Trollhunters : They see me trolling, they lovin’

Lorsqu’il était enfant, Guillermo Del Toro avait passé un pacte avec les monstres. S’ils le laissaient aller aux toilettes la nuit, il deviendrait leur ami. Si cette anecdote sur le réalisateur se ressent dans bon nombre de ses œuvres, Trollhunters ne sera pas celui qui dérogera à la règle. Jimmy Dulac, jeune lycéen de la ville d’Arcadia, va en effet sceller un pacte mystique grâce à une amulette trouvée par hasard. Choisi par cette dernière, il devient le tout premier humain à incarner le rôle de chasseur de trolls, sorte de protecteur des trolls, privilège habituellement réservé à ce peuple. Héros malgré lui, l’adolescent devra donc composer entre sa vie de lycéen et les intrigues qui prennent place dans le marché des trolls, monde chatoyant situé sous Arcadia où vivent ces grandes créatures de pierre. Il devra donc s’atteler à la tâche, malgré les réticences d’une grande majorité de ceux qu’il doit protéger, peu habitués à voir un humain recevoir un tel honneur. Malgré tout, certains seront là pour l’épauler et la petite équipe ne manquera pas de s’enrichir, pour mieux faire face à l’adversité.

Un départ somme toute classique et déjà vu, où on jongle entre une quête initiatique générique et des préoccupations d’adolescent qui affecteront la mission de Jim. Un double enjeu de rigueur pour aider le récit à prendre son élan, mais on peut compter sur l’association Del Toro et Dreamworks. S’il faut bien attendre un temps avant que la machine n’atteigne sa vitesse de croisière (la moitié de la première saison), c’est à cause de sa richesse importante. Ce qui caractérise généralement le travail de Del Toro, en particulier sur la partie de sa filmographie qu’on pourrait qualifier de « jouissive » (les Hellboy ou encore Pacific Rim), c’est sa générosité. Trollhunter est un véritable maelstrom d’influences en tout genre, un tel cadre ne pouvant échapper à une pose lente et délicate, pour mieux en admirer la toile. La série nous déroule doucement sa mythologie, les us et coutumes des trolls, leur histoire et les différents peuples, ses héros passés etc… Les emprunts à la mythologie sont nombreux et assumés (comme les différents surnoms de Jim : « jeune Atlas » ou encore « petit Gynt »), mais loin de tenir de la bête copie, ils sont autant d’ingrédients pour la création d’un univers original, avec ses règles intrinsèques (comme de minuscules et amusants nains de jardin en guise de « vermine » pour le peuple troll).

Il en va de même pour cette atmosphère 80s, avec ces enfants qui enfourchent leurs vélos vers des aventures fantastiques au nez et à la barbe de leurs parents, cachant des monstres dans leurs caves, etc… Sans compter des références à des films de cette époque (Breakfast Club entre autres) revisitées pour l’occasion le temps d’un épisode ou d’un bref clin d’œil. Loin d’être un coup de coude forcé et faussement complice avec le spectateur, comme cela semble être de rigueur ces derniers temps, tout cela fait sens, ces effets sont avant tout des conséquences des actions des personnages et s’installent dans une continuité cohérente. On pourrait aussi y associer pêle-mêle des références historiques ou encore des éléments de jeux vidéo (des quêtes annexes qui aboutissent à des power-up), ce qui aboutit ni plus ni moins à la création d’une esthétique propre à la série.

Le canevas d’un univers original et séduisant se dessine donc, bien que les décors urbains soient pauvres et ternes (surtout mis en contraste avec le coloré et chatoyant marché des trolls), mais il faut un ciment solide pour maintenir le tout. Les personnages, les relations qu’ils partagent et les intrigues qu’ils déjouent, sont autant d’éléments qui témoignent d’une maîtrise de l’écriture classique, mais toujours poussée par cette intelligence et cette générosité qui caractérisent le show. Si certains d’entre eux peuvent être perçus comme des personnages-fonctions ou des clichés, de prime abord, c’est avant tout pour révéler leur plein potentiel. Jim a tout du héros ordinaire vaillant et volontaire, Toby son meilleur ami grassouillet est l’incarnation du sidekick rigolo et Sara est la fille cool et le love interest de Jim, une dynamique qui fonctionne, mais heureusement vite perturbée par les monstrueux compagnons qui s’incrustent. Blinky sera entre autres l’une des figures paternelles qui donnera à Jim son équilibre et Argh, aussi puissant qu’irrésistible par sa simplicité, révélera le grand cœur de Toby. Doublés par un casting de luxe (Lena Headey, Kelsey Grammer et Ron Perlman, toujours convaincant en grosse brute…) et accompagnés par la musique d’Alexandre Desplat (deux fois oscarisé), le cortège de personnages et leurs interactions sonnent toujours juste. 

Tout se dévoile via une écriture habile, qui masque ses ambivalences derrière un naturel pourtant réfléchi. Il suffit de revenir sur Argh pour s’en convaincre, personnage si fort qu’il ferait presque office de deus ex machina lors des confrontations, mais toujours entravé par un choix, une situation ou une confrontation qui le dépassent sans que cela ne semble jamais forcé. La série utilise aussi le principe du préparation/paiement avec astuce, là où les plus attendus sont sauvés par leur timing et aident à en dissimuler d’autres pour mieux nous surprendre.

Quelques ombres au tableau subsistent malgré tout, avec certains épisodes plus légers (comme l’invasion de clones de Jimmy lors de la saison 2) qui préservent malgré tout la logique de l’ensemble. Il faut garder en tête que la cible principale reste les enfants, avec ses notes d’humour simple, bien que des répliques ne manqueront pas de faire mouche chez les adultes (« les humains, ils se ressemblent tous »). L’arrivée récente de la troisième et dernière saison participe aussi à une légère précipitation des événements : la révélation d’Usurna aurait mérité plus d’adresse dans sa mise en scène. On tressaille aussi devant l’introduction tardive d’Aja et Krel, personnages « guests », censés annoncer l’arrivée de la prochaine série se déroulant à Arcadia : 3 Below. Cet avant-goût de l’univers étendu Tales of Arcadia peine à convaincre, devant le caractère énervant et faussement cool des deux aliens. Mais ces rares points noirs sont vite effacés devant ce final, qui nous livre exactement ce que nous avait été promis avec un soin particulier apporté à la mise en scène.

Trollhunters est une petite perle d’animation qui aime prendre son temps, digresse parfois, mais reste toujours cohérente devant le tout qu’elle forme. Sachant s’arrêter au bon moment (une qualité qui se fait rare dans le monde sériel), sans emprunter la voie facile et pécuniaire des longueurs indésirables et superfétatoire, la série nous montre qu’elle sait où elle va et nous y mène de bon cœur. Si l’amour des monstres de Del Toro se ressent une fois de plus dans son œuvre, c’est avant tout par l’universalité de son propos, de ses thèmes et de sa morale que Trollhunters parvient à nous toucher.

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