Le Prisonnier d’Alcatraz : Birdman

Sorti en 1962, Le Prisonnier d’Alcatraz revient dans une édition dvd/blu-ray chez Wild Side, en ce mois de Juin 2018. Le film narre et enjolive l’histoire vraie de Robert Stroud, coupable de deux meurtres, pour lesquels il aurait passé plus de 50 ans en quartier d’isolement. Lors d’une promenade dans la cour, Robert trouve un oisillon faible et esseulé. Il décide de l’emporter avec lui dans sa cellule et d’en prendre soin pour tromper son ennui. Ce simple geste prendra alors des proportions inattendues. Robert deviendra l’un des plus grands experts en ornithologie du pays, il parviendra même, à force d’expériences et de lectures, à trouver un remède contre une fièvre aviaire jugée incurable à l’époque. Avec cette nouvelle notoriété, le prisonnier jouira d’un statut particulier, rencontrant à la fois des oppositions et des aides. Bien sûr, tout ceci se déroule pour nourrir un réquisitoire contre le système pénitencier de l’époque et la fameuse prison d’Alcatraz dans laquelle Stroud séjournera.

Et qui de mieux que Burt Lancaster pour jouer cet homme ? Véritable masse de défiance à la volonté de fer, qui ne manquera pas de se frotter à l’autorité, d’où qu’elle vienne. L’acteur nous livre une performance de haute volée, chose quasi obligatoire puisque l’on passe le plus clair de notre temps en détention avec lui (et ses bruyants compagnons), dans sa cellule. Pas étonnant, pour un film qui aborde l’isolement ainsi que l’ennui nocif qui en découle. Mais traiter ces thèmes sans risquer soi-même d’ennuyer le spectateur est une entreprise complexe. John Frankenheimer l’a bien compris et ne montre pas l’ennui même, ici, mais bien comment le fuir. Le cadre nous comprime dans la cellule avec Robert Stroud, les ellipses marquent le passage du temps, sans être précises sur sa durée exacte pour mieux nous rapprocher du protagoniste. Une fois ce ressenti en place, les actions de Stroud semblent couler de source et la moindre distraction devient un trésor, derrière ces grilles froides et ces murs épais.Lancaster sonne toujours juste alors que les émotions marquent subtilement son visage à grands renforts de gros plans. Brusque, il fonctionne avec ses tripes et ne manquera pas de créer l’inquiétude de son entourage. Le casting des quelques rares intervenants fait des merveilles à ce sujet : ce ne sont pas les performances de Thelma Ritter (en mère protectrice et battante) ou Telly Salavas (en voisin de chambre fort en gueule), qui viendront démentir cela. Encore moins celle de Karl Malden qui campe Shoemaker, le gardien de la prison, qui viendra à quelques reprises se confronter à Stroud pour que s’opposent leurs deux points de vue.

Ces rares échanges sont des points pivot dans l’évolution lente du récit. Le personnage principal, s’il ne perd pas sa volonté, perd en revanche sa hargne et se tasse avec les années. Le poids du temps pèse sur les épaules de Stroud, alors qu’il s’assagit, en partie grâce à ses compagnons à plumes. Les décors minimalistes épousent la pureté de ce noir et blanc léché, pour mieux asseoir la mise en scène de la solitude de Lancaster, comme celle de ses échanges avec les autres protagonistes. L’ombre des barreaux se pose sur les personnages, qui ne sont pas piégés physiquement, mais restent entravés à leur manière. Que dire alors de cette cellule qui se remplit elle-même de cages à oiseaux « pour leur bien » ? Renvoi évident à la condition de Stroud (avec en tête « Poucet » le premier oiseau recueilli) mais aussi au système qui l’a condamné : cet amoncellement de petites prisons met en abîme le personnage, face à lui-même et à son équilibre fragile.

Le Prisonnier d’Alcatraz est un film de prison unique, qui soigne son rythme, ses plans et le jeu de ses acteurs, pour mieux nous faire ressentir ses thématiques. Ses enjeux évoluent comme son personnage, de sa condamnation à la santé de ses oiseaux, jusqu’à la promesse d’une éventuelle libération. Fluctuant par leurs importances, ils sont pourtant tous mis sur un pied d’égalité par une cohérence ingénieuse. Une plongée au cœur de l’isolement, de ses effets sur l’être humain, mais aussi une œuvre qui nous abandonne, face aux questionnements qu’elle provoque. Un exemple de subversion, qu’il est de bon ton de redécouvrir par les temps qui courent.

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