Hérédité : Lignée maudite

A chaque nouveau buzz dans le genre horrifique, on nous refait le même coup ! Nous avons droit au fameux « le film le plus terrifiant depuis … », on nous sort tous les dithyrambes sur l’aspect révolutionnaire de l’œuvre en question, sur le fait que l’on n’avait plus vu ça depuis les films les plus cultes du genre, bref, on va voir ce qu’on va voir ! Il est donc difficile en ces temps de teasing sauvage, de découvrir un film, quel que soit le genre auquel il appartient d’ailleurs, sans avoir la moindre attente le concernant. Le film qui nous intéresse ici appartient donc à cette catégorie d’œuvres découvertes à Sundance, aussitôt placées sur un piédestal, au point que plus personne n’ose trop émettre la moindre réserve à son encontre ! Comme si la parole des spectateurs privilégiés l’ayant vu avant tout le monde comptait plus que toute autre, et empêchait ensuite toute nuance critique. Vous aurez donc droit à tous les superlatifs critiques le concernant, et il est assez difficile de se lancer dans la rédaction d’un texte le concernant, tant celui-ci s’avère indéniablement plus dense que la moyenne, sans que cela occulte néanmoins des excès évidents que l’on ne peut passer sous silence. J’essaierai donc d’être le plus nuancé et objectif possible.

Le film débute par un travelling d’une précision diabolique avançant d’un décor normal à une maison miniature, type maison de poupée, où nous découvrirons au fur et à mesure que la caméra s’avance lentement, les protagonistes principaux. Manière de dire d’emblée que les personnages que nous suivrons tout au long du film, ne sont que de toutes petites choses, des pions manipulés par des forces beaucoup plus grandes qu’eux ou que nous. L’histoire débute par un décès, celui de la grand-mère maternelle de la famille que nous rencontrons, et l’on comprend bien vite que l’on ne sera pas devant un banal film d’horreur cherchant à en mettre plein la vue dès le début. Le réalisateur Ari Naster avoue avoir vécu toute une série de drames dans sa famille, à un point tel qu’il a fini par se demander sérieusement si sa famille n’était pas victime d’une malédiction, d’une sorte de prédestination au malheur à laquelle ils ne pouvaient échapper. Cette angoisse, il s’en est donc servie pour son premier long métrage, dans lequel il imagine un récit délétère sur une famille pleine de rancœurs , et montant graduellement avant de virer à l’horreur pure.

Disons-le clairement, sans avoir peur d’exagérer, la première partie est absolument exemplaire. Dotée d’une mise en scène à la précision assez stupéfiante lorsqu’on sait qu’il s’agit d’un premier long, et sachant immédiatement instaurer une atmosphère perturbante et insidieuse, elle se montre d’une tenue psychologique et formelle qui laisse espérer le miracle tant vanté par tous les critiques. Oui, nous sommes bel et bien devant une œuvre allant à l’encontre des clichés habituels du genre, et ne cherchant nullement à brosser le grand public dans le sens du poil en alimentant les éternels tics du genre contemporain. Nous avons véritablement à faire à un pur drame familial pour lequel le cinéaste affirme avoir été influencé par des œuvres aussi éloignées du genre horrifique que « Des gens comme les autres », « Ice Storm » ou « In the bedroom », donc pas vraiment les titres auxquels on peut s’attendre concernant un film d’horreur. Le scénario s’avance avec une maturité rare sur des rives inattendues, notamment concernant le traitement du deuil, d’une âpreté assez secouante, même si l’on a la chance de ne pas encore avoir vécu de traumatismes semblables à ceux que vivent les personnages du film. L’universalité que réussit à atteindre le cinéaste est franchement impressionnante de maturité, et nous place face à nos propres angoisses concernant la mort et le sens de notre place dans l’univers. Rien que ça, et si cela peut paraître pompeux dit comme ça, il s’agit dans le film, plus de quelque chose de propre à chaque spectateur, qui y place ce qui lui est personnel, sans que cela passe par un discours appuyé ou prétentieux. Le réalisateur s’adresse réellement à chacun de nous, et n’a donc nul besoin d’exagérer quoi que ce soit, tant les idées et émotions convoquées sont l’évidence même. Et tout ça, redisons-le, avec une maîtrise formelle proprement éblouissante, tant dans la mise en scène pure, qu’en terme d’éclairages ou de photographie générale. Ajoutons à ça la tenue de l’interprétation, et on se prend à véritablement espérer le chef d’œuvre tant vanté. Reste à voir comment le cinéaste peut gérer la montée de la tension progressive, jusqu’à atteindre l’horreur absolue.

