Train de Nuit dans la Voie Lactée : Ballade entre les étoiles

Sorti initialement en 1985 au Japon, Train de Nuit dans la Voie Lactée trouve enfin son chemin vers la France dans une sympathique édition Blu-ray et DVD, disponible depuis peu chez Rimini Editions. La copie est soignée, il suffit de se rendre dans les bonus et de consulter les habituels teasers d’époque pour constater la différence. S’ils sont peu nombreux (deux petits entretiens d’environ 20 minutes chacun, en plus des teasers), les bonus apportent des précisions et des informations bienvenues sur deux figures majeures du film : Gisaburô Sugii, le réalisateur et Kenji Miyazawa, écrivain du roman dont est tiré le film. Dans le premier entretien, Olivier Fallaix (ancien d’Animeland et consultant pour Crunchyroll) revient sur la carrière de Sugii et son impact sur l’animation japonaise, notamment avec son passage au studio Mushi d’Osamu Tezuka. Dans le second, nous avons affaire à Helène Morita (traductrice de l’œuvre de Miyazawa en France), qui revient sur la vie de ce dernier et de l’importante notoriété de son œuvre au Japon.

Des précisions importantes et nécessaires pour le profane qui, une fois le film ingéré, pourrait rester sur le carreau. Peu connu chez nous, le travail de Gisaburô Sugii, est en effet très éclectique : entre ses collaborations avec Tezuka sur Astro le petit robot, un film de la licence Lupin, ou encore la première adaptation animée de Street Fighter, il est un véritable couteau suisse de l’animation japonaise (d’autant qu’il y aura occupé bien des postes,  dont celui d’animateur, scénariste et bien sûr, réalisateur).

Train de Nuit dans la Voie Lactée, nous narre le voyage onirique de Giovanni, un jeune chat livré à lui-même (brimé à l’école, il s’occupe de sa mère souffrante une fois rentré…) qui, alors qu’il erre seul pendant un festival où tous s’amusent sans lui, s’assoupit dans un coin d’herbe. C’est à ce moment qu’un train sorti de nulle part fond sur lui, il va se retrouver comme par magie sur l’une de ses banquettes à traverser des mondes étranges et sera le témoin de phénomènes qui dépassent l’entendement, en compagnie de Campanella, son seul véritable ami.

Si le message et les thématiques qui se développent sont évidentes à l’approche de la conclusion, les événements dont le voyage est parsemé, peuvent troubler. Devant ces rencontres mystiques, ces décors fantasmagoriques et cette poésie de l’étrange, Giovanni ouvre de grands yeux et contemple ce qui échappe à sa compréhension, sans demander son reste. La bizarrerie intervient jusque dans le découpage du périple. On coupe et enchaîne les saynètes de façon abrupte (à grands coups d’intertitres en espéranto, une langue que Miyazawa affectionnait), les personnages apparaissent et disparaissent avec une aisance déconcertante dans ce wagon généralement vide, qui d’un coup se peuple sans que le train n’ait marqué d’arrêt. Le ton est au surréalisme tranquille, accompagné par une lenteur, amorcée en ouverture par l’appesantissement sur la morne routine de Giovanni. L’ambiance prend elle aussi le temps de se poser, au rythme de sa bande-son omniprésente avec un thème principal lancinant (mais jamais gênant), élément pivot d’un égarement provoqué, nous laissant seul face aux images et à ce qu’elles nous évoquent. Au milieu de cette mystique, parfois teintée croyance (chrétienne ou bouddhiste), le film nous invite à nous abandonner à sa poétique particulière, qui ne manquera pas de laisser sur le bas-côté celui qui ne veut pas faire la planche sur ce doux courant.

Le climat singulier du film s’installe avec une sérénité inattendue, nos deux comparses restent très calmes, voire stoïques, derrière leur fenêtre, contrastant et renforçant les rares moments forts en émotions. Les répliques sont pragmatiques et vont à l’essentiel, les chats n’interviennent pas ou peu face aux scènes qu’ils découvrent. Si cet effet est partiellement imputable à l’économie de moyens à laquelle Sugii a dû avoir recours, elle est néanmoins habilement masquée. Les attitudes immobiles des personnages ne dérangent pas outre mesure au milieu de ce défilé abracadabrant : ils habitent les décors, comme des aplats sur ces toiles virtuose mais complètement figées. Bien qu’ils restent fixes, les arrière-plans gagent d’un talent de dessinateur certain. Seuls quelques effets accusent le poids du temps et jurent au milieu de cet artisanat de bonne facture.

Loin d’être une production commerciale, Train de Nuit dans la Voie Lactée a sa propre personnalité bien marquée. Ses traits ne plairont pas à tous, mais il saura combler ceux qui feront le premier pas. À l’instar de Budori, l’Étrange Voyage (sorti en 2012 du même réalisateur, et adapté du même auteur avec chara design identique), Train de Nuit dans la Voie Lactée témoigne d’un respect certain, tant pour l’œuvre que pour l’auteur qu’il adapte. Si bien, que ses facettes les plus cryptiques, nous restent en tête alors que le film se termine. Pour ne rien gâcher, les bonus de l’édition offrent un véritable complément à la compréhension de cette œuvre généreuse, qui attend un effort de son spectateur, avant de lui donner en retour.  

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