Roulez Jeunesse : Rencontre avec Eric Judor et Julien Guetta

C’est dans un couloir d’un somptueux hôtel parisiens que nous nous retrouvons au milieu de quelques autres journalistes, prêts à dégainer leurs micros dans l’espoir d’obtenir quelque saintes paroles de l’humoriste le plus drôle du grand écran et de son réalisateur pour le film Roulez Jeunesse. L’ambiance est assez morne, la chaleur est fatigante et suffocante. À cet instant, ce que nous désirons le plus est un bon verre d’eau fraîche, mais nous attendons également avec impatience l’arrivée d’Eric Judor, alors le verre d’eau devra attendre. Chacune des personnes actuellement présentes aimerait pouvoir engager la discussion avec son voisin, mais l’ambiance sobre et silencieuse du lieu nous force à une forme de mutisme professionnel en attendant notre tour des questions. Les portes de l’ascenseur s’ouvrent enfin laissant apparaître notre comique national qui ne tarde pas pour lancer sa première vanne : « Dis donc on se croirait dans une salle d’attente chez le dentiste ici. Vous aussi vous avez la molaire gauche qui vous fait souffrir? ». En un éclair l’acteur avait détendu l’atmosphère et réussi a décontracter tout le monde. Alors que les attachés de presse l’activent pour se dépêcher à faire ses interviews, ses rendez-vous etc, lui lambine et apprécie notre compagnie, plus naturelle et moins formelle. Alors que l’on se prépare tous à faire notre travail, aussi professionnels puissions-nous être, lui, y va à la cool, peinard. L’ambiance solennelle, il veut la briser le plus vite et directement possible, avant même le face à face des journalistes, il souhaite créer et entretenir un climat détendu et amicale. Il quitte donc cet affreux couloir où nous l’attendions, pour se faire alpaguer sur la terrasse par ses agents et les attachés de presse quand soudain, Julien Guetta, le réalisateur de Roulez Jeunesse, apparaît lui aussi derrière ces portes d’ascenseur qui s’ouvrent de nouveau. Moins affirmé que son homologue sus-mentionné, Julien Guetta, très souriant et content d’être là, salue tout le monde à la volée avant de rejoindre son comparse sur la terrasse d’un ton plus timide. Au bout de quelques minutes notre tour arrive enfin et nous sommes invités à rejoindre cette fameuse terrasse.

Close-Up Magazine : Le fait d’avoir un acteur/réalisateur sur le plateau de tournage, est-ce que ça change quelque chose?

Julien Guetta: J’avais des appréhensions au tout début. Je me suis dit: « est-ce qu’on va bien s’entendre ? » Mais en fait pas du tout. Eric m’a fait confiance dès le début. On a discuté ensemble. À partir du moment où on travaillait ensemble, ça s’est fait dans la complicité et l’échange.

Eric Judor: Ça aurait été une erreur de ma part d’accepter d’aller dans un univers différent et de m’approprier le projet. L’idée, c’était vraiment de me laisser aller à un autre… Je n’étais pas en accord avec ce qu’il faisait tous les jours, dans ma tête je me disais « ah, je l’aurais fait comme ci, comme ça ». Et puis au fur et à mesure, je me suis dit: « c’est pas mon film ». C’est sa personnalité, c’est son œuvre, sa vision artistique. Laissons-nous aller dans ça, et puis on verra bien ce que ça fait. Finalement je suis rentré dans cette chaussure hyper tranquillement. Et le chausse-pied n’était pas compliqué à mettre.

Close-Up Magazine : Vous faites des films vous-mêmes, vous êtes dans un univers très spécifique. On pouvait penser qu’après Problemos (1h25, 2017), on ne vous verrait plus dans les films des autres. Pourquoi avez-vous choisi de faire ce film?

Eric Judor: Déjà, Problemos n’est pas un film de moi uniquement, puisqu’il a été écrit par Blanche Gardin et Noé Debré, même si je l’ai retouché un peu et je le réalise. Quand il y a des choses imparables, c’est idiot de se fixer une limite, de dire « je ne fais que mes films ». Quand je tombe sur un scénario comme celui de Roulez Jeunesse, je suis obligé d’y aller. Il n’y a pas de règles. C’est ce que je disais aussi avec Quentin Dupieux, on va sur des choses qui nous paraissent essentielles. Je trouve que Julien Guetta me réinvente.