Déjà, à la question que tous les fans de genre doivent se poser, nous pouvons répondre immédiatement, le film nous épargne les jump scares, se focalisant sur une ambiance insidieuse et glaçante, plongeant progressivement le spectateur dans une folie totale qui n’a pas besoin d’effets racoleurs et grand guignols pour exister. C’est donc une très bonne nouvelle pour les spectateurs qui n’en peuvent plus, à raison, de ces effets téléphonés qui ne sont là la plupart du temps que pour nous réveiller de notre torpeur, et qui n’ont aucune raison d’être dans la narration. Le cinéaste réussit même régulièrement à créer de véritables visions d’horreur, faisant office de fulgurances quasi traumatiques, notamment deux images qui resteront gravées dans la mémoire pendant encore longtemps. Malheureusement, cela ne suffit pas totalement à convaincre et force est de reconnaître que malgré les écueils évités pour notre plus grand plaisir, l’ensemble finit tout de même par traîner un peu  la patte, et ne parvient jamais à réellement terrifier ou, tout du moins, mettre mal à l’aise. Le malaise vient de la première partie, de ce qu’elle évoque et de ce que l’on se fait comme films dans notre tête, mais lorsque vient le moment de vraiment lâcher tout ce qui n’était qu’abstrait au début, et d’assumer la part purement horrifique de l’histoire, c’est comme si le jeune cinéaste ne savait plus trop comment gérer le climax émotionnel du film, et tombait dans ce qu’il avait su éviter jusque là. On a donc droit, sans spoiler quoi que ce soit, à une plongée dans le surnaturel et le spiritisme, et aux scènes de couloir si habituelles du genre. Les deux heures de métrage paraissent donc un poil disproportionnées, car si la lenteur du rythme dans la première partie est justifiée, ne s’avérant jamais un obstacle mais au contraire un moyen que le cinéaste s’est donné pour raconter son histoire de la façon la plus profonde possible, la gestion de la durée s’avère beaucoup plus laborieuse dans sa dernière ligne droite. Et lorsque le dénouement arrive, on ne peut s’empêcher d’être un peu perplexe dans cette volonté affichée de tomber dans la folie barrée héritée des années 70.

On se raccroche donc au jeu stupéfiant de Toni Collette, toujours à la lisière du cabotinage, mais ne tombant jamais dans le grotesque, s’avérant toujours intense et émouvante. La marque des grands, car n’importe quelle actrice un peu moins chevronnée serait sans doute tombée dans l’outrance contre-productive. Rien que pour elle, et pour ses visions d’horreur évoquées plus haut, ne s’adressant clairement pas au jeune public ayant l’habitude de se déplacer en salles pour se faire peur sans risques, le film s’avère tout à fait recommandable, même avec les réserves que l’on est en droit de ressentir dans sa dernière partie. Il est regrettable qu’aucun jeune cinéaste ne semble aujourd’hui capable de tenir sur toute la durée d’un métrage les promesses de départ, concernant ce type de cinéma. Espérons que tout n’ait pas été dit dans les classiques du genre, et que nous aurons droit un jour, à la véritable révolution du genre que l’on attend maintenant depuis quelque temps. En attendant ce potentiel revival total du genre dans toute sa folie créative, on peut tout de même savourer les belles promesses aperçues dans ce très stylé premier film, et attendre avec curiosité les prochains travaux de son auteur.  

2 Commentaires

  1. A la sortie de la salle, j’étais totalement à 200% d’accord avec les propos de la critique. Mais depuis 3 jours que j’y repense et que j’en parle autour de moi, je me rends compte qu’en fait ce film frôle la perfection ultime.

    Pour commencer, oui la première partie est magistrale en terme de mise en scène, d’installation de climat et de direction d’acteur. Une fois le premier acte bouclé (avec l’une des images les plus choquantes qu’il m’ait été donné de voir depuis longtemps), j’ai reproché au film ce que j’ai pris comme une baisse de régime. Seulement, à bien y réfléchir, le réalisateur continue d’alimenter le malaise qui nous ronge pour mieux nous emmener vers la folie destructrice qui consume ses personnages.

    Pour ne pas dévoiler les éléments clés, une fois passé le fameux plan en plongé sous la terre (celui qui conclue le premier acte), il attaque tout un processus propre au spiritisme et autres malédictions qui planeraient sur n’importe qui (si tant est qu’on s’intéresse et qu’on croit à ce genre de chose). Jeter un sort sur quelqu’un demande du temps, parfois des années (pour ne pas dire presque une vie entière). De ce fait, ce que j’ai pris comme des lenteurs insupportables deviennent nécessaire quand on prend le temps de relier toutes les pièces du puzzle. Chaque événement, même le plus infime soit-il, est primordial si on veut pouvoir accéder à la fin la plus vraisemblable possible (celle que nous dévoile le film). Il n’y a pas un plan superflu (et la réalisation est d’une technicité exemplaire).

    Du point de vu horrifique, Hérédité nous ramène droit vers ses pères comme l’Exorciste, Rosemary’s Baby ou encore La Malédiction. Des films, avec une ambiance particulière, qui attrapent le spectateur par la gorge afin d’y distiller progressivement ses messages. Et quand ils décident d’aller franco dans la brutalité, ça y va sans aucune demi-mesure. Hérédité possède quelques plans qui vont me marquer probablement pendant très très longtemps (le regard de Toni Colette en fin de métrage, dans le grenier, je ne m’en remets toujours pas). Et au milieu de tous ces Lazarus Effect et autres saloperies surfaites qu’on nous sert depuis quelques années (merci Jason Blum !!!), ça fait réellement du bien d’avoir un film qui sort du lot.

    Après, oui, je suis d’accord, dès qu’on se retrouve avec un produit atypique, on a tendance à trop vendre le concept au point d’en dégoûter le spectateur avant même qu’il rentre dans la salle (dixit It Follows, Get Out…), mais force est de constater qu’au final, malgré des opinions parfois divergentes, nous sommes tous d’accord pour saluer ce genre de prise de risque car ça fait dix fois plus de bien d’avoir un produit qui ose des choses plutôt qu’un Paranormal Activity 18 qui dévoile tout dans sa bande-annonce et basta…

    Hérédité mérite qu’on y revienne. J’attends de pied ferme sa sortie blu-ray pour pouvoir aller gratter toute sa substantifique moelle !

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