Capitaine Morten et la reine des araignées : Croisière dans le monde adulte

Présenté hors compétition au festival d’Annecy, Capitaine Morten et la Reine des Araignées est le premier long métrage de Kaspar Jancis. D’abord projet de théâtre, puis livre pour enfants (best-seller en Estonie) écrit pas Jancis lui-même, ce conte aura pris plusieurs formes avant d’arriver sur grand écran. Mais qu’on ne s’y trompe pas, le réalisateur bénéficie déjà d’une forte expérience artistique en tant que metteur en scène, compositeur et scénographe, il compte aussi à son actif 7 court-métrages d’animation. Cette expérience — qu’on ne manque pas de remarquer — combinée au savoir-faire du studio Nukufilm (l’un des plus vieux studios de stop-motion du monde), donne une animation si fluide qu’elle n’a rien à envier à d’autres vétérans du genre, comme les studios Laika ou encore les œuvres de Nick Park. Les mouvements se font sans à-coups, avec une aisance naturelle, dépositaires d’un soin tout particulier apporté à l’œuvre.

C’est donc avec habilité que se meut le jeune Morten, enfant rêveur qui aspire à prendre la mer comme son père, capitaine de bateau, souvent absent. Sa mère étant « devenue un pingouin (!) », sa garde est confiée à Anna, une ancienne danseuse, amère depuis un accident qui l’empêchera de continuer sa carrière. Evidemment, celle-ci remplira le rôle de la marâtre de contes de fées et consolidera l’envie d’évasion et l’ingéniosité d’un Morten défiant, face à une autorité injuste. Suite à d’étranges événements impliquant une machine à rapetisser tout ce qui existe, le jeune homme se retrouvera propulsé à hauteur de fourmi, sur un petit bateau de sa confection, au cœur d’une cuisine inondée. Différents insectes occupent le vaisseau et ne sont ni plus ni moins que des incarnations de visages familiers dont Anna, la fameuse reine des araignées, capitaine autoproclamée du bateau.

L’aventure se déroulera pour sa majorité dans cette embarcation de fortune, où les mutineries vont bon train. Le passif de Jancis dans le théâtre se ressent ici dans sa mise en scène, et on a parfois l’impression d’assister à une pièce avec ses déclamations, ses personnages agités dans des décors peu nombreux et ses dialogues un brin trop explicatifs. La parole performative du théâtre trouve moins sa place sur la pellicule, même si ce constat est plus facilement excusable pour une œuvre destinée avant tout au jeune public. Tout comme ces quelques éléments (personnages, événements…) qui arrivent parfois comme un cheveu sur la soupe (comme le compagnon du capitaine Stinger en forme d’ampoule). L’ensemble est malgré tout sauvé par une cohérence globale, qui respecte les thèmes qu’elle aborde.

L’appel de l’aventure emmène Morten dans son pays des merveilles, où se transposent ses tracas, qui s’ils sont classiques, restent universels. Les contes du père influencent le fils, pour mieux nourrir son imaginaire et lui transmettre ce goût de l’initiative, de la curiosité et de la péripétie. Au cœur de sa nef des fous, Morten se confronte à un monde adulte, avide, fourbe et égocentré qui mettra à rude épreuve sa candeur intrépide. Il trouve avec son imaginaire une façon de s’émanciper, face à la folie de cet univers où tout n’est que tromperie et conflit. Ses rêves lui permettent, comme on s’y attend, de résoudre ses problèmes, une fois sa taille normale retrouvée.

Les quelques maladresses de Capitaine Morten et la reine des araignées lui confèrent paradoxalement son identité, face à son déroulement classique et à une concurrence à laquelle il aurait pu trop ressembler. Probablement issues d’une écriture personnelle (Jancis est aussi au scénario) et non d’un choix de producteur guidé par des motivations pécuniaires. Avec un budget de seulement 6 millions de dollars, le résultat est probant, et les tribulations de Morten sont une ode à l’enfance réussie. Un périple honnête, vacillant, mais qui finit par arriver à bon port.

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