Close-Up Magazine : Pourquoi était-ce essentiel d’y aller?

Eric Judor: Parce que ça fait un moment que je vais vers le réalisme, voire l’hyperréalisme. Avec Platane, je vais vers des choses, on est moins dans le « gogole », on est plus dans un personnage qui pourrait exister. Et qu’on met dans des situations que je trouve drôle. Et là, [dans Roulez Jeunesse] c’est la vie. Il a écrit un scénario où on se marre, et puis soudain on pleure; la vie est comme ça. J’avais envie d’aller vers de plus en plus de réalisme et Julien Guetta m’a offert ce cadeau.

Close-Up Magazine : Le film a-t-il été écrit avec Eric en tête?

Julien Guetta: En fait je n’écris pas pour quelqu’un en tête. C’est le personnage. Et puis après, en cherchant, quand j’ai trouvé Eric j’étais content.

Eric Judor: Il m’a trouvé dans la rue. En vrai. Ça fait vanne, mais il m’a croisé, et s’est dit « ah, pas mal. » Ç’aurait pu être le mec derrière moi.

Close-Up Magazine : Est-ce que le film a été dur à produire?

Julien Guetta: Déjà, il était dur à écrire. L’histoire a l’air simple quand on voit le film, mais en fait il y a de la comédie et du drame. C’est difficile d’emmener les spectateurs vers quelque chose de drôle qui glisse au fur et à mesure vers quelque chose de triste, il y a une sorte équilibre à trouver qui était difficile. Et puis même pour les financiers, ça leur fait un peu peur. Dès que ça commence en comédie, ils disent d’en faire une grosse comédie. Même moi, à un moment donné j’ai douté. Dans la complicité avec Eric, il m’a dit: « Mais non, c’est le truc fort du film, c’est aussi vers quoi ça dirige. Assumons où va l’histoire ».

Eric Judor: On a déjà vu des films avec des quadra qui se retrouvent entichés de gamins, c’est pas une idée neuve et on peut en faire 50 des comédies comme ça qui seront sympas, drôles etc. Le truc qui m’avait séduit à la lecture du scénario, c’est ce vers quoi ça tend, justement, la vraie vie. La vie est accidentée. Enfin, j’avais dans les mains un truc qui était la vie. Il ne fallait surtout pas faire une énième comédie du quadra qui se retrouve avec des gamins.

Julien Guetta: C’était aussi ça qui nous tient, c’était aussi l’ambition du film. C’était tenter d’aller vers quelque chose qui mélange les genres. Pour les acteurs, pour tout le monde. C’est un truc qu’on ne voit pas souvent, et vers lequel on a envie d’aller.

Eric Judor: Un truc vers lequel on ne va pas souvent, je pense en partie à cause des gens qui produisent, les gens qui payent les comédies, c’est-à-dire les chaînes de télévision. Si on se marre au début, il faut que ça se marre à la fin. En France, ça n’existe pas un film où ça se marre au début et moins à la fin, ou alors ça s’appelle une comédie ratée; et je sais de quoi je parle (rires). J’aime pas ces rires.
Les britanniques, par exemple, pour ne citer qu’eux, car je pense que ce sont les seuls maîtres de cet art-là, sans doute parce qu’ils ont un public pour ça, savent parfaitement faire rire et pleurer. Depuis très longtemps. Les américains, eux, le savent beaucoup moins, à part le cinéma indépendant. Le mainstream s’interdit absolument de mélanger les genres, parce qu’il faut rentrer dans des cases. Il faut pouvoir le vendre avec des popcorns. On pleure pas sur des popcorns, ça dessale le popcorn.

Close-Up Magazine : Eric, je vous ai trouvé super intense face à Brigitte Roüan. C’est bien d’avoir une actrice comme elle pour vous renvoyer la balle?

