parvenant à insérer de la tension au sein de décors qui font pourtant parfois trop souvent carton-pâte. Ce défaut, malgré tout rapidement oubliable, est d’autant plus visible que l’édition Blu-Ray du film nous offre une très belle copie, au noir et blanc parfaitement équilibré et jamais saturé, gérant à merveille les contrastes entre le blanc immaculé de la neige et l’obscurité du refuge des soldats. Un bel écrin pour un film à redécouvrir rapidement, complété par un entretien de 36 minutes avec Frank Lafond, auteur du livre Samuel Fuller, jusqu’à l’épuisement, qui revient sur la genèse du film et la façon dont il s’imbrique dans la carrière de Fuller avec quelques anecdotes savoureuses. De quoi donner envie de redécouvrir toute la carrière d’un cinéaste dont on apprécie grandement la rage de filmer.

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