Eric Judor: C’est super, mais pas plus que d’avoir Ramzy en face. Il y a une petite rumeur très agréable sur ce film depuis qu’on le projette; on vient me voir en me disant, « mais en fait, tu sais jouer! » Parce que je crée une autre émotion chez les gens. Mais je pense que la comédie pure est au moins aussi dure, voire plus, en fait, dans le jeu. Oui, c’est super de jouer face à cette dame césarisée, ça crée quelque chose de très réaliste et très intense. Mais ça ne me prouve à moi rien de plus, en tous cas, que ce que j’avais avant et je savais avant.

Close-Up Magazine : Face aux jeune Ilan Debrabant et les autres enfants, comment s’est passé votre relation avec eux ? Vous connaissaient-ils déjà en tant qu’humoriste ? Ou vous ont-ils accueilli comme un simple acteur?

Eric Judor: Ilan me connaissait, Louise aussi. Mais on a tout de suite brisé la glace. Il m’a pas dit « ah, t’es le mec d’Aladin ou d’EDF » – parce que c’est ce que lui a vu de moi. Ça a tout de suite été un pote, en fait… enfin, mon enfant. Il ne m’a pas vu comme un père, mais comme un autre enfant, en fait.

Julien Guetta: Ils étaient très complices, c’est vrai.

Eric Judor: Ils me sautaient dessus, on se bagarrait toute la journée. Il n’y a pas eu de rapport à la télé, tout ça, ça s’est tout de suite effacé.

Close-Up Magazine : Est-ce qu’on peut parler de ce film comme votre Truman Show ? On voit la bascule entre l’acteur comique et l’acteur dramatique.

Eric Judor: Ce sont des références que je prends avec grand plaisir. Jim Carrey pour moi est un dieu de la comédie archi-incompris. J’étais persuadé en démarrant ma carrière que jamais de ma vie j’irais vers ça. Et en plus j’y suis allé avec la fleur au fusil, content d’aller dans ce registre-là, parce que je tâtonne, j’essaie de faire le tour de la comédie, en allant dans tous les espaces comiques : l’hyperespace avec Quentin Dupieux et puis un espace plus simple et plus abordable comme H ou La Tour Montparnasse. Je considère malgré tout qu’on a fait de la comédie, on y rit, mais dans un espace un peu plus troublant.

Close-Up Magazine : Quand Jim Carrey avait tourné avec Gondry, il l’a laissé faire son truc sur le tournage, il proposait beaucoup de choses, mais au montage le réalisateur a pris systématiquement les première prises, les plus sobres. Est-ce que vous avez eu tendance sur le tournage à rajouter des petites choses?

Eric Judor: Ça nous fait un point commun encore!

Julien Guetta: Eric a une matière en tant que metteur en scène qui est inépuisable. Il propose des choses, donc c’est génial. Mais il y avait un personnage dans lequel il devait rester, il ne fallait pas sortir de ce personnage. Donc, moi le premier, je suis un super spectateur de ce qu’il peut produire, et ça me faisait rire beaucoup, mais on diminuait au fur et à mesure dans les prises pour rester à l’essentiel de la scène.

Eric Judor: Pour finalement faire la prise prévue. C’est l’inverse, je démarrais à fond et puis…

Julien Guetta: Au début, il propose plein de choses. On se dit que c’est cool. Puis on dégraisse un peu tout ça pour en arriver à quelque chose de plus simple.

Eric Judor: Dans les rushes, on a un film comique hyper marrant!

Julien Guetta: C’est ce qui était difficile aussi dans le montage. La scène en soi avec Eric, je mettais plein de choses qui pouvaient faire rire. Mais quand on mettait tout bout à bout, on perdait le personnage vachement. Le montage a été dur là-dessus, parce qu’il fallait retrancher, retrancher, retrancher pour arriver à quelque chose de simple.

Close-Up Magazine : On aura un director’s cut sur le DVD?

Julien Guetta et Eric Judor: Vous l’avez, le director’s cut [c’est le film qui va sortir en salles].

Eric Judor: C’est l’actor’s cut que vous aurez.

Close-Up Magazine : Pour terminer, une question un peu plus légère, allez-vous faire Zoro?

Eric Judor: C’est signé, mais il faut que je l’écrive, maintenant.

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